Les organisations exigent toujours plus de leurs salariés et leur dispensent des marques de reconnaissance au compte-gouttes. La culture de la norme s'est déplacée du règlement, qui impose l'obéissance, à la spirale infernale du «toujours mieux».

Pour Anne-Marie Dujarier, nous sommes entrés dans une culture du pouvoir où l'individu n'a pas d'autre choix que de se soumettre à la demande illimitée de performance, car il est responsable des résultats de l'entreprise.

A travers les exemples de deux services, pourtant très différents, l'un de gériatrie, l'autre d'une chaîne de restauration, l'auteur montre l'écart entre le travail comme expérience de l'action et des limites imposées par le réel, et l'idéal qui transcende les limites des hommes. Ce nouveau mode de gestion, apparemment plus humain, n'a rien à envier au modèle taylorien dans lequel l'individu était tout entier pris dans un modèle hiérarchique fermé et contraignant. Le salarié n'y est rien moins que sommé d'être parfait.

Marie-Anne Dujarier met en lumière le côté délirant de ce nouveau modèle, fondé sur un fantasme de toute-puissance. Ce faisant, l'entreprise devient un système de prescriptions contradictoires qui peut conduire à la folie. L'auteure décrypte aussi la délégation en cascade des administrateurs et des experts jusqu'aux acteurs de terrain, via un encadrement intermédiaire qui se dépense sans compter.

Un essai sociologique qui se lit comme un roman parce qu'il touche au vécu dans sa dimension fascinante et pathétique.

Marie-Anne Dujarier est maître de conférence en sociologie à l'université de Paris-3 et à l'Ecole polytechnique.