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Un vent mauvais souffle sur les complémentaires

Dossier | publié le : 14.10.2008 |

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Un vent mauvais souffle sur les complémentaires

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Alors que la mise en oeuvre des contrats collectifs obligatoires s'avère plus compliquée que prévu, les entreprises ont devant elles des échéances bien peu engageantes pour 2009, dans un contexte où la pression tarifaire sur les cotisations s'accentue. La protection sociale complémentaire vit des heures mouvementées.

Sortir la protection sociale complémentaire du périmètre de l'entreprise pour confier la «patate chaude» aux branches ! Cette suggestion, un tantinet provocatrice, formulée mezza voce par certains DRH, dénote le malaise qui entoure actuellement la gestion des régimes collectifs santé et prévoyance.

Ces sujets, qui constituent traditionnellement des temps forts de dialogue social, sont désormais traînés comme des boulets par les entreprises, en particulier les plus petites et les moins armées d'entre elles. En cause : un environnement juridique qui, sur fond de déficit de l'assurance maladie (estimé à 4 milliards d'euros en 2008) et d'augmentation des dépenses de santé (+4,3 % en 2007, à 206,5 milliards d'euros), joue les caméléons tout en forçant les acteurs à se mettre au diapason d'une technicité toujours plus exigeante. Sans compter l'impact, en espèces sonnantes et trébuchantes, de ces évolutions sur les comptes des entreprises.

Un certain désarroi

« Les DRH, dans leur souci de préserver la paix sociale, ne veulent surtout pas entendre parler de la mutuelle. Or, avec la crise du pouvoir d'achat et la nouvelle donne découlant de la réforme de la représentativité, il est à craindre que les syndicats soient tentés, par exemple, dans le cadre de la NAO, de peser sur la protection sociale », explique Gérard Torrent, directeur commercial «Entreprises» de La Mutuelle générale.

Même les organismes d'assurance laissent voir un certain désarroi. « Les entreprises comme les assureurs sont pris sous un feu nourri de dispositions en tout genre, illustre Pascal Broussoux, en charge des métiers de l'assurance à AG2R La Mondiale. La protection sociale subit des soubresauts permanents, lesquels ont des origines variées et des finalités très hétérogènes. Il est difficile de garder le fil ! » La période actuelle est, à ce titre, un cas d'école.

Régimes obligatoires

Alors que le processus de transformation des régimes collectifs facultatifs en régimes obligatoires et responsables - condition sine qua non pour que les entreprises puissent continuer à bénéficier des exonérations fiscales et sociales - entre dans sa dernière ligne droite (la date butoir est fixée au 31 décembre prochain), les entreprises ont pu constater les tâtonnements de la direction de la Sécurité sociale.

Complications

Premier acte : une circulaire explicative de la mise en oeuvre de l'article 113 de la loi Fillon de 2003, publiée en août 2005, a davantage compliqué qu'explicité les conditions de mise en conformité des régimes. En juillet 2006, une seconde note, diffusée sous forme de questions-réponses, n'a pas plus éclairé la lanterne des entreprises et des opérateurs. Du coup, la direction de la Sécurité sociale vient de transmettre une ultime circulaire qui devrait lever les toutes dernières ambiguïtés, relatives, par exemple, aux tolérances accordées à certaines catégories de salariés (CDD, travailleurs saisonniers) ou à la situation des conjoints.

Note de rattrapage

Après avis des différents acteurs institutionnels, cette note de rattrapage devrait être rendue publique fin octobre. Sauf qu'entre temps, les Urssaf ont commencé à opérer quelques redressements. « Concernant les contrats responsables, les entreprises sont en conformité. Le travail a été fait par les assureurs, relève Christine Cambus, de la direction de la réglementation de l'Acoss. A ce jour, les principales difficultés relevées par les Ursaff concernent les situations de double couverture et les dispenses d'affiliation, notamment pour les salariés en couple. Le questions- réponses ministériel de 2006 avait apporté des réponses sur ce point, mais il n'a peut-être pas suffisamment été diffusé. » Ce n'est pas le sentiment d'Emmanuel Gineste, responsable de la prévoyance santé au cabinet Adding, pour qui « le diable se niche dans les détails ».

