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Avis de gros temps sur les négociations salariales

Enquête | publié le : 23.02.2010 |

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Avis de gros temps sur les négociations salariales

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Les salariés entrevoient la sortie de crise et estiment avoir consenti efforts et sacrifices en 2009 ; les directions, qui évoquent le manque de visibilité, veulent garder le pied sur le frein : les négociations annuelles obligatoires, qui se sont déroulées ou s'ouvrent en ce moment, cristallisent les tensions.

Plusieurs jours d'occupation du siège d'Ikea à Plaisir (78) et une grève suivie dans les magasins, des débrayages chez Sanofi, Arcelor-Mittal, un site de Total, plusieurs KFC en région parisienne, chez Thalès, Atos Origin, Société générale... Les négociations annuelles obligatoires (NAO), avec leur volet salarial pour 2010, ont allumé, partout en France, et dans tous les secteurs, des foyers de conflit social.

Selon les entreprises, les NAO, qu'elles ont la contrainte légale d'entamer, se tiennent, en règle générale, entre octobre et mars, pour les dernières d'entre elles, ouvrant une période d'effervescence. Et, cette année, il s'agit bien d'un exercice à haut risque pour la paix sociale. Dans bon nombre d'entreprises, les budgets d'augmentation 2009 ont déjà été marqués par la rigueur, avec de fréquentes mesures de gel des salaires (un tiers des entreprises) et des augmentations réalisées de 1,6 % pour les ouvriers et de 2 % à 2,3 % en médiane pour les cadres, selon le cabinet Mercer*.

Des efforts sans contrepartie

C'était déjà dur à avaler pour les salariés et les partenaires sociaux au coeur de la crise et avec une inflation quasi nulle. Alors, retrouver des valeurs à peine améliorées pour la deuxième année consécutive, tout en ayant le sentiment d'avoir consenti des efforts importants..., ça coince. La même enquête de Mercer constate, en effet, des prévisions de budgets d'augmentation de 2,5 %, à comparer aux plus de 3 % des années d'avant-crise, et des gels de salaires toujours à l'ordre du jour dans un quart des entreprises. En septembre, Hay Group était même un peu plus mesuré, avec des prévisions de 2,1 % pour les non-cadres et de 2,3 % pour les cadres en 2010. Mais avec, cette fois, une inflation attendue à plus de 1 %. Et dans une période proche de la sortie de crise, épisode lors duquel les revendications sur l'emploi se reportent classiquement sur une demande de pouvoir d'achat.

Demande de pouvoir d'achat

Une étude d'Entreprise & Personnel le prévoyait déjà à l'automne. « Les revendications salariales mobilisent fortement », confirme la Direction du travail dans une note au gouvernement à la mi-janvier.

Pour les DRH, la tâche est ardue face à cette équation à plusieurs inconnues : ils ont toujours la mission d'encadrer strictement la masse salariale, mais l'incertitude est forte quant au volume d'activité de leur entreprise dans les mois à venir, et les revendications de pouvoir d'achat masquent souvent d'autres frustrations.

« La question des salaires a cristallisé des mécontentements latents liés aux réorganisations et aux suppressions de poste chez Sanofi-Aventis, explique, par exemple, Jean-François Chavance, DSC CFDT du groupe. Dans le même temps, l'entreprise annonce un bénéfice net de près de 8 milliards d'euros, en hausse de 11 %, réalisé en partie grâce aux efforts consentis dans la production des vaccins. »

Exercice délicat dans les banques

Dans la banque, l'exercice est aussi particulièrement délicat. « D'une part, c'est un secteur où l'on se trouve très rapidement sous les feux de la rampe dès qu'on parle des salaires, explique Philippe Burger, spécialiste des rémunérations globales chez Deloitte. D'autre part, une bonne partie des mauvais résultats est due à l'activité de banque d'investissement alors que ce sont les salariés de la banque de détail qui ont souvent subi les foudres de clients. Il est difficile de ne rien prévoir pour eux, surtout que leurs salaires sont bien inférieurs à ceux des traders. » C'était bien le cas à la Société générale : « Après l'année Kerviel, où tout le monde a fait bloc, nous nous attendions à un retour, précise Alain Treviglio, DSC CFDT. Et les salariés se sont aperçus que la direction est plus dure avec eux qu'avec ses traders. »

Rétributions hors augmentations

Pour passer l'obstacle, les DRH et certaines organisations signataires des accords salariaux cette année ont dû s'accorder sur des modes de rétribution hors augmentations. C'est justement le cas de la banque, où des primes exceptionnelles ont été accordées, au titre du «dividende du travail», un supplément d'intéressement rendu possible par la loi sur la participation et l'intéressement de 2006. A la Société générale, une prime de 1 000 euros a permis de faire avaler au SNB-CGC, principale organisation de l'entreprise, l'augmentation générale de 1 %. Pour mieux habiller cette faible progression salariale, l'augmentation est versée en une fois, fin janvier, sous forme de prime, et intégrée au salaire en 2011. La CFDT, qui souhaitait y ajouter un talon plus favorable pour les bas salaires que les 250 euros annuels prévus, ne s'y opposera pas pour autant. « Insuffisant, mais pas scandaleux, juge Alain Treviglio. Et, en la matière, il est très délicat de s'opposer à un accord signé, au risque d'en revenir à la décision unilatérale de l'employeur. » C'est ce qui s'est passé cette année chez Total, où, faute d'accord, une augmentation générale de 1,1 % s'appliquera par décision unilatérale.

