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« L'entreprise doit réhabiliter les seniors »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 23.06.2009 |

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« L'entreprise doit réhabiliter les seniors »

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Les entreprises sont désormais tenues de maintenir les seniors dans l'emploi, au risque d'une sanction. Mais le problème de fond est culturel : depuis une vingtaine d'années, les plus âgés sont une variable d'ajustement des effectifs. Les entreprises doivent rétablir un pacte de confiance avec les seniors.

E & C : Les décrets instaurant l'obligation de négocier sur l'emploi des seniors viennent de paraître. Qu'en pensez-vous ?

Viviane Stulz : Cette obligation est intéressante, mais le timing n'est pas idéal. Nous sommes en pleine crise économique et le délai est bien court pour avoir un impact sur le taux d'emploi des seniors.

Thibault Meiers : Ce sont des mesures d'affichage, surtout vis-à-vis de nos partenaires européens. En 2001, le Conseil de l'Europe s'est fixé pour objectif de porter à 50 % le taux d'emploi des seniors à l'horizon 2010. Les mesures d'âge antérieures n'ayant pas abouti, le gouvernement choisit désormais la voie répressive. Mais le problème de fond est culturel et la menace d'une sanction risque d'être insuffisante pour inverser la tendance. Après vingt ans de politiques sociales dont la finalité était de sortir les seniors de l'emploi pour faire baisser les chiffres du chômage, l'âge s'est imposé dans les entreprises comme un critère classant. On a avalisé une discrimination par l'âge. C'est cela qu'il faut changer.

V. S. : Effectivement, quand une entreprise décide de se séparer de salariés, ce sont souvent les plus âgés qu'elle va faire sortir, au prétexte qu'ils ont le moins de potentiel pour l'avenir. On est dans la suite logique de cette époque où existaient les préretraites FNE financées par l'Etat.

E & C : La pénalité prévue par ce décret est-elle dissuasive ?

V. S. : Oui, mais elle n'est pas due, notamment en cas d'accord de branche ayant fait l'objet d'une extension. Quelques branches ont déjà signé des accords «seniors» et les entreprises couvertes n'ont donc pas à négocier. Les autres n'ont que quatre mois pour conclure un accord ou dresser un plan «seniors» en interne. Pour l'instant, les entreprises paniquent un peu. Elles pensaient avoir un répit puisque la pénalité ne devait pas s'appliquer cette année. Occupées par la crise financière, ce sujet n'était pas leur principale préoccupation. Pour les PME, la pénalité va être très lourde. Et quelles mesures vont pouvoir prendre les entreprises des secteurs qui n'ont peu ou pas de seniors - l'informatique, la finance... ?

E & C : La loi vous paraît-elle suffisante pour faire bouger les lignes ?

V. S. : La base du problème est le financement des retraites. Ces décrets sont la suite logique des lois Fillon. Les seniors doivent donc rester sur le marché pour cotiser. Or, la tranche d'employabilité s'amenuise : elle s'étend de 25 à 45 ans !

T. M. : Le modèle que veut mettre en place le législateur va dans le bon sens : les seniors doivent être réhabilités. Ils ont des compétences techniques et un savoir-faire que n'ont pas les juniors. Les entreprises doivent capitaliser là-dessus pour une transmission des savoirs. Les jeunes arrivent sur le marché avec un niveau de formation plus élevé que leurs aînés, mais ils n'ont pas la connaissance du monde du travail. Celle-ci pourrait leur être transmise par ces seniors tuteurs ou coachs. C'est l'un des moyens posés par la loi, mais il ne peut pas être suffisant à lui seul : c'est la gestion des âges qu'il faut redessiner.

V. S. : L'évolution législative est contradictoire. La préretraite à temps partiel a été supprimée, or elle permettait de partir en douceur et de mettre en place le tutorat. Aujourd'hui, il faudrait soit les former pour qu'ils évoluent, soit les diriger vers le tutorat pour transmettre l'histoire de l'entreprise. Mais il reste de moins en moins de seniors dans l'entreprise pour le faire.

E & C : Pensez-vous que les entreprises peuvent mettre en place une GRH pour les seniors ?

T. M. : Les entreprises font de l'ajustement, elles n'ont pas une vraie politique des âges. Elles ne se rendent pas compte qu'en 2020, 37 % des Français auront plus de 50 ans.

V. S. : Elles sont obligées d'agir. Toutefois, il suffit de choisir trois des six domaines proposés à la négociation. Les entreprises seront tentées de passer outre le recrutement de salariés âgés. Quant à la prévention de la pénibilité ou l'amélioration des conditions de travail, il est simple de prévoir quelques aménagements... Et le contour de la gestion des carrières professionnelles est bien vague. Parler d'un plan de carrière pour les seniors de 55 ans est surprenant même si, en théorie, ils peuvent maintenant rester en fonction jusqu'à 70 ans... Le développement des compétences et l'accès à la formation, oui, mais que veut dire former des seniors ? Pour les garder dans l'emploi ? Et qu'en est-il de l'aménagement des fins de carrière, de leur transition avec la retraite ? C'est intéressant si on instaure le tutorat. J'ai le sentiment que la volonté de garder les seniors dans l'emploi n'est pas forcément atteinte par ces grandes lignes du décret.

T. M. : Les leviers d'action proposés ne sont pas innovants. Ils étaient déjà abordés par le rapport Camdessus et le plan de cohésion sociale. D'une manière générale, les mesures d'âge légales se sont révélées inefficaces : les seniors n'ont été qu'une cible subsidiaire des contrats aidés, la contribution Delalande n'a pas marché... C'est désormais aux entreprises de mettre en place une gestion prévisionnelle des âges et de rétablir un pacte de confiance avec les seniors. Pour bâtir cette GRH, faire des seniors les acteurs de la formation est le point le plus intéressant. Au-delà, ce qui s'impose, c'est un changement de mentalité tant des employeurs, qui dénigrent les seniors, que des seniors eux-mêmes, qui ne se réalisent plus dans le travail et prétendent - pour certains - un peu vite à la retraite. Mais il y a des obstacles culturels à franchir, car il manque encore une politique globale. Qu'il s'agisse du gouvernement, du législateur ou des entreprises, tous fonctionnent par ajustements, plus souvent en phase de réaction que d'anticipation.

PARCOURS

• Viviane Stulz est avocate spécialisée en droit social, et a plus de vingt ans d'expérience dans le conseil aux entreprises.

• Elle est l'auteure de nombreux articles et de deux manuels : Transactions et départs négociés (EFE, 2000) et Les transferts d'entreprises, les enjeux sociaux (EFE, 2004).

• Thibault Meiers est avocat à la Cour. Il conseille les entreprises en droit social dans leur gestion quotidienne des ressources humaines.

LEURS LECTURES

La fatigue des élites : le capitalisme et ses cadres, F. Dupuy, Seuil, 2005.

L'âge de l'emploi : les sociétés à l'épreuve du vieillissement, A.-M. Guillemard, Armand Colin, 2003.

Quel rôle l'âge joue-t-il dans la gestion du personnel, L. Richet-Mastain, F. Brunet, in Problèmes économiques, 3 juillet 2002.

Quelle gestion du vieillissement démographique dans les entreprises ?, C. Minni, A. Topiol, in Problèmes économiques, 15 mai 2002.