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Le casse-tête de l'obligation de reclassement

Les pratiques | publié le : 03.03.2009 |

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Le casse-tête de l'obligation de reclassement

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Pour être en règle avec l'obligation de reclassement avant tout licenciement économique, les entreprises sont contraintes de pister les postes vacants partout où ils se trouvent, en France comme à l'étranger, au risque de proposer aux salariés concernés une mobilité peu attrayante.

Le 4 avril 2005, neuf salariés licenciés de la PME alsacienne Sem-Suhner recevaient une proposition de reclassement dans une entreprise en Roumanie. Salaire proposé : 110 euros mensuel. Quelques semaines plus tard, une entreprise bretonne en difficulté, Max Sauer, mettait à la disposition de ses salariés des postes, cette fois à l'île Maurice, rémunérés 117 euros. A l'époque, ces affaires avaient fait grand bruit. « Pourtant, tous les avocats en droit social auraient recommandé à ces chefs d'entreprise de publier de telles offres », assure David Jonin, avocat associé de Gide, Loyrette et Nouel. En jeu : remplir leur obligation de reclassement avant la mise en place effective d'un PSE.

Cette dernière ne date pas d'hier, mais divers aménagements ont fait parler d'elle. Ainsi, en 1995, « l'arrêt «Vidéocolor» étendait le cadre des reclassements potentiels au niveau du groupe auquel appartient la société, y compris à l'étranger. Les limites géographiques n'avaient donc plus cours », explique David Jonin. Trois ans plus tard, un autre arrêt réduisait, toutefois, les possibilités de reclassement à l'intérieur du groupe au périmètre d'activité de l'entreprise. « Autrement dit, les offres d'une filiale textile n'étaient pas valables si les salariés travaillaient dans l'automobile », précise Me Yves Fromont, du cabinet Fromont et Briens. Puis, il a été dit qu'une proposition de reclassement pouvait concerner un poste à l'étranger, dès l'instant où la législation applicable localement n'empêchait pas l'emploi de salariés non nationaux. Dernier tournant : l'inscription en 2002 de cette obligation de reclassement dans le Code du travail.

Obligation de résultats

Depuis, un licenciement pour motif économique ne peut intervenir qu'après l'impossibilité de reclasser le salarié à un poste relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou à un poste équivalent, ou, à défaut, et sous réserve de l'accord du salarié, à celui d'une catégorie inférieure dans l'entreprise ou dans les entreprises du groupe. Yves Fromont l'affirme : « Nous sommes passés d'une obligation de moyens à une obligation de résultats. »

Double précaution

Concrètement, quelles sont les conséquences pour l'employeur ? Tout d'abord, celle de prendre une double précaution. « L'obligation de reclassement intervient avant la notification du licenciement, soit avant le PSE. Le chef d'entreprise doit donc bien différencier les offres consécutives à cette obligation de celles liées aux mesures de reclassement contenues dans le plan », indique Yves Fromont. Stéphane Béal, directeur adjoint du département de droit social au cabinet Fidal, ajoute qu'« il doit donc répondre à l'obligation collective, qui conduit la direction à rechercher, identifier et lister tous les postes disponibles dans l'entreprise et le groupe, et à l'obligation individuelle qui intervient après l'énoncé des critères établis dans le PSE ». Sur ce dernier point, une précision a été apportée par le Conseil d'Etat, avancée par Caroline Heubès, avocate du Cabinet Latham & Watkins : « Une entreprise peut adresser une même offre simultanément à plusieurs salariés. A l'employeur, ensuite, si plusieurs d'entre eux sont intéressés, de sélectionner celui qu'il veut recruter. »

