Les suicides de salariés à France Télécom défraient la chronique, au point que le président de la République lui-même a souhaité s'entretenir avec le directeur général de l'entreprise. Leurs discussions ont dû porter, bien sûr, sur le mode de management de l'opérateur historique.

Le journaliste et auteur Ivan du Roy, après avoir rappelé les profils des salariés suicidés, effectue une plongée dans l'histoire du groupe depuis une vingtaine d'années. Pour lui, les drames humains qui viennent de se produire ne doivent rien au hasard. Ni les fragilités individuelles, ni le phénomène de la contagion n'expliquent à eux seuls le profond malaise régnant dans l'entreprise aujourd'hui.

A partir des années 1990, l'ouverture du capital de cette grande entreprise publique a signifié le début d'une mutation à marche forcée, à la fois économique et technologique. Pour optimiser ses marges, France Télécom a procédé à un dégraissage drastique des effectifs. Le piège s'est refermé sur nombre de salariés : mutations obligées vers les centres d'appels, volte-face des valeurs de l'entreprise, passant d'une logique de service à une logique commerciale, détérioration du climat social... Le management par le stress, érigé en système par les dirigeants, devait pousser vers la sortie le maximum de personnes. Résultats, selon l'enquête réalisée par l'auteur auprès des syndicats, des salariés, des médecins et des experts en santé au travail : recours aux anxiolytiques, progression des arrêts maladie, augmentation des démissions... et des suicides.

France Télécom, qui était, au moment de sa privatisation, l'un des rares services publics performants, est devenue, dans sa quête de rentabilité à outrance, un exemple édifiant de ce que peut être la souffrance au travail.

Ivan du Roy est journaliste à Témoignage chrétien.