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« La fonction RH devrait sortir grandie de la crise »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 06.10.2009 |

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« La fonction RH devrait sortir grandie de la crise »

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La crise place les DRH en première ligne sur le front du dialogue social. Elle interroge également leurs relations avec le dirigeant de l'entreprise et malmène l'image de leur métier. Ce peut être une souffrance, comme une opportunité supplémentaire de montrer leur valeur ajoutée.

E & C : Les DRH souffrent-ils particulièrement d'avoir à gérer la crise actuelle et ses plans sociaux ?

Mohand Hamoumou : La presse a évoqué, ces derniers mois, «le blues des DRH». Toute généralisation est abusive, mais sans doute sont-ils de plus en plus nombreux à souffrir. La plupart font ce métier parce qu'ils aiment les gens, estimant, comme Jean Bodin, qu'il « n'est de richesse que d'hommes ». Or, l'homme est devenu, dans certaines entreprises, une variable d'ajustement : il suffit qu'un dirigeant annonce un plan social pour que l'action de son entreprise monte ! Le DRH peut alors être contraint d'agir de manière contraire à l'idée qu'il se fait de son métier, c'est-à-dire de licencier quand il estime qu'il y aurait d'autres solutions. Il est dans une situation schizophrénique.

L'ampleur de ce phénomène de souffrance est difficile à appréhender, car les cadres dirigeants en général - dont les DRH - livrent peu leurs états d'âme. Ils n'ont, souvent, personne à qui en parler ; parfois aussi, une compétition interne malsaine les pousse à ne pas montrer leur faiblesse, même passagère. Leur stress est alors renforcé par l'isolement. Mais beaucoup refoulent et nient ce stress... qui peut ressortir sous forme d'ulcère, d'insomnie, d'irritabilité, voire pire.

Pour autant, je pense que cela ne concerne pas la majorité des DRH. Le malaise du plus grand nombre provient plutôt d'une modification de l'image de leur métier : dans la société, dans les médias... on ne parle que du côté négatif de leur fonction et des cas difficiles. Le responsable des ressources humaines devient une sorte de « coupeur de têtes insensible ». On oublie que les licenciements économiques - ou pour faute - n'occupent, heureusement, qu'une toute petite partie de leur mission et que les plans sociaux seraient bien pires s'ils n'étaient pas conduits par des professionnels.

E & C : D'où vient cette modification d'image ?

M. H. : Il y a, depuis quinze ans, une vraie pression dans les entreprises : la mondialisation, en démultipliant la concurrence, contraint à produire toujours moins cher et plus vite, dans une culture, voire un culte de la performance.

Le DRH est celui à qui l'on demande de mettre en place plus de flexibilité, de développer la formation tout au long de la vie et la polyvalence des salariés... Dans ces situations, comme lors de plans sociaux, rendre le DRH responsable relève de la technique classique du bouc émissaire. En tant que bras droit du patron, il peut être la cible de la violence des salariés, alors que cette violence s'adresse à l'entreprise, voire à la société.

E & C : Existe-t-il une manière de ne pas en souffrir psychologiquement ?

M. H. : Si un DRH est en désaccord fondamental avec son dirigeant, il peut tenter de le convaincre et, à défaut d'y parvenir, quitter l'entreprise. Mais lorsqu'il voit que le plan social est nécessaire et qu'il le conduit le mieux possible, il peut rationaliser et vivre avec. Ce «mieux possible» repose sur un bon dialogue social ainsi que sur l'étude de toutes les solutions alternatives aux licenciements. Les retraites anticipées, par exemple, qui avaient constitué l'essentiel des départs lors des crises des années 1980 et 1990, rencontrent encore, en dépit des discours, la faveur d'un grand nombre de salariés. On peut aussi accompagner les projets de création d'entreprise, favoriser le temps partiel... Enfin, travailler sur les critères de choix des gens que l'on va licencier : âge, conjoint salarié ou pas, revenus du couple, nombre et âge des enfants, etc. Mais licencier un jeune technicien qui donne pleine satisfaction plutôt qu'un quinquagénaire ayant un problème d'alcool, par exemple, cela nécessite d'être expliqué. Ceux qui restent s'en trouvent rassurés : si vous avez bien traité ceux qui partent, ils savent qu'eux aussi seront bien traités. C'est le rôle du DRH d'être pédagogue et de s'assurer qu'il n'y a pas de sentiment de mépris.

E & C : Les managers, amenés eux aussi à licencier, sont-ils préparés à cette lourde tâche ?

M. H. : Effectivement, on a beaucoup délégué la fonction RH aux managers, y compris les entretiens de séparation. Ils n'y sont pas toujours préparés. Or, il faut leur donner les éléments objectifs pour qu'ils comprennent la décision. Une formation par jeux de rôles peut aussi leur permettre de compre ndre ce que peut ressentir le salarié, d'apprendre à être bref pour en rester aux faits et éviter de se justifier ou de plaindre. Si le salarié comprend que c'est l'emploi qui est mis en cause, et non pas lui en tant que personne, il ne se culpabilisera pas, gardera l'estime de lui-même... et n'en voudra pas à son manager. Mon expérience m'a prouvé que ce genre de formation fait une vraie différence, pour les deux parties.

E & C : Comment la fonction RH va-t-elle, selon vous, survivre à la crise ?

M. H. : Je pense qu'elle va en sortir grandie, car ce sont les DRH qui sont capables de redonner du sens au travail. Or, ce qui est important pour les grands patrons, c'est la trace qu'ils vont laisser, plus que l'argent. Ils sont en quête de sens pour leur activité et s'interrogent sur la perte de certaines valeurs, sur la montée de l'individualisme et du matérialisme. Dans cette réflexion pour un nouveau modèle de société, le rôle des DRH est d'aider à plus de créativité, d'agilité : il peut s'agir, par exemple, de proposer aux salariés de s'investir dans une action humanitaire un jour par semaine pendant son temps de chômage partiel, d'utiliser la diversité comme une richesse, de faciliter les mobilités fonctionnelles... La crise actuelle peut rappeler que, dans RH, le H veut dire humain.

PARCOURS

• Mohand Hamoumou, docteur en sociologie (EHESS) et titulaire d'un DESS de psychologie clinique, est professeur de GRH et responsable du mastère spécialisé «RH pour entreprises internationales» à Grenoble Ecole de management.

• Il a, notamment, occupé les fonctions de DRH au sein des entreprises Michelin et Lafarge, en France et au Canada.

• Il est, par ailleurs, maire de Volvic et membre du Haut conseil à l'intégration.

LECTURES

Le culte de la performance, Alain Ehrenberg, Calmann-Lévy, 1991.

Le malaise dans le travail, harcèlement moral : démêler le vrai du faux, Alain Ehrenberg, Syros, 2001.

Le manager agile, Jérôme Barrand, Dunod, 2006.