Etonnante décision que celle prise par des salariés d'Aventis de faire écrire, par un jeune écrivain, l'histoire de quarante ans de fusions-acquisitions-restructurations du secteur pharmaceutique. Au départ, il y avait Roussel-Uclaf, puis, d'acrobaties industrielles en acrobaties financières, il y eut successivement Rhône-Poulenc, Rhône-Poulenc-Hoechst, Sanofi et, enfin, Aventis. Mais, au passage, les lieux de production se sont déplacés et les médicaments fabriqués ont évolué.

Seuls les salariés tentent de maintenir un peu de continuité dans cette histoire mouvementée afin de sauver ce qui peut l'être dans ce qu'ils considèrent comme un immense gâchis. Un gâchis non seulement humain, mais également de compétences, individuelles et collectives.

Demander à un écrivain de raconter leur histoire fait partie de cette démarche, comme si transformer leur vie professionnelle en roman permettait de maintenir sa propre identité au sein du changement. Quelqu'un doit tenir le miroir pour que l'effort collectif, au fil des jours, des semaines ou des années de travail, ne soit pas tout simplement absurde.

Une histoire plurielle où se mêlent les destins individuels : ce roman est une première, née de la volonté des salariés, après une longue lutte menée contre la fermeture d'un site de recherche pharmaceutique à Romainville, en région parisienne. Ils tenaient à faire connaître le sens de leur engagement au travail et leur fierté d'avoir oeuvré dans le domaine de la santé, alors même que les dirigeants, pris par la logique du profit, semblent incapables de leur renvoyer cette image claire, simple, à la fois quotidienne et puissante, du sens des choses. Paradoxe significatif, sans doute, d'une certaine décomposition sociale, qu'il faille franchir la barrière de la fiction pour retrouver le réel.

Sylvain Rossignol est écrivain.