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Les 35 heures grignotées

Les Pratiques | Point fort | publié le : 09.01.2007 | Sandrine Franchet

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Les 35 heures grignotées

Crédit photo Sandrine Franchet

Si la majorité des entreprises ne souhaite pas rouvrir la boîte de Pandore des négociations sur le temps de travail, certaines sont tentées de jouer de ce levier pour gagner en performance. Une démarche bien souvent longue et délicate, pas forcément couronnée de succès.

«Formidable progrès social », selon Ségolène Royal, qui lui reproche, toutefois, « une dégradation de la situation des plus fragiles ». Ou « choix historiquement stupide », pour Nicolas Sarkozy, qui promet de se battre en 2007 pour que « les gens travaillent davantage ». Pour les deux principaux candidats à la présidentielle, la RTT n'a pas tenu toutes ses promesses. Cependant, la première considère que les assouplissements apportés par la droite sont suffisants, là où le second souhaite encore faciliter le recours aux heures supplémentaires pour les salariés volontaires.

Des volontaires qui ne devraient pas manquer, selon un récent sondage réalisé par Ipsos pour l'Institut Manpower, publié le 14 décembre dernier par Les Echos : 45 % des répondants s'inquiètent, en premier lieu, pour leur niveau de salaire, contre «seulement» 32 % qui s'inquiètent pour le maintien de leur emploi (ces chiffres étaient respectivement de 29 % et 41 % dix ans plus tôt). Par ailleurs, 47 % des répondants estiment y avoir globalement perdu avec le passage aux 35 heures, contre 45 % qui y ont gagné.

Avoir un réel enjeu

Dans un contexte aussi favorable, les entreprises devraient s'engouffrer dans la brèche ouverte récemment par Doux, Bosch, HP, MT Packaging, Fenwick... C'est pourtant loin d'être le cas. D'après Sylvain Niel, directeur du département RH au cabinet Fidal et président du cercle des DRH, « les cas sont très rares, car les DRH ne souhaitent pas rouvrir la boîte de Pandore. Les négociations pour le passage aux 35 heures ont été longues et difficiles, et il faut avoir un réel enjeu économique pour envisager de les remettre en cause ».

Eurodisney négocie

Pour Eurodisney, qui vient de signer, après plus d'un an de négociations, un avenant à son accord de 1999, il s'agissait avant tout de développer la flexibilité : « Nous avons voulu répondre à une évolution profonde du contexte économique, explique Daniel Dreux, vice-président en charge des RH d'Eurodisney. Depuis le 11 septembre 2001 et avec le développement d'Internet, les clients réservent à la dernière minute, exigeant de nous des délais d'adaptation de plus en plus courts. » La direction souhaitait donc, sans toucher au principe des 35 heures hebdomadaires, réduire les délais de prévenance des salariés et pouvoir moduler les horaires au cours d'une même semaine, afin de mieux s'adapter aux variations de fréquentation du parc.

Entamées en octobre 2005, les négociations aboutissent, en juin 2006, à un premier accord minoritaire dénoncé par la CFTC, la CFDT, FO et l'Unsa, qui totalisent 57 % des suffrages. « Nous étions d'accord pour introduire plus de souplesse, mais à condition de négocier des contreparties en termes de pouvoir d'achat, relate Alain Lauden, délégué syndical CFTC (premier syndicat de l'entreprise). Or, tout ce que nous proposait la direction était une généralisation des journées de 12 heures ou la possibilité de demander un matin aux salariés de rentrer chez eux après quatre heures de travail, à récupérer les jours suivants, le tout sans contrepartie ! »