Abondement conséquent

BNP Paribas a utilisé les mêmes dispositifs, avec la même augmentation, mais avec un plancher de 320 euros, une prime de 1 200 euros, et en y ajoutant un abondement de 300 % sur les 100 premiers euros placés sur le PEE. « Ce supplément d'intéressement change les choses, selon l'avocat Gilles Briens. Alors que, jusqu'ici, la loi avait affirmé le caractère aléatoire de l'intéressement, il permet un versement décidé unilatéralement sans lien avec des résultats. Dès lors qu'une entreprise dispose d'un accord d'intéressement avec des seuils suffisamment peu élevés pour générer une prime, condition pour verser ce supplément, il offre un argument dans une NAO tendue. Quant au principe de non-substitution au salaire, il est aisément maîtrisable, puisqu'il s'agit simplement de ne pas supprimer un élément de la rémunération dans les douze mois qui suivent. »

La possibilité de fractionner cette prime en versements semestriels, voire trimestriels, ajoute à son intérêt pour les employeurs, qui y voient la possibilité de distribuer du pouvoir d'achat sans alourdir à long terme la masse salariale et en bénéficiant d'un cadre social et fiscal favorable.

Clauses de revoyure

D'autres directions proposent de maîtriser l'incertitude économique avec un second «rendez-vous salaire» en cours d'exercice. Des clauses de revoyure qui se sont multipliées ces deux dernières années. A la Caisse d'épargne, où la négociation était encore en cours en février, les premières propositions de la direction portaient sur une augmentation de 0,7 %, avec une réunion de bilan en octobre-novembre et une éventuelle correction en fonction de l'inflation.

Dassault Aviation a pris une option plus originale en proposant d'accorder des augmentations différentes selon que l'entreprise obtiendra ou non un contrat Rafale à l'export (lire p. 26). Proposition plutôt innovante, transformant en opportunité de progression salariale la prime que l'entreprise accordait auparavant sur le même principe. Dassault a d'ailleurs mis en oeuvre une large palette de propositions de rétribution pour obtenir la signature de la CFE-CGC et éviter une opposition à l'accord : l'augmentation de la part patronale dans la couverture santé des non-cadres et l'abondement au Perco faisaient partie du «package».

Si le cap 2010 s'avère difficile à passer et demande des adaptations circonstanciées des politiques salariales, le moyen terme pourrait s'avérer préoccupant lui aussi.

Faillite de la gestion de carrière

Denis Falcimagne, directeur d'études à Entreprise & Personnel, pointe le risque de démotivation et même de faillite de la gestion de carrière pour les cadres : « Un cadre qui poursuit une carrière normale multiplie son salaire par 2,5 sur l'ensemble de sa vie professionnelle ; une évolution qui correspondrait à une augmentation moyenne annuelle de 2,2 % au-dessus de l'inflation. C'est dire qu'avec des budgets trop réduits, les entreprises ne sont pas en mesure de gérer les carrières de façon satisfaisante ; 80 % à 90 % des cadres n'ont pas perçu cette moyenne sur les dernières années. »

Certaines directions ont, en tout cas, bien identifié l'importance de la rémunération dans la satisfaction au travail : si les négociations n'ont pas commencé à France Télécom, Stéphane Richard, le nouveau patron à partir de mars, qui a la tâche de pacifier une entreprise marquée par des suicides, a affirmé aux syndicats que l'individualisation des rémunérations n'était plus un dogme. De son côté, Henri Proglio accompagne son arrivée chahutée à la tête d'EDF d'une augmentation des salaires de 4,4 %.

* Enquête annuelle sur les budgets d'augmentation, réalisée auprès de 313 sociétés, parue en octobre 2009 (lire Entreprise & Carrières n° 971).

L'essentiel

1 Les augmentations annoncées tiennent dans une fourchette de 2 % à 2,5 % en moyenne, avec encore des gels dans certaines entreprises. Et l'inflation en 2010 pourrait dépasser 1 %.

2 Après une année de crise, salariés et organisations syndicales réclament un coup de pouce. Une tension qui réactive diverses sources de conflit.

3 Pour faire face à l'incertitude sans menacer la paix sociale, les DRH introduisent d'autres mesures dans la NAO : prime exceptionnelle d'intéressement, abondements améliorés au Perco, clause de revoyure...

Variable et individualisation à l'épreuve de la crise

Les augmentations générales restent la revendication majeure des organisations syndicales, les rémunérations individuelles, notamment pour les cadres, ne faisant souvent même pas partie de la négociation. Même les entreprises qui n'accordent jamais d'augmentations collectives ont parfois modifié leurs pratiques... de distribution des augmentations individuelles. « Notre direction américaine ne veut pas d'augmentations générales, explique, ainsi, la responsable des rémunérations d'une filiale française du secteur de la distribution agroalimentaire. Mais nous avons resserré la fourchette des versements individuels avec des maximums de 3 %, contre 5 % l'année dernière. » Résultat : une moins forte sélectivité, qui permet de distribuer plus faiblement, mais plus largement les augmentations. « Mais nous avons bien souligné le caractère exceptionnel de la mesure », relativise cette responsable.

Difficiles à gérer

Les rémunérations variables, le plus souvent individualisées, représentent une autre difficulté à gérer en période de contraction prolongée de l'activité, alors qu'elles ont été élaborées dans des périodes de croissance. « Même si les résultats sont en baisse, les entreprises font le choix de maintenir le niveau des rémunérations liées à la performance, sachant qu'elles avaient déjà baissé de 15 % à 20 % le niveau des enveloppes de part variable en 2009 », indique une enquête de Towers Watson publiée en novembre dernier. Elles ont essentiellement mesuré la performance relative ou revu les plafonds d'objectifs à la baisse.

G. L. N.

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