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Violent coup de frein pour les jeunes diplômés des quartiers populaires

Enquête | publié le : 08.12.2009 |

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Violent coup de frein pour les jeunes diplômés des quartiers populaires

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Augmentation de la concurrence entre diplômés, frilosité des entreprises : la crise a fortement amplifié les difficultés d'insertion des jeunes diplômés des quartiers populaires. Les associations se mobilisent pour tenter de pallier leur déficit de réseaux.

Président d'APC Recrutement, un cabinet de recrutement associatif spécialisé dans le placement de jeunes diplômés issus des zones urbaines sensibles (ZUS), Karim Zéribi tire la sonnette d'alarme : « La crise semble avoir réduit à néant tous les progrès réalisés en matière d'égalité des chances, déplore-t-il. Encouragées par le développement des politiques de responsabilité sociale et de diversité, les pratiques des entreprises évoluaient sensiblement avant la crise. Les recruteurs prenaient contact avec nous, se montraient sensibles à notre démarche. Aujourd'hui, c'est un véritable coup de frein. »

Une chute de 50 %

Le cabinet, qui parvenait, bon an mal an, à placer 250 jeunes, ne pense pas dépasser les 100 ou 150 placements cette année. En l'espace d'un an, le nombre d'offres d'emploi qu'il reçoit de ses entreprises partenaires a accusé une chute de 50 %. « Les jeunes diplômés qui sont encore reçus quittent souvent les recruteurs avec le sentiment d'avoir bénéficié d'un entretien de courtoisie, l'entreprise s'étant un jour engagée à travailler avec notre cabinet », déplore Karim Zéribi, qui n'hésite plus à parler de « dysfonctionnement » des services de recrutement. « En période de crise économique, les employeurs vont, une fois de plus, se concentrer sur les profils dont ils ont l'habitude et renoncer à donner une chance à celui dont le nom ou l'adresse inspire le doute. » Une situation particulièrement préoccupante, compte tenu du - déjà - fort taux de chômage des jeunes domiciliés en ZUS : 40 %, soit deux fois celui des autres jeunes de la même génération.

Responsable du recrutement chez Areva, Jérôme Eymery est bien conscient de ces difficultés : « En période de crise, la concurrence accrue entre les candidats ne joue pas en faveur de la diversité. Si vous ne renforcez pas vos efforts de sourcing pour maintenir une part importante de candidatures de jeunes diplômés issus des quartiers populaires, vous vous retrouvez avec une proportion écrasante d'ingénieurs de grandes écoles correctement aiguillés par leurs professeurs vers les entreprises qui recrutent. » Fidèle à son engagement en faveur de la diversité ethnique et culturelle, le groupe Areva s'efforce donc, cette année, d'intensifier sa présence sur les forums de recrutement des universités, notamment celles de la périphérie parisienne. « Pour donner leur chance à ces candidats, nous avons également alerté nos recruteurs sur le fait qu'il leur faudra parfois revoir à la baisse leurs exigences relatives au niveau d'anglais, un critère qui handicape généralement tous ceux qui ne sortent pas d'une grande école », souligne Jérôme Eymery. 

Mobilisation du monde associatif

Afin de limiter au maximum la dégradation de la situation, le monde associatif s'est fortement mobilisé. Au printemps, l'Association pour l'emploi des cadres (Apec) a, ainsi, mis sur pied une opération «Egalité des chances» destinée à rapprocher les jeunes diplômés des ZUS des structures d'accompagnement de l'Apec. « Une opération pilote, lancée en 2006 en Seine-Saint-Denis, avait donné de bons résultats, explique Pierre Lamblin, directeur des études et des recherches de l'Apec. Nous avons décidé de généraliser l'expérience. » L'association a donc embauché en CDD d'un an 21 «chargés de recherche», jeunes diplômés eux aussi, formés à la gestion des ressources humaines et choisis pour leurs capacités à entrer en contact avec le public visé. « La principale difficulté est, en effet, d'identifier ces jeunes diplômés, souligne Pierre Lamblin. S'ils s'inscrivent fréquemment sur notre site, ils franchissent rarement la porte d'un centre Apec. Les choses se compliquent encore après quelques mois, car les jobs alimentaires qu'ils occupent alors souvent leur font perdre le peu de visibilité qu'ils avaient jusqu'alors. »

Relai syndical

Le 11 février dernier, a également eu lieu, à Paris, une opération inédite : répondant à l'appel d'APC Recrutement, un syndicat - les fédérations CFDT de la banques et des services -, organisait dans les locaux de son propre siège un forum de recrutement à destination des jeunes des quartiers populaires. « Ce sont nos équipes syndicales qui ont relayé la demande d'APC Recrutement auprès des DRH des secteurs de la banque et de l'assurance », explique Laurent Mahieu, de la CFDT Cadres. Pendant toute la journée, sept entreprises - la Société générale, les Banques populaires, le Crédit mutuel, HSBC, Generali, AXA et la Macif - ont rencontré 100 jeunes diplômés (de bac + 2 à bac + 5), sélectionnés et coachés par APC Recrutement. Décevante, la moisson - six embauches et une offre de stage - n'a pas pour autant découragé Karim Zéribi, qui espère renouveler l'expérience avec le secteur de la distribution.

La diversité, question de dialogue social

Le président d'APC Recrutement reconnaît également avoir pris contact avec d'autres syndicats. « Les organisations syndicales sont incontestablement trop silencieuses sur ce sujet. La diversité est pourtant une question de dialogue social de premier plan, explique Karim Zéribi, qui voit dans ces forums d'un nouveau genre une occasion de faire bouger les lignes. Du côté de la CFDT, on reconnaît que l'initiative augure des multiples voies qui s'ouvrent au syndicalisme de service. Pour le moins, cette première journée aura bousculé l'image des syndicats aux yeux des participants. « Les jeunes qui étaient présents étaient très surpris que la CDFT se penche ainsi sur leurs difficultés, raconte Régis Versavaud, de la fédération des services. Pour eux, le syndicalisme, c'était les grèves et les manifestations, point barre. »