Préserver le caractère collectif

« Les caractéristiques des contrats collectifs obligatoires sont scrutées à la loupe par les Urssaf, souligne-t-il. Les entreprises doivent, par exemple, être attentives à certaines exclusions des régimes de santé qui ne seraient pas compatibles avec les contrats responsables ou à certaines dispositions qui remettraient en cause le caractère collectif du régime. » La prudence est donc de mise, d'autant que les entreprises ont, à ce jour, massivement transformé leurs régimes. Parfois au prix d'âpres et d'interminables séances de négociation avec les syndicats sur la répartition des financements et les garanties associées. « Dans l'absolu, la loi Fillon n'interdit pas le recours aux régimes facultatifs, mais leur maintien se traduira par un surcoût compris entre 40 % et 50 % pour l'employeur et 15 % et 20 % pour le salarié », rappelle Frank Wismer, avocat associé au cabinet Fromont, Briens & Associés.

Portabilité des droits

Les acteurs de la protection sociale commencent aussi à mesurer la portée de l'accord national interprofessionnel (ANI) de janvier 2008 sur la modernisation du marché du travail étendu par l'arrêté du 23 juillet 2008. L'article 14 de l'ANI, consacré à la portabilité des droits de la prévoyance pour les salariés dont le contrat de travail a été rompu (hors faute lourde), constitue une des contreparties à la flexibilité du marché du travail arrachées par les syndicats signataires.

Selon le texte, il est prévu que les ex-salariés puissent bénéficier des garanties des couvertures complémentaires santé et prévoyance appliquées dans leur ancienne entreprise pendant leur période de chômage, et ce, pour une durée maximum égale à un tiers de la durée de leur droit à indemnisation, sans pouvoir être inférieure à trois mois. L'application de cette disposition, qui devrait entrer en vigueur le 23 janvier prochain, risque de s'avérer très pénalisante pour les entreprises, en particulier celles qui négocient des plans sociaux. « A défaut d'anticiper ces nouvelles obligations conventionnelles, prévient Frank Wismer, une entreprise deviendra son propre assureur en cas de sinistre touchant un ancien salarié placé en situation de chômage. Il faut donc, a minima, appréhender sans délai la question de la couverture d'assurance. »

Secteurs épargnés

Certains secteurs seraient toutefois épargnés. C'est le cas, par exemple, du BTP : « La branche intègre déjà des dispositifs plus favorables dans la plupart des cas. Il en est de même des nouvelles mesures, prévues par la loi sur la modernisation du marché du travail, concernant l'abaissement de la condition d'ancienneté de trois à une année pour le bénéfice des indemnités maladie complémentaires et la réduction du délai de carence de onze à sept jours pour pouvoir prétendre à une indemnisation en cas de maladie non professionnelle et d'accident de trajet », note Stéphan Reuge, directeur prévoyance de Pro BTP.

Contentieux juridique

Un autre nuage assombrit le ciel de l'assurance complémentaire. Il concerne, cette fois, un contentieux juridique noué autour de l'article 4 de la loi Evin de 1989 portant sur le maintien, pour les retraités, d'une garantie collective de prévoyance, maladie et accident, similaire à celle des actifs. Or, dans un arrêt datant de février 2008, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a admis que les garanties proposées devaient être identiques et non plus seulement similaires.

En dépit de la coexistence de plusieurs interprétations juridiques et d'un nouvel appel, qui devrait être jugé d'ici à la fin de l'année, cette décision agite les cabinets-conseils. « Il faut rester prudent et éviter toute conclusion hâtive sur cette question », met en garde Jean-Louis Faure, délégué général du CTIP. Il n'empêche, si l'arrêt de la Cour de cassation était confirmé, les organismes assureurs seraient contraints de multiplier les contrats individuels, une politique du sur-mesure incompatible avec la standardisation des offres et l'industrialisation des process de gestion.

Augmentation des coûts

« Pour l'entreprise, cela se traduira forcément par un renchérissement du coût du régime collectif », juge Pascal Broussoux, d'AG2R La Mondiale. Pis : cette décision aboutirait à une sorte de «protection à l'envers», comme le remarque un expert. « Elle profiterait essentiellement aux personnes les mieux informées : les responsables syndicaux, les cols blancs, les financiers... D'ailleurs, les questions qui remontent aujourd'hui émanent de ces populations », souligne-t-il.

