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L'industrie automobile navigue à vue

Les pratiques | publié le : 06.10.2009 |

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L'industrie automobile navigue à vue

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La chute sévère des marchés, de l'automne 2008 au printemps 2009, suivie d'une reprise sur plusieurs sites à coups de lancements de nouveaux véhicules et d'effets prime à la casse ont représenté un défi pour les RH du secteur automobile. A quelques variantes près, les constructeurs, PSA et Renault en tête, ont apporté des réponses similaires.

« Des CE extraordinaires qui se suivent comme cela à la pelle, je n'avais jamais vu ça. » L'aveu de ce syndicaliste chevronné d'une usine PSA illustre la succession de vagues hautes (un peu) et basses (surtout) que l'industrie automobile française a traversées en un an. Une large palette de mesures a été mise en place par son groupe, comme par Renault, pour gérer les conséquences en termes d'effectifs.

> Le chômage partiel

Le recours au chômage partiel a été d'une ampleur inégalée : il a concerné plus d'un salarié de l'automobile sur 10 durant le premier trimestre 2009, alors qu'il en touchait moins d'un sur 50 depuis 2003, selon le ministère du Travail. Ford à Bordeaux-Blanquefort l'a appliqué pendant dix semaines consécutives fin 2008.

Indemnisation recalculée

Le phénomène a amené chacun des deux constructeurs français à revoir sa politique. Par son accord de début septembre, PSA suspend pendant douze mois son système de modulation habituel «H +/H-». S'inscrivant dans le nouveau cadre d'indemnisation de l'Etat APLD (Activité partielle de longue durée), le texte ne garantit plus que 75 % du brut, soit 90 % du net, au lieu du maintien de rémunération dans le précédent (mais celui-ci prévoyait une valorisation inférieure du jour rattrappé). La CGT calcule que la révision est plus favorable financièrement au salarié. « Nos habituels compteurs de temps faisaient payer le chômage partiel par les salariés eux-mêmes, en leur imposant de rattraper quasi gratuitement les heures perdues, relève sa section de Sochaux. Mais, le gros de la tempête étant passé, l'accord se limite, de fait, à quelques sites en difficulté plus structurelle. » (Comme Rennes et SevelNord, la joint-venture de véhicules utilitaires avec Fiat dans le Nord.)

Chemin quasi inverse chez Renault : la marque au losange s'éloigne un peu du droit commun, sur lequel elle se calait habituellement, pour appliquer un accord maison d'avril à fin 2009 : le «Contrat social de crise». « Ce bon compromis a permis d'absorber un recul de 20 % d'activité sans toucher aux revenus », estime Fred Dijoux, délégué central CFDT. Le texte homogénéise la situation jusqu'alors très disparate (anticipation de congés, recours au compte épargne-temps, chômage partiel classique...) des salariés confrontés à un arrêt d'activité. Il actionne le levier du compte épargne-temps pour passer des 75 % d'indemnisation de l'Etat au maintien intégral de rémunération (abondement d'un fonds par la non-acquisition de certains jours RTT pour les cadres, lire Entreprise & Carrières n° 968 du 15/09/09).

Trois salariés sur quatre concernés

Plus de trois salariés sur quatre sont concernés, dont les 17 000 cadres et ingénieurs qui ne travaillent que quatre jours sur cinq depuis septembre. Pas question de surcharges, avertit la CFE-CGC. Quant à la CGT, seule non-signataire de l'accord, son délégué central Fabien Gâche ne voit dans l'extension aux cadres-ingénieurs « aucune justification économique à l'heure où la machine repart ». La direction des RH invoque « le temps de latence qui a été nécessaire pour s'accorder avec les IRP sur le nombre de jours pour cette population dont le degré d'activité n'est pas lié aussi étroitement aux commandes de véhicules ».

Chez Toyota, à Valenciennes, le chômage technique, nouveauté, n'est pas allé sans heurts. Ses conditions d'indemnisation ont déclenché la première grève de l'histoire du site, en avril, pour aboutir à un compromis sur 75 % du brut, primes comprises.

> Le yo-yo de l'intérim

Les intérimaires ont joué leur rôle classique de «variable d'ajustement». Peu chez Renault. Davantage chez Toyota, où ils sont passés de 750 à l'automne 2008 à presque zéro en mars 2009 pour remonter à 500 en deux vagues depuis le printemps. « Alors que la première de ces vagues devait se clore en octobre, nous avons décidé d'en prolonger une partie jusqu'à fin janvier. Pour le reste, nous aviserons mois par mois », souligne la direction de l'usine qui compte 3 200 CDI. Elle a choisi de conserver ses trois équipes alors que la chute de cadence, en début d'année, aurait pu justifier de se contenter de deux. Démontages et remontages d'équipes se sont, en revanche, succédé en quelques mois chez PSA, à Mulhouse, Sochaux ou encore Poissy, avec des variations d'intérim de plusieurs centaines d'unités à chaque fois. Là où il réembauche peu après une phase de non-reconductions, le groupe doit cependant composer avec la règle qu'il s'est fixée de ne pas reprendre un même intérimaire au même poste sans un délai de latence donné, à savoir un tiers de la durée du dernier contrat. « Ce qui le conduit à donner la priorité à la mobilité », en déduit Marcel Merat, délégué central CGT.

