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La logique financière et celle des DRH divergent de plus en plus

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 03.10.2006 | Gina de Rosa

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La logique financière et celle des DRH divergent de plus en plus

Crédit photo Gina de Rosa

Le divorce entre les salariés et l'entreprise est prononcé. Logique de métier d'un côté, logique financière de l'autre. Or, le désengagement des salariés peut, à terme, coûter très cher à l'entreprise. Deux calculs restent à faire : les coûts cachés du désengagement du personnel et la rentabilité d'une vraie politique de GRH.

E & C : Vous venez de publier Divorce à la française. Comment les Français jugent les entreprises*. De quand datez-vous ce divorce ?

Hubert Landier : Il y a toujours eu une certaine méfiance des Français vis-à-vis de l'entreprise. Toutefois, entre 1983 et 1990, période au cours de laquelle on a mis en avant de nouvelles formes de management, comme les cercles de qualité ou les projets d'entreprise, l'image de l'entreprise s'est nettement améliorée. A cette époque, l'Institut de l'entreprise déclarait que « c'est l'homme et l'organisation qui font la différence ». C'était comme si, dans les années 1980, l'entreprise providence, dans l'imaginaire social des Français, avait pris la place de l'Etat providence.

Tout s'est détraqué au début des années 1990, après la guerre du Golfe, quand les plans sociaux sont repartis de plus belle et que la logique financière s'est affirmée au détriment de la logique humaine du management. Les années 1990 ont vu l'effondrement du mythe de l'entreprise providence. En effet, pas plus que l'Etat, l'entreprise n'a été capable de restaurer le plein emploi.

E & C : Vous constatez, à travers plusieurs enquêtes, que les salariés se sont désengagés vis-à-vis de leur entreprise. Pensez-vous que cette attitude représente un danger pour celle-ci ?

H. L. : Le salarié français aime son métier et il a, en général, une bonne opinion de son encadrement immédiat. Plus la direction s'éloigne de lui, plus elle risque d'avoir une mauvaise image. C'est pour cela que le patron d'une PME a souvent une meilleure image que celui d'un grand groupe.

En fait, le divorce a eu lieu entre, d'un côté, la pratique du métier et, de l'autre, une organisation trop exclusivement orientée vers la rentabilité et la finance. Ce divorce nous conduit droit «dans le mur». Car le développement durable de l'entreprise nécessite une implication active du salarié, et donc une prise en compte de sa dimension sociale.

E & C : Quels sont les moyens du DRH pour restaurer la relation ?

H. l. : Un fossé s'est creusé entre la logique des financiers et celle des DRH. Ces derniers doivent apprendre à communiquer sur la rentabilité de leurs initiatives en vue d'améliorer la qualité du management et des relations sociales... D'une façon plus large, tout ce qui permet aux salariés de réaliser leur potentiel et d'améliorer leur efficacité collective. C'est ce qui permettra à l'entreprise de réussir sur le long terme.

Le désengagement des salariés est motivé par des irritants concrets : absence d'informations, augmentations au mérite mal expliquées, possibilités d'évolution opaques, absence de réponse aux suggestions, entretiens d'évaluation mal conduits, déficiences dans l'accueil des nouveaux... Ce désengagement, on le voit dans les enquêtes de climat social, se traduit par de l'absentéisme, le départ des meilleurs et une baisse d'efficacité collective qui engendrent une multiplication des erreurs, des incidents, ou une incapacité à gérer l'imprévu... Autant de dysfonctionnements qui conduisent à détériorer la qualité de service et, au final, l'image de l'entreprise. Or, cela peut lui coûter très cher, même si les coûts sociaux n'apparaissent pas comme tels. Ces coûts cachés, l'entreprise doit apprendre à en tenir compte.

E & C : Comment redonner confiance aux salariés ?

H. L. : Dans l'entreprise, on assiste à une triple fracture : entre ceux d'en haut et ceux d'en bas ; entre les jeunes et les vieux ; entre les représentants du personnel et les salariés. On ne se parle plus et on assiste à une défaillance des intermédiaires que sont les cadres, les IRP et le DRH.

Par ailleurs, les grandes entreprises et le patronat doivent admettre le pluralisme des points de vue afin de déboucher sur un projet acceptable par tous. En France, la faiblesse des contre-pouvoirs ne leur permet plus de se faire entendre et d'être crédibles. Ce délabrement explique en partie les effets de la financiarisation des entreprises. Ils se font moins sentir là où les syndicats sont forts, comme en Suède. Le syndicalisme français va devoir opérer une mutation. La présomption de représentativité venant de la loi est dangereuse si on oublie que la légitimité est d'abord celle qui leur est donnée par les salariés.

* Editions Dunod.

Voyage au pays du coton, Erik Orsenna, Fayard, 2006.

Effondrement, comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie, Jared Diamond, Gallimard, 2006.

DRH, une espèce en voie de disparition, Lionel Tourtier et Patrick Bonney, RH Publishing, Tournai, Belgique, 2006.

parcours

Docteur d'Etat ès sciences économiques, diplômé d'études supérieures en sciences politiques, Hubert Landier intervient en tant qu'expert auprès de grandes entreprises françaises et étrangères sur les problèmes liés au management du changement, au développement des RH et aux rapports sociaux.

Il enseigne, par ailleurs, à l'université Paris-5 et anime un séminaire à l'Ecole centrale de Paris.

Il est directeur de la lettre Management social et auteur d'une douzaine d'ouvrages sur l'organisation humaine de l'entreprise et les rapports sociaux, dont, avec Daniel Labbé, Les organisations syndicales en France et Prévenir et gérer les conflits sociaux dans l'entreprise (éd. Liaisons).

Auteur

  • Gina de Rosa