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« Intégrer les risques humains à la stratégie de l'entreprise »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 24.02.2009 |

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« Intégrer les risques humains à la stratégie de l'entreprise »

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Les risques psychosociaux dans l'entreprise sont généralement considérés sous un angle RH et sont peu anticipés. Une véritable prévention passe par une approche business de ces risques et par leur intégration à la stratégie de l'entreprise.

E & C : Vous venez de consacrer un ouvrage aux risques psychosociaux. Pouvez-vous revenir sur la définition de ces risques ?

Bénédicte Haubold : Les risques psychosociaux, tels qu'on les évoque généralement, constituent une notion fourre-tout qui rassemble des phénomènes aussi divers que le stress, le harcèlement moral ou sexuel, les violences, la charge de travail, les troubles musculo-squelettiques... Mais on ne parle que des symptômes, jamais des risques, c'està-dire de la potentialité qu'une souffrance ou un malaise se produise. Il me semble donc important de poser que les risques psychosociaux sont des tensions humaines potentielles liées à la mise en oeuvre d'une stratégie d'entreprise dans un environnement concurrentiel particulier. C'est pourquoi je parlerais plutôt de «risques humains».

E & C : Les risques humains sont donc liés à la stratégie de l'entreprise. Et pourtant, n'est-ce pas un sujet stratégique pour elle ?

B. H. : Actuellement, les risques humains sont envisagés essentiellement d'un point de vue psychologisant ou ergonomique, jamais d'un point de vue business. Pour les équipes de direction, s'intéresser à ces risques relève donc plus d'une action humanitaire que d'un projet stratégique important à mettre en oeuvre et connecté avec la réalité économique. Elles s'y intéressent à partir du moment où les symptômes apparaissent, lorsqu'il existe un risque juridique, d'image ou de business. Mais il existe très peu de réflexions en amont du comité de direction pour mener une analyse stratégique des risques humains, c'està-dire les intégrer activement à la stratégie de l'entreprise.

E & C : Comment mettre la prévention des risques au coeur de l'entreprise ?

B. H. : Prenons l'exemple de la frénésie de réorganisations à laquelle on assiste dans de nombreuses entreprises. Actuellement, il n'y a aucune prise en compte de l'usure psychique qu'elles génèrent chez les salariés. Pas plus qu'il n'existe de réflexion en amont sur la raison pour laquelle il est vraiment nécessaire de changer, de se réorganiser constamment. Or, on s'aperçoit que l'usure psychique sur les équipes a de forts impacts sur le business. Les salariés ne voient pas le sens de leur action et sont de moins en moins engagés. Au Canada, certaines entreprises ont pris la mesure de ce risque. Dans le comité de direction siège une personne qui a pour mission d'attirer l'attention sur les risques liés aux changements. Elle joue, en quelque sorte, le rôle de garde-fou et permet de réfléchir au bien-fondé de ces réorganisations.

En France, je vois apparaître de nouvelles fonctions, comme celles de responsables des risques psychosociaux rattachés à la DRH. Ces personnes pourraient tout à fait jouer ce rôle de garde-fou au niveau du comité de direction. Elles ont essentiellement un rôle lié à l'organisation du travail, ce qui est particulièrement intéressant pour faire le lien entre stratégie et organisation.

E & C : Comment créer ce lien ?

B. H. : Il est d'abord nécessaire de faire une analyse stratégique détaillée de l'entreprise. Cela passe, notamment, par celle de sa concurrence, de sa stratégie, de la répartition de son capital, de son organisation, de sa culture, de sa politique RH... Les risques seront alors rendus lisibles et, surtout, opérationnels.

A partir de là, l'entreprise doit réfléchir à son niveau de «risque humain acceptable». Ce niveau varie d'une entreprise à l'autre et doit être validé par ses principaux acteurs. L'analyse des risques passe aussi par celle de documents et par un repérage d'un certain nombre d'indices. Par exemple, dans le cas du risque d'usure suite aux changements incessantes, les indicateurs pourront être le nombre de réorganisations pour une même business unit au cours des dix-huit derniers mois ; le nombre d'arrêts de travail, de visites spontanées à la DRH, etc. Il faut aussi relever les indicateurs business : comparaison entre les gains réels de la réorganisation et les gains espérés ; bilan de la réorganisation par rapport à l'atteinte ou non des objectifs stratégiques. En croisant les risques observés avec ce qui est perçu comme acceptable ou non acceptable, on détermine un plan d'action concret, avec pas plus de trois ou quatre actions à mener pour que l'entreprise s'y consacre vraiment et l'intègre à sa stratégie. Ce plan d'action est suivi, à un niveau collectif, par l'équipe de direction, le CHSCT, etc.

E & C : Les risques humains sont-ils donc envisagés comme tout autre risque ?

B. H. : C'est effectivement une optique très business, comme cela se pratique pour tout le reste, par exemple lors d'une décision d'investissement. La prise en compte des risques humains avant une réorganisation permet de sélectionner les meilleures pratiques, d'améliorer les processus de décision... et de réfléchir à deux fois avant de réorganiser et de demander aux salariés d'être complètement flexibles.

PARCOURS

• Bénédicte Haubold, titulaire d'un DESS de psychologie clinique, a été consultante à l'hôpital de Garches, dans la cellule «malaise au travail». Experte en risques psychosociaux, elle a créé, en 2003, le cabinet Artélie.

• Diplômée en droit des affaires et en management stratégique (Mastère HEC), elle a travaillé plusieurs années dans des grands groupes, dans le domaine de l'audit financier.

• Elle est l'auteure de nombreux articles sur le sujet et de livres, dont Vertiges du miroir. Le narcissisme des dirigeants (éd. Lignes de repères, 2006).

• Elle vient de publier Les risques psychosociaux : quels enjeux pour l'entreprise ? (éd. d'Organisation).

SES LECTURES

Eloges, Saint-John Perse, Poésie Gallimard, 1967.

La colère d'Achille, Charles Ficat, éd. Bartillat, 2006.

L'homme et ses symboles, Carl G. Jung, Robert Laffont, 2002.