> Des prêts de main-d'oeuvre

Les constructeurs automobiles pratiquaient le prêt de main d'oeuvre, mais son ampleur constitue la principale nouveauté dans cette palette de mesures. Peugeot-Citroën estime que la mobilité interne a concerné près de 10 % de ses effectifs français. Environ 900 salariés sont, actuellement, affectés à un autre site, par le biais d'un avenant au contrat de travail ou simple ordre de mission, « pour une durée de quelques mois jusqu'à un maximum de dix-huit », indique la direction des RH. Une prime de mission et le paiement d'un logement sur place viennent inciter au déplacement.

Un maëlstrom de grande ampleur s'est instauré, avec ses usines prêteuses (Rennes, SevelNord), ses homologues emprunteuses (le centre logistique de Vesoul), ses prêteuses, qui rappellent, désormais, leurs salariés (Mulhouse), et celles comme Sochaux et surtout Poissy et Aulnay, qui ont prêté et se mettent maintenant à emprunter ! A ces dispositifs temporaires s'ajoute une recherche de mobilité définitive à Rennes. Le site breton, confronté au marasme de son segment de grosses berlines, vise le départ définitif de 850 salariés dans le cadre du PREC (plan de redéploiement des emplois et des compétences). Les pratiques et aides sont comparables chez Renault. Des mouvements s'organisent principalement de Sandouville vers les sites qui ont le vent en poupe comme celui de Flins.

> Objectifs atteints pour les plans de départs volontaires

Les deux constructeurs français n'ont pas fait l'impasse sur les mesures plus radicales de réduction des effectifs permanents. Celui de Renault a dépassé son objectif : il visait 4 000 départs volontaires d'octobre 2008 à avril 2009, il est parvenu à 4 400. La direction n'y voit pas d'heureuse coïncidence, insistant sur un « volontariat à la seule initiative du salarié ». Selon la CGT, la prime de départ équivaut en moyenne à un complément de six mois de salaire.

Autant de voitures avec moins de monde

Chez PSA, le Plan de redéploiement des emplois et compétences atteindra aussi son but de 3 500 départs : il recense 3 472 «adhésions» à mi-septembre alors qu'il reste trois mois d'application. Rennes, seul site avec un objectif spécifique de 850 départs, n'en avait atteint que la moitié à fin juin, si bien que le PREC y a été prolongé jusqu'à fin mars 2010.

Ce plan vient s'ajouter aux 6 600 départs en 2007 et 2008 dans deux dispositifs comparables. Or, à force d'allègement, les syndicats s'inquiètent des risques de dégradation des conditions de travail et de désorganisation. « Au final, cela revient à faire autant de voitures avec moins de monde. Et, dans les fonctions supports, le PREC fait du mal. Des bons sont partis, remplacés par des jeunes qu'on doit former et qui mettront forcément du temps à s'imprégner de la culture d'entreprise. C'est particulièrement notable dans les RH et la maintenance », estime Patrick Schorr, responsable FO à Mulhouse.

Le «volontariat» prévaut, aussi, officiellement, à l'usine de boîtes de vitesse de General Motors à Strasbourg, qui entend se délester de 198 personnes. Pour « anticiper les baisses de volume de 2010 », mais au moment où le site tourne à plein régime, notent les syndicats, dubitatifs.

Les équipementiers n'ont pas mis longtemps à instaurer des mesures plus sévères que le chômage partiel : dépôts de bilan, fermetures d'usines, plans de départs, mais aussi PSE en bonne et due forme. Emblématiques ont été les annonces de Continental, à Clairoix (1 100 salariés sur le carreau), ou la restructuration de Michelin (1 100 emplois concernés). Les suppressions de poste annoncées chez des poids lourds comme Faurecia (1 125 dans la division siège) et Valeo (1600) ont également pesé. Avant ces annonces, l'Usine nouvelle avait déjà comptabilisé 12 000 suppressions dans la filière, constructeurs compris, à fin novembre 2008.

Le balancier amorce toutefois de timides mouvements en sens inverse. Le terme «embauches en CDI» n'est plus tabou chez PSA. Il constitue l'objectif pour au moins une partie des 2 000 contrats de professionnalisation de douze ou dix-huit mois qui sont lancés cet automne.

L'essentiel

1 Les deux grands constructeurs français ont réduit drastiquement leurs effectifs pour répondre à la chute des ventes de voitures.

2 Chacune des marques a utilisé tous les dispositifs disponibles : chômage partiel, prêt de main-d'oeuvre, départs volontaires et PSE.

3 Alors que la demande augmente sous l'effet «prime à la casse», ces importantes réductions d'effectifs pèsent sur les conditions de travail et sur l'organisation.

L'INDUSTRIE AUTOMOBILE EN FRANCE

Effectifs : 475 000 salariés, - dont PSA : 104 500 ; - dont Renault : 60 000.

L'exception Smart

Au milieu de ces secousses, un seul constructeur a mené sa barque avec sérénité : Smart France, à Sarreguemines (Moselle). Sur le site de 1 600 permanents (fournisseurs compris), chômage technique et renvoi massif d'intérimaires sont restés des phénomènes inconnus. Dans l'indifférence des grands médias, qui n'ont pas poussé leur curiosité jusqu'au fin fond de la Lorraine. « La seule mesure que nous avons dû prendre, c'est le renoncement aux heures supplémentaires en 2009 », souligne la direction des RH. Un moindre mal.