logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Demain

Les jeunes ouvriers rêvent toujours de promotion sociale

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 24.10.2006 | Violette Queuniet

Image

Les jeunes ouvriers rêvent toujours de promotion sociale

Crédit photo Violette Queuniet

Parmi les jeunes hommes de 15 à 29 ans en emploi en France, un sur deux est ouvrier. Malgré des difficultés à intégrer des organisations contraignantes et hiérarchisées, ils aspirent à une carrière dans l'entreprise, hors de la chaîne.

E & C : La classe ouvrière se caractérise par sa jeunesse. Pourquoi ?

Henri Eckert : Pour une raison simple : ceux qui deviennent ouvriers sortent de l'école assez tôt et entrent dans la vie active assez tôt également. Par ailleurs, le groupe ouvrier se renouvelle souvent et alimente d'autres catégories : celles des contremaîtres et des techniciens, que ce soit par promotion interne ou par la reprise d'études. Beaucoup d'ouvriers quittent aussi leur groupe pour s'installer à leur compte. C'est surtout le cas de ceux qui travaillent dans des petites entreprises artisanales - plombier, électricien, réparateur, etc. - et qui, au bout de dix-quinze ans, prennent la succession de celui qui les a employés.

Il y a aussi des raisons plus conjoncturelles à la jeunesse des ouvriers : l'entreprise moderne a plutôt tendance à se séparer des plus âgés. On suppose que ces derniers ne s'adapteront pas aux nouvelles techniques, à une plus grande intensité du travail, et on met des jeunes à leur place. Enfin, il faut noter que la classe ouvrière est largement - et traditionnellement - masculine, à près de 80 %.

E & C : Comment les jeunes vivent-ils l'usine, en particulier les grands sites de production ?

H. E. : Il est frappant d'entendre les jeunes parler de la pénibilité physique de la chaîne. Alors qu'ils sont en pleine forme physique, sont souvent sportifs, ils déclarent avoir souffert à leurs débuts de courbatures, de crampes, d'avoir eu les jambes lourdes. Vus d'un bureau, les actes accomplis sur la chaîne paraissent faciles. Mais, quand on prend acte de la répétition lancinante des gestes et du rythme à suivre, on se rend compte qu'il y a une réelle pénibilité physique, malgré les efforts d'ergonomie mis en oeuvre par les industriels, notamment les constructeurs automobiles.

Se plier à une nouvelle discipline est également difficile. L'organisation dans laquelle entrent ces jeunes s'avère extrêmement contraignante. Mais toute organisation, aussi contraignante soit-elle, a besoin d'individus ayant des marges de manoeuvre pour exécuter leur travail. Les jeunes ouvriers en ont donc, mais rencontrent des difficultés, dans leur phase d'intégration, à jauger des marges de liberté dont ils disposent, que ce soit dans l'exécution de la tâche, dans leurs rapports avec leurs supérieurs hiérarchiques et avec leurs collègues, dans le comportement à avoir globalement dans l'enceinte de l'usine. Cette question se pose surtout parce qu'on a affaire à des jeunes qui, bien souvent, ont été rétifs à la discipline de l'école. D'où le terme «d'incivilités» qu'on a pu entendre à propos de leur comportement. Ce sont, bien souvent, des entorses au comportement ordinaire sur le lieu de travail. Un syndicaliste m'a dit un jour : « Ils laissent traîner leur boîte de soda sur le lavabo au lieu de la mettre dans la poubelle à côté. » Ce ne sont pas des actes graves, mais ils sont souvent mal ressentis.

E & C : Comment les DRH gèrent-ils cette population ?

H. E. : Les grandes entreprises ont mis en place des modules d'intégration, de courte durée (souvent deux jours). L'objectif est de leur présenter l'usine, le poste, les consignes à respecter, mais aussi, assurent les formateurs, de leur donner quelques repères sur la norme de comportement qu'on attend d'eux. Les formes de convivialité dans l'usine en font partie.

A part cela, il n'y a pas de gestion particulière de cette population. Pourtant, il apparaît que les jeunes sont très friands d'informations concernant les perspectives de carrière. Ce point est très important pour eux, car ils sont extrêmement soucieux de ne pas rester dans cet état d'ouvrier. Or, les entreprises ne se rendent pas compte à quel point cette préoccupation de mobilité est immédiatement, et lourdement, présente. Les jeunes se plaignent d'ailleurs du manque d'informations sur les carrières, de l'opacité des règles de fonctionnement.

E & C : Tous les ouvriers n'ont pas le même profil : certains sont qualifiés, d'autres pas. Cette envie de carrière est-elle présente dans les deux catégories ?

H. E. : La frontière entre ouvriers non qualifiés, titulaires de CAP-BEP d'un côté, et les titulaires d'un bac professionnel, de l'autre, est en effet extrêmement nette. Mais le désir de promotion sociale existe chez les deux. Les premiers accomplissent les tâches les plus fatigantes et stressantes et ont hâte d'aller vers d'autres activités. Mais il devient de plus en plus difficile de sortir du groupe des non-qualifiés. Le poste de chef d'équipe, auquel ils pouvaient aspirer auparavant, est maintenant réservé aux ouvriers qualifiés ou à des titulaires d'un bac professionnel. Beaucoup s'en rendent compte et savent que, pour progresser, ils devront reprendre des études.

Les titulaires d'un bac pro n'entrent quasiment jamais sur la chaîne et beaucoup évoluent vers des positions proches de postes de technicien. Ils peuvent aussi profiter de formations internes dans l'entreprise. Ils savent qu'à la différence des «BEP», eux ont une perspective de mobilité importante. Mais ils se heurteront à un autre plafond de verre : la position de cadre, en tout cas, dans une grande entreprise.

Retour sur la condition ouvrière. Enquête aux usines Peugeot de Sochaux-Montbéliard, Stéphane Beaud et Michel Pialoux, Fayard, 1999.

La vie privée des ouvriers, hommes et femmes du Nord, Olivier Schwartz, PUF, 1990.

La condition ouvrière, Simone Weil, Gallimard, 1951.

parcours

Henri Eckert a été enseignant en collège et lycée avant de devenir conseiller d'orientation. Après une thèse de sociologie, il est entré au Céreq (Centre d'études et de recherches sur les qualifications), où il est aujourd'hui sociologue.

Il est l'auteur de plusieurs ouvrages sur le travail et les qualifications, parmi lesquels L'orientation professionnelle en Allemagne et en France, utopie et réalité (L'Harmattan, 1993), et vient de faire paraître Avoir vingt ans à l'usine (éd. La Dispute, 2006).

Auteur

  • Violette Queuniet