Après avoir tenté, en vain, de faire invalider en justice cette opposition, la direction a accepté de rouvrir les négociations, pour aboutir, le 1er décembre dernier, à un accord signé par 6 syndicats sur 7. « Ce n'est pas un très bon accord, mais nous avons pu sauver ce que nous avions à perdre dans la première version », estime Alain Lauden. Le texte n'étend qu'à un service supplémentaire la possibilité de faire des journées de 12 heures sans autorisation de l'inspection du travail - existant pour les services d'urgence et d'organisation des événements spéciaux - ; soumet les mesures de flexibilité hebdomadaire à un strict volontariat (les heures reportées d'un jour à l'autre dans le cadre de ce dispositif étant, par ailleurs, majorées de 30 %) ; inaugure un dispositif de temps choisi (heures supplémentaires à l'initiative du salarié) ; instaure le paiement (plutôt que la récupération) des heures supplémentaires, ou encore prévoit le maintien du lundi de Pentecôte comme journée non travaillée. Par ailleurs, l'accord salarial, signé le même jour à l'unanimité, prévoit des réévaluations jusqu'à 8 % des minima salariaux des cadres ; une augmentation de 50 euros par mois pour les bas salaires ou encore une modification du calcul de la prime d'ancienneté (proportionnelle au salaire). En échange, les salariés ont accepté de réduire d'une semaine le délai de prévenance, tandis que les cadres perdent 8 jours de RTT en passant au forfait annuel de 211 jours. « En réalité, la perte est moindre, car ils ne prenaient en moyenne que 16 à 18 jours par an », souligne Daniel Dreux. En outre, souligne Alain Lauden, « ils auront désormais beaucoup plus de souplesse pour poser ces jours, et pourront les déposer sur un CET. »

A salaire constant

Pour autant, la plupart des entreprises, loin de demander aux salariés de « travailler plus pour gagner plus », souhaitent augmenter le temps de travail à salaire constant. Le tout souvent assorti d'un chantage à l'emploi. Attention, cependant : « Bosch a fait des émules, souligne Sylvain Niel, mais il est difficile de dupliquer son accord à l'identique : l'entreprise avait joué sur tout un ensemble de leviers pour réduire le coût horaire du travail, et utilisé une procédure très complète, mêlant ouverture d'un livre III, consultation du CE, référendum de salariés - l'accord avait été approuvé à 98 %, NDLR - et signature d'avenants aux contrats de travail. »

Récemment, deux autres équipementiers automobiles ont tenté, sans succès, de revoir à la hausse le temps de travail. En novembre dernier, Bourgeois Découpage, à Besançon (dont la direction n'a pas souhaité s'exprimer), a consulté les 550 salariés sur le passage à 38 h 50 par semaine, la suppression de 100 emplois et le gel des primes de fin d'année. Devant l'absence de contreparties, le personnel, dans un premier temps pas hostile au relèvement de la durée du travail, a rejeté le plan : « Les salariés étant convaincus qu'ils verront, tôt ou tard, leur emploi délocalisé en Chine préfèrent conserver leurs avantages jusqu'au bout », analyse Daniel Weber, délégué syndical CFTC.

Un peu plus tôt, l'équipementier savoyard ZFDF, filiale d'un groupe allemand, après avoir en vain tenté de négocier avec les syndicats un avenant à son accord 35 heures, a proposé à ses salariés de signer un avenant à leur contrat de travail (en cas de refus, ils risquaient le licenciement économique). L'objectif : faire baisser le coût horaire en passant de 35 heures à 37 h 50 à salaire constant, mais avec attribution d'une prime de performance, paiement de la part salariale de la cotisation de prévoyance et augmentation générale de 2 %. Mais, saisi en référé par la CGT, le tribunal en a décidé autrement, exigeant de la direction qu'elle procède par la négociation. « Lors de la prochaine négociation annuelle, nous allons reposer la question de l'organisation du temps de travail, assure le directeur général de ZFDF, Alain Blanckemane. Nous avons le sentiment qu'une prise de conscience est en train de se faire parmi les salariés, dont certains nous disent qu'ils tiennent plus à leur emploi qu'à leurs 35 heures. » Michel Rochet, délégué syndical CFTC, ne dit pas autre chose : « La grande majorité des salariés ne refuserait pas de travailler 2 h 50 de plus. La direction aurait mieux fait de commencer par les sonder plutôt qu'entrer dans une épreuve de force. »

L'essentiel

1 Dans un contexte où les revendications relatives au pouvoir d'achat ont pris le pas sur la demande de temps libre, des entreprises sont tentées de renégocier leur accord 35 heures.

2 Eurodisney a ainsi obtenu, au terme d'une longue négociation, une plus grande flexibilité en échange du paiement des heures supplémentaires et de revalorisations salariales.

3 Mais quand il s'agit d'augmenter le temps de travail à salaire égal, la démarche se révèle plus délicate, notamment dans le secteur malmené de l'équipement automobile.

Auteur

  • Sandrine Franchet