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« Donner aux médecins du travail le pouvoir d'agir »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 22.04.2008 |

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« Donner aux médecins du travail le pouvoir d'agir »

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Une médecine du travail plus efficace passe par une nouvelle réforme, notamment celle de son financement et de sa gouvernance. Par ailleurs, de nouvelles prérogatives pourraient renforcer le rôle du médecin du travail, comme celle du «devoir d'informer» l'employeur lorsque la santé des salariés est en danger.

E & C : Comment envisagez-vous le droit d'alerte, préconisé par le CES dans son avis sur la réforme de la médecine du travail*, à l'intention des médecins du travail ?

Christian Larose : Il est essentiel de recentrer les missions des médecins du travail sur la prévention des risques professionnels. Il faut donc leur donner la possibilité d'exercer un contre-pouvoir. Dans une entreprise, la recherche de la rentabilité ne doit pas prendre le pas sur la sécurité et la santé des salariés. Le médecin du travail a le devoir de signaler les risques et les manquements. Il devrait pouvoir faire stopper une machine dangereuse ou mettre fin à des conditions de travail délétères. Le comité d'entreprise dispose d'un droit d'alerte face aux risques économiques que peut connaître l'entreprise. Le médecin du travail devrait, à plus forte raison, disposer, lui aussi, d'un droit d'alerte quand la vie même des salariés est menacée. Le CES propose de transformer ce droit d'informer en devoir d'information, matérialisé par une saisine destinée à l'employeur et à tous les acteurs de la santé au travail. Cela suppose que le médecin du travail joue son rôle en toute indépendance.

E & C : Quelles entraves voyez-vous, aujourd'hui, à l'indépendance des médecins du travail ?

C. L. : On ne peut admettre qu'un médecin du travail subisse les pressions d'employeurs pour faire reprendre le travail à des salariés malades avant leur guérison ; ou pour refuser de délivrer des attestations d'exposition à des produits dangereux. On ne peut admettre qu'un médecin du travail soit déplacé sur demande d'un employeur parce qu'il a dénoncé des risques. C'est au groupement qui l'emploie de décider, en fonction de règles éthiques.

L'indépendance de la médecine du travail passe, notamment, par son système de financement. Aujourd'hui, ce sont les visites de routine qui financent les médecins du travail et les services interentreprises qui les gèrent. Cela au détriment du travail de terrain. Avec des conséquences comme les catastrophes de l'amiante ou d'AZF. Des médecins du travail ont tiré la sonnette d'alarme. Tout le monde sait qu'il faut une réforme profonde. Une nouvelle gouvernance s'impose. Elle pourrait être assurée par la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés. Il faut donner aux médecins du travail le pouvoir d'agir sur les conditions physiques mais aussi psychologiques du travail.

E & C : Quels autres changements jugez-vous nécessaires à une médecine du travail efficace ?

C. L. : Il faut augmenter le nombre des médecins du travail et étendre leur mission aux travailleurs indépendants et aux chômeurs. Il faut aussi faciliter le lien entre médecin de ville et médecin du travail. Comment admettre qu'un laveur de carreaux se tue en tombant du 18e étage, alors que ses vertiges étaient connus de son médecin traitant mais pas du médecin du travail ? Ce dernier pourrait également développer son travail de prévention en coordination avec les CHSCT, notamment en participant plus souvent aux réunions de cette instance. Les CHSCT devraient exister dans les entreprises de moins de 50 salariés et être élus directement par le personnel. Ils devraient disposer d'un nombre d'heures suffisant dans les PME et être invités dans les stages de management pour parler du malaise des salariés. Ainsi, pour le harcèlement moral, les élus pourraient agir en amont afin de l'éviter.

E & C : Comment expliquez-vous la montée des risques psychosociaux ?

C. L. : Personnellement, en tant que militant CGT, j'ai vu les conséquences de nombreux plans sociaux, conflits, délocalisations... J'ai aussi constaté les pressions exercées sur le personnel par un management lui-même sous la pression des résultats du fait de la mondialisation... Les dégâts sur les salariés sont considérables ; dépressions, divorces, alcoolisme, suicides... Des gens coulent à pic et l'on ne fait rien. Il faut des cellules de soutien psychologique. Le rôle du médecin du travail et celui du CHSCT doivent être renforcés. Il faut assurer un accompagnement, notamment pour le reclassement. Une prime de licenciement ne règle rien dans des bassins d'emploi sans perspective de travail. Surtout pour les salariés non qualifiés.

* Rapport sur l'avenir de la médecine du travail, présenté les 26 et 27 février 2008 au CES.

Parcours

• Christian Larose est vice-président du Conseil économique et social depuis 2004 ; président de la section du Travail depuis 2001.

• Il a occupé, de 1975 à 2003, le poste de secrétaire général de la Fédération CGT du textile (devenue Fédération textile-habillement-cuir).

Ses lectures

Itinéraire d'un passant guadeloupéen, José Vatin, Cap Béar éditions, 2008.

Journal d'un médecin du travail, Dorothée Ramaut éditions Le Cherche-Midi, 2006.

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