logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Enjeux

Inventer un espace de négociation au sein des pôles de compétitivité

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 17.06.2008 |

Image

Inventer un espace de négociation au sein des pôles de compétitivité

Crédit photo

Les pôles de compétitivité sont le lieu de choix stratégiques pour l'avenir de l'industrie et des territoires... alors que les questions d'emploi et de formation n'ont pas été discutées avec les organisations syndicales. Une nouvelle échelle de négociation paritaire pourrait pourtant y émerger.

E & C : Quelles motivations poussent, aujourd'hui, les organisations syndicales à s'intéresser aux pôles de compétitivité, ces réseaux associant entreprises et laboratoires de recherche sur des projets d'innovation ?

Bruno Bouvier : Lorsque nous aidons les salariés d'entreprises en restructuration à construire des projets alternatifs, nous constatons que la recherche et l'innovation sont centrales. Ce sont des sujets sur lesquels nous, organisations syndicales, avons besoin de travailler davantage... surtout depuis le lancement des pôles de compétitivité. Ils sont une réponse aux questions sur l'avenir de l'industrie française. En Rhône-Alpes, où l'on en dénombre 15, c'est le paysage économique des vingt prochaines années qui se dessine. Les filières qui n'y sont pas sont celles qui s'éteignent, comme la chaussure ou la papeterie.

E & C : Quels sont les enjeux qui ont été, selon vous, «oubliés» dans l'élaboration de ces pôles ?

B. B. : La vraie question est celle de la régulation, notamment par l'Etat : quid de l'aménagement du territoire lorsque l'on renforce des agglomérations déjà dynamiques, comme Lyon et Grenoble ? Par ailleurs, les projets de recherche sont conduits localement, mais les entreprises n'ont, ensuite, aucune obligation quant à la production. Les perspectives en termes d'emploi sont très floues. Enfin, les travaux des pôles de compétitivité portent sur des sujets de société tels que les OGM, les nanotechnologies, le nucléaire, les risques chimiques, etc ; mais ils ont été constitués dans l'opacité la plus totale. Il y a, aujourd'hui, une nouvelle étape de démocratie sociale et citoyenne à franchir.

E & C : Quel rôle peut jouer, dans cette optique, un Conseil économique et social régional (CESR), comme celui de Rhône-Alpes, dont vous faites partie ?

B. B. : En 2005, tous les acteurs ont été associés par la région à l'élaboration du schéma régional de développement économique, une nouvelle compétence pour cette collectivité. La création des pôles a été annoncée alors que nous étions dans cette phase de travail. Immédiatement, le CESR a mis en place un groupe de travail spécifique, qui a préconisé la création, au sein même de la région, du comité de pilotage Peric (Partenariat économie recherche innovation compétitivité). Celui-ci regroupe, depuis, des élus régionaux et des représentants du CESR - notamment des membres des organisations syndicales et patronales - et auditionne les responsables de pôle de compétitivité demandant un financement à la collectivité. C'est très innovant. Les membres de ce comité - dont je suis - n'ont pas vocation à se substituer aux élus, mais cela nous a déjà permis de mettre en avant la nécessité d'élaborer des plans de formation à l'échelle des pôles.

E & C : Comment les pôles de compétitivité peuvent-ils intervenir en matière de formation ?

B. B. : Entre grandes entreprises et PME, il existe un important décalage en matière de GRH. Le pôle peut permettre de faire émerger des besoins communs et de «solidariser» les plans de formation. Il s'agit de passer d'un droit à la formation lié à l'entreprise à un droit attaché à un pôle ou à un territoire. Et, pour de véritables négociations, il faut de véritables instances représentatives du personnel (IRP) à l'échelle des pôles. En effet, des choix stratégiques se font dans ce cadre, sans que les organisations syndicales présentes dans les entreprises participantes soient informées et puissent donner leur avis. Au CESR et au niveau des unions syndicales régionales, nous savons, généralement, plus de choses que nos collègues des entreprises !

E & C : Quel écho recevez-vous à cette proposition d'une instance de négociation au sein des pôles ?

B. B. : Nous enregistrons quelques avancées. Techtera (textile) a proposé aux organisations syndicales de participer à ses assemblées générales. D'autres ont mis en place un groupe de travail «formation» ou ont dressé des constats sans avoir encore formalisé leur réflexion. Le pôle Trimatec, qui associe les régions Languedoc-Roussillon, Paca et Rhône-Alpes, est atypique : comme son objet est le transfert de compétences, concernant la gestion des déchets, du nucléaire vers les autres secteurs, la question de la GPEC est centrale. Dès le début, un comité de suivi, associant notamment la CGT, la CFDT et la CGC, a été constitué, sous la direction de la DRTEFP Languedoc-Roussillon. Quant à Plastipolis, centré sur la «Plastic Vallée» d'Oyonnax (Ain), il bénéficie des débats de la branche, des partenaires sociaux, de l'Etat et de la région, au sein du comité prospectif stratégique sectoriel.

E & C : Faut-il, à votre avis, légiférer pour promouvoir cette innovation sociale ?

B. B. : Non. En revanche, Rhône-Alpes peut être force de propositions, puisqu'elle l'expérimente déjà, et puisque les pôles y sont, de par leur nombre, plus stratégiques qu'ailleurs. Le conseil régional a acté la nécessité de plans de formation à l'échelle des pôles, mais n'a pas encore défini les moyens à mettre en oeuvre dans ce but. Pour aller plus loin, il faut un acte déterminé. Nous attendons beaucoup de l'évaluation des pôles, dont l'Etat doit présenter les résultats prochainement. Pour l'heure, lorsque nous avons interpellé le préfet de région, nous avons reçu une fin de non-recevoir. Il n'y a aucune volonté de faire jouer un rôle aux organisations syndicales dans les pôles de compétitivité. Autant dire que cette bataille est encore devant nous... y compris en interne : nos collègues présents dans des secteurs en restructuration permanente n'y croient pas du tout. Nous devons leur faire comprendre la place prise par les pôles de compétitivité et leur faire partager l'idée que l'intervention syndicale peut imposer des choix stratégiques positifs.

Parcours

• Ex-salarié de Rossignol, Bruno Bouvier est secrétaire du comité régional CGT depuis 2001. Depuis 2007, il anime aussi, au plan national, les 22 comités régionaux.

• Il est élu au Conseil économique et social régional de Rhône-Alpes depuis 2001.

Lectures

Des pôles de compétitivité au développement territorial. Approche par le territoire et par l'entreprise, Jacques Perrat, rapport de recherche dans le cadre d'une convention CGT/Ires, juillet 2007.

Pôles de compétitivité : appréciation critique, pistes pour l'intervention syndicale, Jacques Perrat, Adees Rhône-Alpes, novembre 2007.

Nouveau modèle d'emploi : régulation sectorielle et/ou régulation territoriale ?, Catherine Laurent et Christian Du Tertre (dir.), in Secteurs et territoires dans les régulations émergentes, L'Harmattan, 2008.