Les entreprises sont, par ailleurs, dans l'expectative quant aux conséquences de la taxe qui frappera, dès l'an prochain, les organismes complémentaires. Les pouvoirs publics, qui ont finalement épargné - pouvoir d'achat oblige - le ticket modérateur et le système des ALD (affections de longue durée), ont décidé de s'en prendre aux complémentaires santé. Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), qui a été présenté le 29 septembre, le confirme : « Le taux de la taxe sur le chiffre d'affaires santé des organismes complémentaires sera augmenté de 2,5 % à 5,9 % en 2009, pour un rendement d'environ 1 milliard d'euros. » En contrepartie, les organismes d'assurance seront mieux associés à la gestion des risques. Cette nouvelle taxe sera-t-elle répercutée ou non sous la forme d'augmentations des cotisations ?

Fin juillet, lors de la présentation des mesures de redressement de l'assurance maladie, Roselyne Bachelot et Eric Woerth ne voulaient pas y croire, prétextant de la bonne santé financière des opérateurs. Un argument qui agace tout particulièrement Jean-Louis Faure : « Les contacts collectifs évoluent dans un marché ultra-concurrentiel. De plus, les institutions de prévoyance doivent être capables de financer la marge de solvabilité, qui est une obligation européenne. Autrement dit, les matelas supposés n'existent pas. Il est évident que cette taxe sera, selon les cas, répercutée par les complémentaires. Le principe même de cette nouvelle taxe est choquant car elle va à l'encontre de la philosophie de la loi Douste-Blazy de 2004 qui prônait une logique de copaiement entre l'assurance maladie et les complémentaires. »

« Au départ, il s'agissait presque d'une mesure anodine mais, au final, elle pourrait se révéler tout aussi impactante que les franchises médicales », renchérit Arnaud de Brocca, secrétaire général de la Fnath, l'association des accidentés de la vie. En attendant, après une relative accalmie en 2007, les tarifs de cotisation sont repartis à la hausse cette année.

L'essentiel

1 Des chausse-trappes de la réforme Fillon à la portabilité des droits de prévoyance en passant par la future taxe frappant les complémentaires, la protection sociale vit des heures agitées.

2 En attendant la création du 5e risque de protection sociale, la prise en charge de la dépendance intègre timidement les contrats collectifs.

3 Séduites par les démarches de prévention, les entreprises cherchent aussi à en mesurer le retour sur investissement.

La mise en conformité à l'épreuve du rescrit social

La réforme Fillon de 2003 est l'une des premières à bénéficier de la procédure du rescrit social mise en place en 2005.

Selon Laurence Lautrette, du cabinet Lautrette & Associés, cette nouvelle procédure, qui permet à l'employeur de demander à l'Urssaf dont il dépend une prise de position puis de lui opposer par la suite sa réponse en cas de contrôle, explique en partie l'empilement des textes et des circulaires relevant de la mise en conformité des régimes de protection sociale complémentaire : « Cette nouvelle interaction entre les entreprises et l'administration est la bienvenue. La difficulté, c'est qu'en souhaitant préciser les points de complexité soulevés, l'administration est entrée dans un excès de détails et s'est pris les pieds dans le tapis. »

Pas touche aux budgets des CE !

La généralisation des couvertures de protection sociale complémentaire obligatoires est un des aspects de la réforme Fillon de 2003 qui bénéficie de l'entière approbation des syndicats.

Seul point de recommandation des centrales à l'intention de leurs adhérents : veiller à ce que le budget des comités d'entreprise ne soit pas le grand perdant des renégociations. « Nous affirmons depuis longtemps déjà que ce n'est pas le rôle d'un CE de financer la protection sociale », explique Cathy Suarez, la conseillère confédérale CGT en charge de la prévoyance, qui préconise le transfert de cette prise en charge à l'employeur. « A condition, précise-t-elle, de ne pas rogner sur le budget des CE. »

En pratique, les rares comités d'entreprise qui auraient souffert de la réforme feraient partie des mieux dotés.