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« Le métier est un instrument toujours à construire et à entretenir »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 22.09.2009 |

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« Le métier est un instrument toujours à construire et à entretenir »

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Réintroduire la «logique métier» dans le travail, c'est autoriser le salarié à se réapproprier l'histoire collective - les gestes, les problèmes, les solutions. Car la notion de métier a été remplacée par la «logique compétence», une approche devenue, au fil du temps, trop individualiste.

E & C : Le mot «compétences» est devenu le credo des managers, mais, paradoxalement, le mot «métier» est, pour vous, une idée neuve. Pourquoi ?

Yves Clot : La logique compétence a été promue contre l'idée de qualification, avec tout ce que cette notion pouvait avoir de rigide et d'institutionnel. Au début, la logique compétence a correspondu à la prise en compte du travail réel, toujours différent du travail prescrit. Il s'agissait d'une approche plus individualiste, au sens où elle était plus respectueuse du sujet, de ce qu'il faisait vraiment. Par la suite, s'est opéré un vrai retournement de la notion de compétence, qui est devenue le support d'un processus de gestion individuelle des carrières. Alors qu'au début, la logique compétence attestait de la réalité du travail, aujourd'hui, c'est l'inverse, la compétence est ce qu'il faut avoir, ce à quoi il faut satisfaire a priori. Réintroduire une logique métier dans le travail, c'est prendre acte du fait que l'individu au travail, n'est pas une simple plateforme de compétences définies par d'autres, mais qu'il doit se réapproprier une histoire collective, des manières réelles de faire et les faire évoluer pour son compte. Cela n'exclut ni la fixation d'objectifs ni l'évaluation de la performance, mais suppose une évaluation «tranquillement conflictuelle», permettant à chacun de trouver du «répondant collectif» entre les normes officielles impersonnelles et l'expérience individuelle.

E & C : Cette opposition logique métiers/logique compétence n'est-elle pas un des derniers avatars de la lutte des classes ?

Y. C. : Quand on parle de métier, on a malheureusement trop tendance à se référer au mythe de l'âge d'or du collectif qui aurait prévalu pendant les Trente Glorieuses, c'est-à-dire à l'idée d'un collectif homogène, soudé par des pratiques identiques. Ce sens du collectif, dans lequel s'est parfois enfermé le mouvement syndical, est obsolète et n'a d'ailleurs peut-être jamais existé. Il n'y a pas, d'un côté, la logique compétence voulue par les employeurs, et, de l'autre, les corps de métiers soudés par un savoir-faire unique hérité du passé.

Avoir du métier me semble, au contraire, résider dans la capacité à supporter la controverse sur les manières de «bien faire». Le collectif prend son sens dans une forme de coopération particulière, qui permet de ne pas tricher avec le réel, c'est-à-dire avec ce qui ne se passe pas comme prévu. Il ne s'agit pas là seulement d'un sentiment d'appartenance défensif fondé sur une identité commune. En s'appropriant l'histoire du métier, chaque individu peut mieux faire le tour des questions professionnelles qu'il a à affronter. Car cette histoire est aussi celle des problèmes rencontrés, des solutions inventées, voire de ce qui est encore irrésolu. Ce n'est pas un moule, mais une manière de ne pas errer seul devant l'étendue des erreurs possibles.

E & C : Le retour de l'idée de métier ne pourrait-il pas alors être une solution au problème de la compétence ?

Y. C. : Bien sûr. Et on peut dire que plus on est seul dans l'exercice de son métier, plus on va vers une logique de service où prévaut la relation individuelle au client ou à l'usager, et plus on a besoin de réfléchir ensemble sur les bonnes manières de faire. L'idée de métier vient de l'industrie, c'est-à-dire d'un secteur où l'on travaillait ensemble. Mais, déjà, le métier résultait de la confrontation des différentes manières de procéder qui permettaient de faire émerger la notion d'ouvrage bien fait. Or, plus les relations à la tâche s'individualisent, plus les métiers sont récents, plus il est nécessaire de réfléchir ensemble aux difficultés que chacun peut rencontrer en l'absence de références collectives historiques déjà intériorisées.

E & C : Comment construire les équipes à partir de cette notion dynamique du métier ?

Y. C. : Le collectif s'instaure quand on met en discussion les différentes manières de faire la même chose. Bien sûr, il y a un plaisir à s'épauler les uns les autres, mais c'est aussi une tâche exigeante, car il n'est pas aisé de rendre discutable entre collègues ce qu'on fait. Nous avons développé des méthodes pour y parvenir. C'est ce qu'on appelle une «clinique de l'activité».

Le métier est, en quelque sorte, un instrument toujours à construire et à entretenir sur la base non seulement de ce qui va bien, mais, surtout, de ce qu'on a du mal à faire. Si l'on revient, par exemple, au domaine des services, qui met en cause l'affect dans les relations du salarié et du client, il est difficile de séparer les réactions personnelles des professionnelles. Les salariés doivent pouvoir réfléchir à la manière de «jongler» avec les deux. Encore faut-il que l'entreprise ne leur réclame pas de la conformité.

On entame la créativité du travail en le résumant à un stock de compétences individuelles à acquérir. La notion de compétence, à son origine, a permis de mettre en évidence la variété du travail réel par rapport au travail prescrit. Il serait dommage de revenir en arrière. C'est bien cette diversité du réel par rapport à la norme simplificatrice qu'il est question de prendre en compte par un travail collectif créateur. Il y va de l'efficacité des équipes et, sans doute, de la santé des travailleurs.

PARCOURS

• Yves Clot est titulaire de la chaire de psychologie du travail au Cnam. Il est responsable de l'équipe de «clinique de l'activité» et directeur du CRTD (Centre de recherche sur le travail et le développement). Il est enseignant de Master et de doctorat.

• Il est l'auteur de plusieurs articles et ouvrages, dont La fonction psychologique du travail (PUF, 1999), Le travail sans l'homme (La Découverte, 1995), Travail et pouvoir d'agir (PUF, 2008).

LECTURES

Soigner le travail, Gabriel Fernandez, Erès, à paraître en octobre.

Refaire son métier, Jean-Luc Roger, Erès, 2007.

Le désir de métier, Florence Osty, Presse universitaires de Rennes, 2003.