«Mieux se parler, pour mieux se comprendre » : les règles de base d'une bonne communication sont empruntées aux codes de la langue des signes, et transmises aux managers de l'aéronautique... C'est le pari lancé par Bruno Kahne, consultant senior au sein de l'Air Business Academy de Toulouse, centre de formation international des salariés d'Airbus, implanté à Blagnac près de Toulouse, qui, depuis 2007, fait participer des intervenants sourds à ses sessions de formation-action en management.

« Cette initiative est née d'une rencontre avec les créateurs de Websourd, une coopérative toulousaine fondée par un cadre d'Airbus qui a développé un web interactif destiné aux sourds, explique-t-il. J'ai compris, en découvrant leur monde et en observant leur mode de communication, qu'à travers leur handicap, les sourds développent des compétences particulières en communication, bien plus que les personnes entendantes. En adaptant ces règles à notre monde sonore, on peut améliorer les modes de communication, notamment dans les relations de travail. »

La méthode retenue par AirBusiness Academy, très comportementaliste, met en scène les stagiaires et les intervenants dans un contexte ludique. Des images-séquences d'une même histoire sont distribuées par petits groupes. Chacun décrit aux autres sa propre image. Le groupe doit reconstituer l'ensemble de la séquence narrative, en temps limité. Là où les sourds mettent moins d'une minute, un groupe de personnes parlantes met cinq fois plus de temps. L'exercice est reproduit avec l'ensemble des stagiaires. « Découvrir par soi-même permet un renversement de situation où les sourds deviennent leaders. Souvent, les stagiaires cessent d'utiliser la parole, préférant un langage corporel plus efficace. Le but est, au final, de permettre aux stagiaires de s'approprier les codes de communication des sourds, basés sur des principes simples, mais respectés à la perfection par les sourds eux-mêmes, comme regarder son interlocuteur dans les yeux, s'exprimer simplement, demander de répéter, ne pas couper la parole... », explique Bruno Kahne.

Ces modules de formation, dispensés en anglais, intègrent plusieurs nationalités. L'efficacité de cette méthode ressort du jeu de rôles, quelle que soit l'origine des stagiaires.

Utilisée également dans d'autres thématiques de formation, notamment l'intégration culturelle et le respect de la différence, ce procédé peut être, par ailleurs, un recours efficace lors de situations de management de crise, notamment en cas de conflit interpersonnel, estime Airbus Business Academy, qui, devant le succès de cette méthode, a multiplié les sessions. A raison de deux formations par mois, 500 cadres de l'aéronautique ont ainsi été formés.

Forte de son succès, cette initiative a également été étendue au management des cadres d'autres univers professionnels, notamment les entreprises bancaires. Cette activité de formation est portée par Steamulus, une entité juridique créée pour le hors-secteur aéronautique.

Selon Bruno Kahne, les personnes parlantes et entendantes feraient bien de s'inspirer des règles d'or de la communication des personnes sourdes et muettes.

→ Parler un à la fois : « Une seule personne «signe» à la fois. Et si, par malheur, une autre s'aventure à «signer» en même temps, tous se mettent à secouer la main droite pour avertir le contrevenant qu'il doit d'abord finir d'écouter celui qui s'exprime. Le respect de la personne qui parle (ou signe) et la compréhension du message sont renforcés ; et le recours au support écrit est moindre. »

→ Simples, directs, et précis : « Les sourds ne s'embarrassent pas de tournures compliquées, ou d'euphémismes qui pourraient réduire la compréhension de leur message, souvent au risque de paraître à l'entendant trop directs, parfois crus, voire même violents. »

→ Vérifier la compréhension : « Les sourds utilisent trois locutions gestuelles clés : «je ne sais pas» ; «je ne comprends pas» ; et «peux-tu m'aider ?» pour initier une reformulation. Et portent mieux que la plupart d'entre nous la responsabilité de se faire comprendre, une sorte de «je ne me suis pas bien exprimé» plutôt que le «il n'a rien compris» qui nous est si familier. »

→ Empathie : « Les sourds ont également une étonnante capacité à se positionner systématiquement selon le point de vue de leur interlocuteur. »

→ Pas de barrières culturelles : « Même si la langue des signes est différente dans chaque pays, au bout d'à peine une heure d'échange, au cours de laquelle ils affineront leurs signes, un sourd français sera capable de communiquer avec un sourd allemand, américain ou russe. »

→ N'avoir qu'une parole : « Nombre d'entre nous privilégient la rapidité et l'impersonnalité de l'e-mail à une conversation de visu. Parce que la relation entre l'oral et l'écrit n'est pas perçue de la même manière par un sourd, la parole donnée, qui tend à disparaître chez les entendants, est toujours très chère aux sourds. »

→ Avoir vraiment envie de communiquer : « Finalement, ce qui touche le plus un entendant qui observe des sourds, c'est leur véritable envie de communiquer. Une envie si forte qu'elle nous renvoie immanquablement à notre propre manque de désir ou de présence lorsque nous le faisons. »

L'Afideo, Association française pour l'information et la défense des sourds s'exprimant oralement (c'est-à-dire avec l'utilisation ou non de la langue française parlée complétée et/ou l'utilisation en parallèle de la langue des signes française), lance un outil interactif (CD-Rom) permettant d'offrir une vision globale de la surdité et de l'ensemble des aménagements facilitant l'accueil d'une personne sourde en entreprise. Cet outil a été réalisé en partenariat avec Disneyland Resort Paris, la Fondation SFR, Manpower, la Société générale, et avec le soutien de l'ANDRH.

L'utilisateur retrouve trois grandes rubriques sur ce CD-Rom :

- la surdité : une présentation simple du handicap et des différents modes de communication des personnes sourdes ou malentendantes, accompagnée d'illustrations de la LSF, du LPC et des degrés de surdité.

- l'accessibilité en entreprise : une présentation détaillée sur l'ensemble des questions à se poser concernant l'intégration d'une personne sourde, en matière de dispositif de communication adapté, d'aides techniques ou de télécommunications, le tout illustré par une vidéo mettant en avant des situations d'entreprise. Un focus est également réalisé sur l'accessibilité du cadre bâti (ascenseur, guichet, salle de réunion...).

- les instants de vie en entreprise : des exemples concrets d'intégration afin d'illustrer l'intégration des personnes sourdes (designer dans une PME, technicienne d'analyse au sein du centre de recherche Saint-Gobain, demi-chef de rang chez Disneyland Resort Paris).

Une notion dépassée

« Cet outil doit permettre de ne plus considérer la surdité comme un tabou, mais comme une différence à explorer, afin que nous n'ayions plus peur de parler de ce handicap et que nous trouvions tous ensemble des solutions visant à garantir l'autonomie et l'accessibilité des personnes sourdes en entreprise. L'idée de «sourd-muet» est une notion dépassée de nos jours », défend l'Afideo.

LAURENT GÉRARD

www.afideo.org