Alors même que le temps de vie active se réduit comme peau de chagrin, le travail n'a jamais été aussi central pour prendre sa place dans la société. Tous les liens sociaux semblent peu à peu devenir des liens marchands. Ces derniers se sont substitués, via le chèque emploi service, par exemple, à des activités essentiellement domestiques et familiales comme les soins à la personne. On pourrait aujourd'hui salarier ses parents pour garder leurs petits-enfants... Avec, pour conséquences directes, un appauvrissement des rôles sociaux autres que professionnels.

Lorsqu'il est privé de travail, l'individu est donc privé du sentiment même de son utilité vis-à-vis des autres et de sa valeur à ses propres yeux. Pourtant, quand il occupe un emploi dans le secteur privé, l'individualisation de la gestion des ressources humaines l'entraîne vers une posture narcissique, le détournant de cette conscience collective qui l'inscrit dans la société.

Par ailleurs, l'emploi, dans ce cas, assujettit l'individu à une cause partisane : celle de l'entreprise pour laquelle il travaille. Tout se passe alors comme si l'idéal, le sens de la mission humaine avaient fui le travail alors même que toute valeur sociale semble s'y réfugier. Une partie des ressentiments des salariés du privé à l'égard de ceux du public tient sans doute dans cette atrophie du sens collectif du travail. Les salariés du public qui peuvent, pour leur part, se prévaloir de servir l'intérêt général, ne sont pas prêts à voir arriver dans la fonction publique les principes de management par la concurrence à l'oeuvre dans le privé.

Danièle Linhart, sociologue du travail, tente de mieux cerner les termes de ce paradoxe qui isole l'individu alors même qu'il le rend plus dépendant des organisations.

Danièle Linhart est sociologue du travail et directrice de recherche au CNRS.