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Vers des accords d'entreprise europeens

Enquête | publié le : 18.04.2006 | Sandrine Franchet

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Vers des accords d'entreprise europeens

Crédit photo Sandrine Franchet

La Commission européenne souhaite compléter, d'ici à deux ans, le dispositif du dialogue social européen, aujourd'hui limité aux niveaux interprofessionnel et sectoriel, par un encadrement de la négociation transnationale d'entreprise.

« Outre les accords de mise en place des comités d'entreprise européens, au nombre de 700 sur un potentiel de 2 000 entreprises concernées par la directive 94/45, la seconde source de négociation transnationale réside dans les accords-cadres internationaux {ACI- NDLR}, qui se sont multipliés depuis 2000 pour atteindre le chiffre de 91. Ces textes, qu'ils soient de véritables accords, ou de simples déclarations conjointes, abordent tant les conditions de travail, la santé-sécurité, le dialogue social, que des problématiques plus larges telles que la responsabilité sociale de l'entreprise, l'environnement ou le développement durable », exposait, le 14 mars dernier, Jackie Morin, chef d'unité à la DG emploi, affaires sociales et égalité des chances de la Commission européenne.

Création d'un cadre optionnel

Participant à un colloque consacré à la négociation collective transnationale (1), Jackie Morin venait relayer l'initiative engagée l'année dernière par la Commission pour encadrer ces ACI : ayant annoncé, dans son agenda social 2005-2010 son intention de créer un cadre optionnel pour la négociation transnationale au niveau européen, elle a installé, au mois d'avril 2005, un groupe d'experts, composé de juristes du droit du travail et d'universitaires, chargé de recenser les accords existants et de fournir des premières pistes de réflexion.

A la fin du mois de septembre 2005, ce groupe d'experts a remis son rapport à la Commission, qui consultera les partenaires sociaux l'année prochaine (voir p. 14)

Ces ACI, conclus au niveau européen, voire mondial, répondent au besoin de traiter au niveau adéquat, c'est-à-dire supranational, tant les engagements en matière de responsabilité sociale (tel l'accord signé par Arcelor - voir p. 15), que des principes généraux de GRH (à l'image de Total, qui s'est penché sur le sujet de l'égalité des chances - voir p. 16). Ils séduisent de plus en plus d'entreprises multinationales, comme Schneider, qui travaille actuellement avec son comité d'entreprise européen à un projet d'accord sur l'accompagnement des restructurations liées à la mise en oeuvre de son programme d'entreprise «New2».

Anticiper

« Il s'agit pour la direction de mobiliser autour de ce programme, tout en anticipant ses conséquences négatives et en concrétisant les valeurs d'équité et de responsabilité sociale que nous portons », souligne Danièle Nguyen, directrice des relations sociales du groupe. Toutefois, insiste André Sobczak, directeur du Centre pour la responsabilité globale d'Audencia (voir interview p. 17), les ACI se heurtent à la fois à « l'absence de cadre juridique européen et à l'absence de légitimité juridiquement reconnue des auteurs de la négociation et à l'absence d'effet obligatoire des résultats de cette négociation ».

Qui négocie ?

Premier obstacle : qui négocie ? Si les comités d'entreprise européens ont ouvert la porte à la négociation transnationale et sont cosignataires d'une bonne partie des accords, ces structures sont, à l'origine, destinées uniquement à l'information-consultation. En outre, les modes de désignation de leurs membres varient d'un pays à l'autre : s'ils sont élus en France, ailleurs ils peuvent être désignés par les organisations syndicales, voire par la DRH dans les pays dépourvus d'institutions représentatives du personnel.

Pour contourner l'obstacle, les directions choisissent généralement de négocier avec des fédérations syndicales européennes ou internationales. « C'est la solution la plus simple, souligne Max Matta, DRH Europe du groupe Rhodia. Mais pour discuter des problèmes concernant le groupe, il est quand même plus pertinent de le faire avec des représentants issus du groupe... »

Accord mondial

Pour son accord mondial sur la responsabilité sociale, Rhodia a toutefois choisi de contractualiser avec l'Icem (Fédération internationale des syndicats de travailleurs de la chimie, de l'énergie, des mines et des industries diverses), sans impliquer le comité d'entreprise européen. « Nous avons demandé de pouvoir aller vérifier en Chine et au Brésil, où le groupe se développe fortement, la bonne application de l'accord, mais nous avons été renvoyés au cadre européen qui est le nôtre », témoigne ainsi Jean-Marie Lallement, membre du CEE.