Mais cet exercice n'est pas si simple. « Rechercher l'ensemble des postes à pourvoir dans un groupe suppose de connaître l'intégralité des entités qui le compose. Ensuite, il faut activer l'ensemble du réseau RH et, à défaut, opérationnel », démontre Me Béal. Et ce, aussi bien en France qu'à l'étranger. Comme le confirme Me Agnès Cloarec-Mérandon, de Latham & Watkins : « Tout est admissible, dès lors que les postes identifiés correspondent aux profils concernés par le reclassement. » Une fois ces emplois localisés, encore faut-il être précis : titre, profil, rémunération, temps de travail, droit applicable (en cas de poste à l'étranger). « Il faut tout savoir, ce qui suppose la relance de ses interlocuteurs internes. Celle-ci devenant, en cas de contentieux, la preuve de l'effort engagé », affirme l'avocat de Fidal. Evidemment, ces manoeuvres se déroulent sur plusieurs semaines. Les postes présentés comme libres hier ne le sont peut-être plus. D'où la nécessaire actualisation des listes.

A la fin de ce processus, l'obligation de reclassement sera considérée comme remplie. « Même si tout cela reste subjectif, signale Me Jonin. Comment, en effet, être sûr que tout a été fait ? » Le 13 novembre dernier, la question s'est posée aux juges de la Cour de cassation. « Dans l'affaire en question, un employeur avait proposé à une salariée un poste que celle-ci avait refusé en invoquant son souhait, pour des raisons familiales, de ne pas s'éloigner de son domicile. L'employeur avait alors limité ses recherches à un périmètre géographique situé non loin du domicile de la personne. N'ayant rien trouvé, il a dû se justifier après que la salariée a saisi la justice. La Cour, elle, a conclu qu'il n'avait pas manqué à son obligation, car la salariée avait expressément indiqué ses souhaits », rapporte Agnès Cloarec-Mérendon. Elle note, cependant, que cet arrêt s'oppose à une précédente jurisprudence indiquant qu'un employeur ne pouvait limiter ses offres en fonction d'une éventuelle acceptation ou d'un refus supposé des intéressés.

Sanction financière

Le risque ? Voir le licenciement déclaré sans cause réelle et sérieuse, assorti de dommages et intérêts. Me Cloarec-Mérendon évoque, à ce propos, la sanction financière infligée par la cour d'appel de Paris, le 29 janvier dernier, à l'entreprise General Trailers : « 3,6 millions d'euros à verser à 84 salariés, licenciés en 2004, pour manquement à l'obligation de reclassement. »

Dans les faits, les employeurs proposent les postes là où ils se trouvent, en France ou à l'étranger, même si une instruction ministérielle du 23 janvier 2006 leur précise qu'un reclassement doit être en adéquation avec les attentes légitimes d'un salarié, notamment en ce qui concerne la rémunération. En clair : un poste proposé à l'étranger doit être rémunéré au-dessus du Smic. Du coup, les employeurs aménagent les offres supposant une mobilité géographique, notamment en prévoyant des allocations temporaires dégressives. Celles-ci sont prévues pour augmenter le salaire sur le nouveau poste, au moins pour un temps, afin de le rendre plus attractif. Les frais de déménagement peuvent aussi être pris en charge ainsi que l'aide à la recherche d'emploi pour le conjoint.

Peu de mobilité géographique

Mais force est de constater que peu de salariés acceptent de changer de région, et encore moins de pays. « Surtout quand ils se trouvent dans un bassin d'emploi relativement actif. Ils préfèrent alors refuser le poste, être licenciés économiquement et bénéficier des indemnités prévues dans le cadre du PSE », explique Me Fromont.

L'essentiel

1 L'obligation de reclasser les salariés avant leur licenciement économique contraint l'entreprise à rechercher des postes dans toutes ses filiales, sans limite géographique.

2 L'employeur est tenu de lister puis de proposer tous les postes disponibles correspondant à l'ensemble des profils à reclasser. Un processus long mais incontournable.

3 Les reclassements de salariés qui supposent une perte de salaire, notamment à l'étranger, sont aménagés financièrement pour les rendre plus attractifs.