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« Il faut coupler aménagement et organisation du travail »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 16.12.2008 |

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« Il faut coupler aménagement et organisation du travail »

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Il n'existe pas de modèle prédéfini d'aménagement de l'espace de travail qui garantirait une meilleure efficacité. Il faut prendre en compte les usages des salariés et être attentif à ce que l'organisation du travail et le management soient cohérents avec l'aménagement retenu.

E & C : Quelles tendances observez-vous concernant les pratiques des entreprises en termes d'aménagements d'espace ?

Michael Fenker : Il est important de mettre en parallèle deux choses : l'aménagement des bureaux leur composition, leur configuration - et le rapport entre les entreprises et le patrimoine immobilier. De plus en plus d'entreprises recherchent la flexibilité et ne souhaitent pas immobiliser leurs capitaux dans le bâtiment. Elles privilégient la location, mais cela implique une perspective réductrice, car elles doivent s'adapter à l'offre disponible sur le marché.

Par ailleurs, l'augmentation actuelle de la profondeur des bâtiments a un impact très fort sur l'aménagement et favorise les espaces ouverts ainsi que le décloisonnement. Ces tendances lourdes ont pour conséquences une certaine monotonie de l'architecture tertiaire et une uniformisation des aménagements de bureaux.

E & C : Comment jugez-vous la multiplication des espaces ouverts ?

M. F. : Ce qui me dérange profondément, c'est que deux arguments sont mis en avant pour faire de l'open space : d'une part, une réduction des coûts et une optimisation de l'espace ; et, de l'autre, une meilleure communication/collaboration entre salariés. Mais, par expérience empirique et par mes recherches en entreprise, j'ai pu constater qu'il y a une grande différence entre l'espace conçu et l'espace perçu. En installant des bureaux ouverts, il n'y a aucune garantie que les gens communiquent davantage entre eux. Et lorsque je propose des études pour évaluer les effets d'un aménagement en open space sur l'activité d'une entreprise, elle me les refuse. C'est regrettable ! Les entreprises devraient prendre le temps d'évaluer le retour sur investissement et les éventuels coûts cachés, d'analyser ce que génère la perception de l'environnement sur la motivation, la productivité, l'absentéisme, etc.

E & C : Les open space ont été récemment très critiqués. Qu'en pensez-vous ?

M. F. : Je ne condamne pas d'emblée les espaces ouverts, mais ils doivent correspondre à un besoin étudié et mis en perspective. Certains peuvent très bien fonctionner - rédaction d'un journal, salle de marché, plateau projets... -, mais il ne faut pas appliquer une doctrine sans analyser les besoins ni les usages des gens. Quelle est la nature de leurs activités ? Quels sont leurs besoins en termes de communication, d'isolement, de réunion... ? Quelles situations ont-ils à affronter ?

On peut avoir de magnifiques idées et outils - réservation à distance des bureaux, conciergeries, etc. -, mais attention de ne pas oublier d'analyser ce à quoi ils vont réellement servir et comment ils sont perçus. La symbolique de l'espace doit également être prise en compte.

E & C : Que faudrait-il faire ?

M. F. : Il faut coupler aménagement et organisation du travail. On ne peut pas avoir, d'un côté, de l'open space, des tables de réunion, des coins repos... et, de l'autre, un management qui dit tout le contraire. Si, en apparence, l'aménagement de l'espace évoque la communication, la transparence, mais que, dans la réalité, cela n'est pas le cas, on aboutit à un contresens ! Personne ne peut faire faire à l'aménagement ce que le management ne fait pas. Il faut veiller à ce que la communication et le management suivent dans la durée. C'est là qu'intervient l'évaluation. Un espace qui faisait sens à un instant T peut ne plus le faire en cas de crise ou de changement dans l'organisation. Il faut régulièrement se demander si le sens est connu et partagé de tous. Ou s'il existe des écarts. Dans ce cas, il convient de procéder à des reconfigurations et à des réajustements, par exemple des règles d'utilisation de l'espace. Il ne s'agit pas de nier les contraintes des entreprises et la nécessité d'optimiser les coûts, mais de faire attention à la différence entre efficacité et efficience.

E & C : Quelle doit être la place des DRH dans les projets d'aménagement ?

M. F. : Une position radicale serait que le DRH soit le chef de projet. En disant cela, je ne suis pas qu'un doux rêveur, puisque cela existe ! En Australie, par exemple, la National Australia Bank, née de la fusion de trois banques, soit plus de 6 000 salariés concernés, a confié au DRH la maîtrise d'ouvrage de son nouveau siège social à Melbourne, estimant qu'il s'agissait d'un enjeu majeur. Cet aménagement était l'un des moyens d'arriver à une nouvelle organisation du travail et à un rapprochement de cultures d'entreprise fort différentes. La banque, qui considère ce bâtiment comme un outil de management, a chargé un prestataire de services externe de rendre l'espace opérationnel au quotidien et dans la durée.

En tout cas, le DRH doit être codécisionnaire, car toute démarche de transformation de l'espace a inévitablement un effet sur les situations de travail des futurs occupants. Un projet spatial doit intégrer plusieurs logiques : la logique de bâtiment, bien sûr - valeur patrimoniale, bonne situation géographique, flux, équipements, etc. -, mais aussi la logique d'image - symbolisme et esthétique soutiennent la communication de l'entreprise - et la logique de management, cherchant à organiser le travail et à favoriser la productivité.

Pour appréhender ensemble ces logiques, il peut être utile d'introduire un troisième acteur connaissant bien les usages des lieux, l'exploitant ou l'entité utilisatrice, entre le maître d'oeuvre et le maître d'ouvrage. Cette prise en compte des utilisateurs finaux constitue le premier pas vers une meilleure acceptation du changement.

PARCOURS

• Michael Fenker est chercheur au Laboratoire espaces travail à l'Ecole nationale supérieure d'architecture ParisLa Villette. Il est architecte diplômé de l'université de Kassel (Allemagne) et docteur en gestion de l'Ecole polytechnique.

• Il réalise des recherches et des interventions en entreprises sur l'usage, la conception, la négociation et la gestion des lieux de travail.

LECTURE

Espace de travail : une ressource stratégique, François Lautier, in Sciences humaines, n° 77, novembre 1997.

FILM

Espaces du travail, film de 26 minutes pour la Cinquième, dans le cadre de la série Architectures de l'habitat, de Thérèse Evette, réalisé par Alain Moreau, Lieurac Productions, 2000.