Le problème de la légitimité des signataires se pose également du côté de l'employeur. Comme le souligne Jean-Yves Tollet, responsable de la coordination droit social du groupe Arcelor, « la société mère peut prendre les plus beaux engagements au niveau du siège, mais est-elle en mesure de les imposer à ses filiales ? »

Evaluation de la mise en oeuvre

Diverses solutions existent : établir des mandats en bonne et due forme, ou prévoir que l'accord international soit complété par des accords locaux. Cependant, « même dans ce cas, avertit André Sobczak, que se passe-t-il lorsque le périmètre du groupe change ? »

Le deuxième obstacle auquel se heurtent les accords-cadres internationaux réside dans leur portée juridique. « Un accord transnational est-il opposable et à qui ?, s'interroge l'avocat Gilles Bélier, du cabinet Freshfields. Sachant qu'en France, un accord collectif crée des droits pour tous les salariés, alors qu'en Allemagne, par exemple, ces droits ne s'appliquent qu'aux adhérents du syndicat signataire... »

Pour Jean-François Renucci, secrétaire fédéral international/ Europe de la FCE-CFDT (Fédération chimie-énergie), « le plus difficile, en matière de négociation transnationale, reste l'évaluation de la mise en oeuvre de ces accords. En l'absence de négociation transnationale, on ne peut pas leur opposer de points de droit ».

Par ailleurs, d'après l'étude menée par André Sobczak sur une trentaine d'accords-cadres internationaux relatifs à la RSE, seuls 28 % d'entre eux prévoient une procédure de plainte interne.

Pour Sylvie Rapin, directrice des relations sociales du groupe Total, l'accord sur l'égalité des chances se place, sans équivoque possible, dans le cadre d'un gentleman's agreement dont elle ne veut pas minimiser la force : « C'est un contrat conclu entre des partenaires expérimentés, qui ont conscience de l'engagement que cela représente. Encadrer ces accords par des textes de loi ne me paraît pas indispensable. »

Compétence nationale

Côté patronal, la fédération européenne Unice se montre, elle aussi, peu favorable au projet de la Commission, souhaitant que la négociation collective demeure une compétence exclusivement nationale. En revanche, du côté des syndicats de salariés, la Confédération européenne des syndicats, tout en déplorant la méthode employée par la Commission (réunir un groupe d'experts avant de consulter les partenaires sociaux), estime, dans la résolution adoptée par son comité exécutif le 5 décembre dernier, « que l'initiative de la Commission répond à un besoin incontestable et qu'elle doit s'inscrire à l'intérieur d'un cadre définissant de manière cohérente la structure des relations industrielles européennes et poursuivre l'objectif du renforcement du dialogue social au niveau européen. » Elle formule cependant trois exigences : que le droit de négocier et de signer des accords transnationaux demeure exclusivement du domaine des organisations syndicales (et non des comités d'entreprise européens) ; que ce nouveau niveau de négociation ne modifie ni n'interfère avec les compétences et les pouvoirs existant au niveau national ; et, enfin, que les accords conclus au niveau transnational ne puissent être à l'origine d'un affaiblissement des droits et de la protection des salariés.

(1) Négociations collectives transnationales : un outil au service de la stratégie de Lisbonne ? Colloque des 14 et 15 mars 2006, organisé par l'association Europe et société, avec le soutien de la Commission européenne.

L'essentiel

1 La Commission européenne a inscrit à son agenda social 2005-2010 l'intention de créer un cadre optionnel pour la négociation transnationale au niveau européen.

2 A l'heure actuelle, les accords-cadres internationaux souffrent du flou juridique qui entoure tant le choix des négociateurs que le contrôle de leur application.

3 La Confédération européenne des syndicats se montre tout à fait favorable à l'encadrement de la négociation européenne, à condition qu'elle ne débouche pas sur un affaiblissement des droits des salariés.

Vers un cadre européen pour la négociation transnationale

La Commission européenne a annoncé, dans son agenda social 2005-2010, son intention de proposer un cadre optionnel pour la négociation collective transnationale, soit au niveau des entreprises, soit à l'échelle des secteurs.

« Une Europe sociale dans l'économie mondiale : des emplois et de nouvelles chances pour tous » : telle est la devise que la commission s'est fixée pour la mise en oeuvre de son agenda social, couvrant la période 2005-2010. A ce titre, elle se fixe deux axes prioritaires : « atteindre le plein emploi », et « enclencher une nouvelle dynamique pour les relations industrielles ». Pour ce faire, « la commission continuera à promouvoir le dialogue social européen interprofessionnel et sectoriel ».

Mais surtout, afin « d'aider les entreprises et les secteurs à relever les défis se rapportant à des questions telles que l'organisation du travail, l'emploi, les conditions de travail et la formation », la commission prévoit d'adopter une proposition « dont l'objectif sera de mettre à la disposition des partenaires sociaux un outil pour formaliser la conduite et les résultats de la négociation collective transnationale ». Mais attention : « l'utilisation de l'outil restera optionnelle et dépendra ensuite entièrement de la volonté des partenaires sociaux ».

Actuellement en phase d'analyse des accords transnationaux déjà signés par des entreprises européennes, la commission organise un séminaire avec les différentes parties prenantes ce printemps, puis engagera la consultation des partenaires sociaux en 2007.

Auteur

  • Sandrine Franchet