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Harcèlement moral : l'entreprise est-elle systématiquement responsable ?

Demain | Chronique juridique | publié le : 19.09.2006 | d'avosial, le syndicat des avocats d'entreprise en droit social

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Harcèlement moral : l'entreprise est-elle systématiquement responsable ?

Crédit photo d'avosial, le syndicat des avocats d'entreprise en droit social

Joël Grangé associé du cabinet Gide Loyrette Nouel

L'arrêt rendu par la Cour de cassation, le 21 juin dernier, concernant la responsabilité de l'employeur en matière de harcèlement moral a déjà été largement médiatisé. Il n'est pourtant, à première lecture, pas si surprenant.

Chacun sait que la loi de modernisation sociale interdit le harcèlement moral et oblige l'employeur à veiller non plus seulement à la santé physique mais également à la santé mentale de ses salariés. La loi dispose qu'il appartient en conséquence à l'employeur de prendre des mesures de prévention.

De même, le fait que l'employeur soit tenu d'une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l'entreprise avait déjà été jugé par la Cour de cassation dans les arrêts rendus en matière d'amiante (Cass. soc. 28 février 2002, n° 00-10.051) ou de tabac (Cass. soc. 29 juin 2005). Pourquoi cet arrêt suscite-t-il alors tant d'émotions ?

En réalité, la raison pour laquelle cet arrêt surprend tient au fait que l'obligation de sécurité de résultat déjà reconnue avait été dégagée en matière d'accident du travail ou de maladie professionnelle dans le cadre d'une définition de la faute inexcusable qui, certes, avait été assouplie par rapport à la définition originelle, mais qui supposait néanmoins que l'employeur ait eu ou dû avoir conscience du danger auquel il exposait le salarié pour que sa responsabilité soit engagée. Il ne suffisait donc pas que l'accident ou la maladie soit survenu pour que l'employeur soit contraint d'indemniser les salariés.

Or, au cas d'espèce, les victimes ne se prévalaient pas des dispositions relatives à l'indemnisation des risques professionnels mais se plaçaient sur le seul terrain du droit du travail. Ayant été victimes de harcèlement moral de la part de leur directeur, les salariés avaient sollicité non seulement sa condamnation mais également celle de l'association qui les employait. L'association avait alors fait valoir qu'à la suite du rapport établi par l'inspecteur du travail, elle avait pris les dispositions appropriées en licenciant, dès la découverte des faits, son directeur. Constatant l'absence de faute commise par l'association, qui avait agi dès qu'elle avait été alertée, la cour d'appel avait alors refusé de la condamner.

Or, la Cour de cassation casse cette décision en jugeant que même en l'absence de faute de sa part, l'employeur demeure responsable. Ainsi, sur le plan pratique, même si l'employeur a pris toutes les dispositions appropriées pour l'éviter, la seule survenance du harcèlement moral dans son entreprise engage sa responsabilité.

Il faut donc non seulement prendre des mesures de prévention mais, également, qu'elles soient assurées d'efficacité, comme si le risque zéro existait.

Face à une notion de harcèlement moral aussi mal définie et aux contours si incertains, laissée, au surplus, à l'appréciation souveraine des juges du fond, n'y avait-il pas lieu d'adopter une position plus mesurée ? Il faut bien sûr lutter contre le harcèlement moral, mais il faut aussi éviter - faut-il le rappeler ? - que l'entreprise soit systématiquement tenue pour responsable de situations qu'elle n'a pas les moyens de maîtriser. Le compromis de la loi de 1898 assurant une indemnisation forfaitaire du salarié victime d'un accident au travail ou d'une maladie professionnelle sauf en cas de faute inexcusable constituait un compromis équilibré. Ce compromis paraît, une fois de plus, battu en brèche.

On peut se demander, d'ailleurs, si l'employeur n'aurait pas pu ou dû soutenir que les affections subies par les salariés constituaient une maladie professionnelle, et donc que seule cette législation aurait dû s'appliquer. La faute inexcusable, même dans sa conception allégée par la jurisprudence, aurait alors dû être établie. Subtilités de juristes techniciens, diront certains, mais c'est peut-être aussi le moyen de sortir de l'impasse qui consiste à systématiquement prendre l'employeur pour un assureur tous risques au travail, même lorsqu'il n'a commis aucune faute.

Auteur

  • d'avosial, le syndicat des avocats d'entreprise en droit social