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Enquête

L'ACI, un «ovni» juridique

Enquête | publié le : 13.03.2007 | Céline Lacourcelle

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L'ACI, un «ovni» juridique

Crédit photo Céline Lacourcelle

En l'absence de cadre juridique, les accords-cadres internationaux créent une forme de «droit mou». Une particularité qui nécessite de faire preuve d'imagination si l'on veut attaquer l'entreprise pour non-respect de ses engagements.

Personne ne nie l'intérêt des accords-cadres internationaux (ACI). Pour autant, ces derniers souffrent d'une lacune. Ces textes n'ont, en tant que tel, qu'une portée juridique limitée. En effet, pour être considérés comme des accords collectifs à part entière, et non comme de simples engagements unilatéraux, ils doivent, selon Agnès-Cloarec Mérendon, avocate au cabinet Latham & Watkins, être « d'une part, conformes à chacune des législations locales propres à la validité des accords collectifs ; et, d'autre part, signés par des syndicats nationaux ».

Indépendance juridique

« Côté employeur, la direction de la holding engage ses filiales et souvent ses sous-traitants. Mais, même si elle a le pouvoir d'un point de vue économique, elle ne l'a pas juridiquement puisqu'il y a indépendance des filiales », souligne André Sobczak, enseignant-chercheur et directeur du centre pour la responsabilité globale d'Audencia Nantes Ecole de management. Idem pour les fédérations syndicales internationales qui n'ont pas de mandat juridique pour signer ces accords. « On peut, aussi, difficilement imaginer que les représentants des salariés d'une société mère dans un pays donné, qu'ils soient élus ou désignés par les organisations syndicales, puissent légitimement représenter les intérêts des salariés de toutes les filiales dans le monde », poursuit André Sobczak.

Légitimité

Certaines entreprises ont toutefois réfléchi à la légitimité des signataires. Ainsi, EDF a pris soin d'impliquer les syndicats nationaux et une trentaine de DRH des différentes pays. PSA Peugeot Citroën a négocié avec une fédération internationale, mais après en avoir informé tous les syndicats nationaux des filiales où travaillaient plus de 500 salariés. La direction les a ensuite fait signer sans négociation complémentaire. Reste qu'il n'y a aucune opposabilité possible même si, en France, les accords de groupe ont été reconnus par la loi Fillon de mai 2004. Ce qui n'est pas le cas dans d'autres pays. « Nous sommes plutôt dans un cadre de consensus tacite », précise André Sobczak.

Une forme de régulation

« Les ACI saisissent une figure inconnue du droit national, du droit européen et du droit international. On estime ainsi qu'ils sont une première forme de régulation pour une entreprise transnationale, qui n'a pas de statut juridique », explique Isabelle Daugareilh, chargée de recherche au CNRS au Centre de droit comparé du travail et de sécurité sociale de l'université Montesquieu-Bordeaux-4. Quels peuvent être les recours lorsque l'entreprise ne respecte pas ses engagements ? « Ils sont avant tout médiatiques », admet Agnès Cloarec-Mérendon. La pression des ONG et de certains syndicats peut écorner l'image de l'entreprise sur la scène internationale. « Mais là n'est pas l'intérêt des syndicats, selon André Sobczak. Un boycott, par exemple, peut avoir un impact, à terme, sur les emplois et sur les cours boursiers. » Mieux vaut donc laver son linge sale en famille. Ainsi, les ACI, pour les plus récents, se sont dotés de commissions de suivi. Ce qui tranche sur les chartes et autres codes éthiques, engagements unilatéraux des groupes transnationaux.

Surveillance

Les parties signataires assurent, ainsi, la surveillance des principes adoptés. Certains accords prévoient la possibilité pour des ONG d'être parties prenantes dans les commissions de suivi. Les parties peuvent aussi fonctionner par voie d'audits. Mais « ces audits sont ponctuels », signale Agnès Cloarec-Mérendon. Certains ACI mettent en place des procédures de plaintes pour permettre aux salariés de dénoncer tout manquement aux droits sociaux garantis dans l'accord. « Une telle procédure contribue à ce que tout le monde s'approprie les dispositions de l'accord, ce qui renforce les chances de son application », souligne André Sobczak.

Angles d'attaque

D'autres voies sont possibles pour porter plainte. « On peut imaginer, dès lors que l'entreprise fait de ces engagements éthiques un argument commercial, qu'un consommateur l'attaque pour publicité mensongère », envisage André Sobczak. Une autre attaque viendrait du non-respect des conventions dont se sont inspirées les entreprises dans la rédaction de leur ACI. « Les ACI faisant usage de manière presque systématique des droits fondamentaux des travailleurs tels qu'ils ont été formulés par la déclaration de 1998 de l'OIT. On peut penser que leur non-respect puisse être attaqué au TGI », signale Cyril Catté, avocat au cabinet Gibier, Souchon, Festivi et Rivierre.

Enfin, on peut classer l'ACI comme relevant d'un engagement unilatéral, soumis, selon André Sobczak, au même régime juridique que les usages. Quelle que soit la voie choisie, elle constituerait une première !

Auteur

  • Céline Lacourcelle