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« Le sexisme au travail entraîne un vrai gâchis de talents »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 13.10.2009 |

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« Le sexisme au travail entraîne un vrai gâchis de talents »

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Le sexisme imprègne encore beaucoup d'organisations de travail. Il entraîne chez les femmes souffrance et culpabilité et peut freiner leurs ambitions professionnelles. Dans son Petit Traité contre le sexisme ordinaire, Brigitte Grésy propose une boîte à outils pour résister à ces agressions insidieuses.

E & C : Spécialiste des politiques publiques en matière d'égalité professionnelle, vous publiez un livre assez personnel sur le sexisme ordinaire. Pourquoi ?

Brigitte Grésy : Beaucoup de femmes m'ont fait part de remarques ou d'attitudes sexistes dans leur travail, qui les déstabilisaient. Pour ma part, j'ai toujours été sensible, dans toute ma carrière, aux stéréotypes qui connotent dans un sens ou dans un autre. J'ai vu comment se jouent, parfois, des relations hommes-femmes qui étaient perverties par autre chose que la simple compétition entre deux personnes. C'est pourquoi j'ai voulu témoigner, mais aussi donner des outils aux femmes pour débusquer et dépasser les stéréotypes. C'est, en quelque sorte, un devoir vis-à-vis de la jeune génération. A un moment donné, il faut transmettre !

E & C : Qu'est-ce que le sexisme ordinaire ? Touche-t-il tous les milieux professionnels ?

B. G. : Le sexisme ordinaire, ce n'est pas ce qui est susceptible de faire l'objet d'un recours devant un juge : ce n'est pas le harcèlement sexuel, ni le harcèlement moral, ni l'agression caractérisée. Contre cela, il y a des lois. Ce que j'ai voulu débusquer, ce sont tous ces petits signes infinitésimaux, tout ce qui est insidieux, sournois, ces sourires goguenards, ces dos qui se tournent, ces petits mots qui cassent, cette façon de vous éjecter d'un dossier parce qu'on préfère rester entre hommes. Autrement dit, c'est tout ce qui relève de la subtile mise de côté et de la délégitimation des femmes au travail. Le sexisme ordinaire est surtout présent dans les organisations du travail très hiérarchisées, qu'il s'agisse du privé comme de la fonction publique. J'ajoute qu'il y a, en France, une grande tolérance sociale vis-à-vis du sexisme, beaucoup plus forte que vis-à-vis du racisme et de l'homophobie.

Toutes les femmes peuvent y être confrontées, quelle que soit leur position hiérarchique. Je présente des témoignages de secrétaires intérimaires qui doivent supporter des propos agressifs et blessants de patrons qui leur font «payer» l'absence de leur secrétaire. Vis-à-vis des femmes cadres supérieures, cela se manifestera davantage par de l'exclusion. Parce qu'elles sont minoritaires, on les regarde en fonction de leur sexe non en fonction de leurs compétences.

E & C : Quelles sont les conséquences de ce sexisme ?

B. G. : C'est la souffrance et la culpabilisation. Le sexisme ordinaire sape la confiance des femmes, qui peuvent se sentir responsables, remettre en cause leurs compétences. Or, il faut vraiment qu'elles cessent de se sentir coupables. Ce ne sont pas elles qui sont en cause, ce sont les stéréotypes qui minent la relation. A partir du moment où l'on s'accroche à des stéréotypes dans sa relation à l'autre, on perd une richesse énorme de relations possibles. Le sexisme fige la relation, en fait quelque chose d'unilatéral alors que l'échange, la motivation et donc le travail ne peuvent être véritablement efficaces que si on est dans le bilatéral. A ce jeu-là, tous les hommes sont perdants et l'organisation du travail aussi. C'est un gâchis énorme.

E & C : Comment les femmes peuvent-elles réagir ?

B. G. : A la logique de l'affrontement, qui risque d'aboutir, à moyen terme, à la rupture, je propose de substituer la logique de la confrontation. Cela consiste à utiliser certaines techniques pour amener l'autre à changer. Le recadrage est la technique la plus performante. Il s'agit de substituer le «je» au «tu», car le «tu», ça tue ! A une remarque sexiste, plutôt que de répondre par «Tu es vraiment un pauvre mec», il est préférable d'utiliser le «je» : «Je vis mal cette situation, j'ai un problème de reconnaissance vis-à-vis de ça, cela m'empêche de progresser. Je voudrais que tu m'expliques, je voudrais comprendre». Ce recadrage met l'autre en situation de répondre, non sur l'affectif, mais sur le fond du sujet, et substitue une logique de gagnant-gagnant à une logique de gagnant-perdant. Certes, cela demande un important travail mental. On peut le faire seule, mais on a intérêt à le faire avec des amies ou en réseau. Les réseaux de femmes sont là pour ça.

E & C : A côté de ces stratégies individuelles, vous rappelez dans votre livre la nécessité de solutions collectives, ce qui nous amène aux propositions de votre rapport sur l'égalité professionnelle. Quelles suites vont leur être données ?

B. G. : Si le gouvernement retient mes propositions sur la négociation collective - et le temps partiel -, cela devrait déboucher sur une loi, après concertation des partenaires sociaux. Cette concertation devrait avoir lieu, j'espère, dans les prochaines semaines. Concernant l'augmentation de la proportion des femmes dans les conseils d'administration, il pourra y avoir un projet de loi par le gouvernement ou une proposition de loi déposée par un député ou un sénateur. Je suis plutôt confiante, car il y a eu un élan collectif autour de mon rapport. Est-ce l'effet de la crise ? J'observe, en tout cas, une forte attente de la société en faveur d'un rééquilibrage, la mixité étant appréhendée comme le contre-pouvoir à une gestion purement masculine qui a conduit à la démesure.

PARCOURS

• Brigitte Grésy est, depuis 2006, inspectrice générale des affaires sociales. Elle est l'auteure du Rapport sur l'image des femmes dans les médias, en 2008, et du Rapport sur l'égalité professionnelle, remis en juillet 2009 au ministre du Travail.

• Elle a passé l'ENA en 1989. Elle a été chef du service des Droits des femmes et de l'Egalité, puis directrice de cabinet de la ministre de la Parité et de l'Egalité professionnelle.

• Elle vient de publier Petit traité contre le sexisme ordinaire (éd. Albin Michel), et a ouvert parallèlement un site Internet < www.sexismeordinaire.com > où les femmes sont invitées à livrer leurs témoignages.

LECTURES

Trois femmes puissantes, Marie NDiaye, Gallimard, 2009.

Le coeur cousu, Carole Martinez, Gallimard, 2007.

Les autres, Alice Ferney, Actes Sud, 2006.