Les délocalisations d'entreprises françaises à l'étranger sont, aujourd'hui, un sujet rabâché. Et tout se passe comme si l'on ne pouvait envisager le phénomène que de ce côté-ci du miroir.

Or, à partir d'une étude menée au Nicaragua auprès des ouvriers des usines textiles, les maquiladoras, Natacha Borgeaud-Garciandia, sociologue, inverse très naturellement le regard sur le phénomène des délocalisations. Elle produit, ainsi, un étonnant effet retour qui éclaire la nature du travail aussi bien là-bas qu'ici même. Au-delà du tableau terrifiant de la précarité et de la flexibilité à tous crins produites par la sous-traitance internationale, on comprend mieux ce que sous-tendent les discours sur le «travailler plus pour gagner plus».

Mais, alors que dans cette description de la domination extrême semble résider l'ultime de l'aliénation, l'auteure met en lumière le décalage parfois infime qui peut exister entre la domination et le sujet dominé. Tous deux analysés ici conjointement. Dans cette relation complexe, elle recherche comment celui qui se soumet trouve sa part d'autonomie.

Le travail, même le plus pénible, est vécu comme un bricolage permanent entre le réel, le possible et ce que les individus espèrent pour eux ou leurs enfants. Et la vie qui continue, malgré la fatigue, alimente la machine à produire : les plus miséreux ne cessent de négocier à la marge leur participation au système, nourrissant celui-ci de toute la force de leur désir. Fascinant !

Natacha Borgeaud-Garciandia est sociologue, chercheuse au Conseil national de recherches scientifiques et techniques en Argentine.