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Quel avenir pour les 35 heures ?

Enquête | publié le : 14.03.2006 | Céline Lacourcelle, avec Pascale Braun

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Quel avenir pour les 35 heures ?

Crédit photo Céline Lacourcelle, avec Pascale Braun

Une poignée d'entreprises sont revenues, ou tentent de le faire, sur leur durée du travail, les 35 heures ne répondant pas à leurs exigences de rentabilité dans une économie mondialisée. Tendance de fond ou phénomène à la marge ? Zoom sur les premiers coups de canif portés à la durée légale du travail.

Les 35 heures vivraient-elles leurs derniers instants ? Voulant couper court à toute spéculation, Jacques Chirac s'était montré rassurant, le 14 juillet dernier, en annonçant que les 35 heures étaient un « acquis social ». Pourtant, à en croire les diverses attaques dont elles sont victimes depuis quelques années, on pourrait les considérer en péril.

Les premiers coups sont venus du gouvernement. Ainsi, le 17 janvier 2003, le gouvernement Raffarin adopte de premiers assouplissements avec ce qui deviendra la «loi Fillon» relative « aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi ». La référence annuelle devient alors 1 600 heures travaillées. Quant au quota des heures supplémentaires, il passe de 130 à 180, et à 130 heures pour les salariés soumis à un accord collectif de modulation. Un peu moins d'un an plus tard, le contingent d'heures supplémentaires s'élève à 220 heures.

«Heures choisies»

Autre virage de taille : celui amorcé avec la loi du 22 mars 2005. Celle-ci prévoit d'étendre les possibilités de recours au compte épargne-temps (épargne de jours non utilisés ou paiement de ces derniers), et instaure, sous réserve d'un accord collectif, un régime d'«heures choisies», permettant au salarié de travailler au-delà du contingent annuel d'heures supplémentaires. Elle ouvre, en outre, dans les entreprises de moins de 20 salariés (dont le régime dérogatoire de majoration des heures supplémentaires est prorogé de trois ans), la possibilitéd'abandonner, contre salaire, 10 jours de RTT par an.

35 heures et 52 minutes par semaine

Qu'en est-il vraiment de la durée du travail ? En 2003 et 2004, selon une enquête de l'Insee, publiée mi-février 2006, les Français à temps complet travaillaient en moyenne 1 650 heures, soit 35 heures et 52 minutes par semaine, soit 50 heures de plus que la durée légale du travail. Quant aux cadres, l'Insee avance le chiffre de 1 870 heures en moyenne, contre 1 640 heures pour les professions intermédiaires et 1 610 pour les employés et les ouvriers. Pour certaines entreprises, le compte n'y est pas.

Pionnières en matière de remise en cause des 35 heures : Bosch à Vénissieux (lire l'article p. 18) et Yves Saint-Laurent Beauté. Dans cette entreprise spécialisée dans la fabrication et la distribution de parfums et de cosmétiques, la direction et certains syndicats ont signé, en mars 2004, trois avenants à leurs accords de RTT (un par site) pour les cadres. Applicables à partir du 1er juin, ces textes ont un même principe : une réduction du nombre de jours de RTT des cadres, compensée par des augmentations de salaire.

Fonte des RTT

Selon les accords, les quelque 430 cadres voient leurs jours de RTT converger de 23, ou de 18, à 12 jours. Selon les sites, les cadres travaillent donc 6 ou 11 jours de plus. Cette augmentation est partiellement compensée par des augmentations de salaire : le travail effectué en sus est rémunéré à hauteur de 80 %. A l'arrivée, les hausses de salaires issues de ces avenants varient de 1,8 % à 2,4 %.

La même année, c'est au volailler Doux de revenir sur son accord de réduction du temps de travail, conclu en décembre 1999. Les allègements de charges associées à son accord défensif arrivant à leur terme, le groupe décide d'appliquer strictement les 35 heures ; de supprimer 23 des jours de RTT et d'exclure du temps de travail rémunéré la demi-heure de pause obligatoire quotidienne.

Menace de délocalisation

Autre entreprise, autre contexte : celui de Fenwick, société de fabrication de chariots élévateurs, filiale de l'allemand Linde. Depuis le 2 janvier dernier, les 551 salariés de l'usine de Cenon-sur-Vienne (86) travaillent davantage pour le même salaire ; précisément, de 32 à 35 heures dans les ateliers, et de 34,5 à 37,5 heures dans les bureaux. Les salariés de l'atelier ont donc perdu 9 jours de RTT et ceux des bureaux 12. Le motif de cette réforme ? Une menace de délocalisation de leur usine en Pologne. C'est également pour sauver des emplois que Hewlett Packard et les syndicats ont accepté la remise en cause de l'accord d'entreprise sur les 35 heures (lire ci-dessous).

Disparition programmée

RTT ou emploi ? A l'usine de freins TRW, de Bouzonville (57), la question a aussi été posée. Elle a donné lieu à une valse-hésitation qui se traduit, dans les faits, par la disparition programmée des RTT. En janvier 2005, 82 % des 978 salariés de l'entreprise, consultés par référendum, avaient validé le programme de la direction qui promettait le maintien des effectifs et un investissement de 12 millions d'euros, moyennant un passage progressif aux 39 heures payées 38 heures et demie. La seconde option du scrutin consistait à maintenir les 35 heures, moyennant 300 suppressions de poste. Mais deux des trois syndicats signataires, FO et la CGT, se sont retirés de l'accord en mai dernier. Soutenu par la seule CFTC, le protocole a dû faire l'objet d'un nouveau référendum, qui a donné lieu à un coup de théâtre. Le 5 juillet, les salariés sont revenus sur leur position, rejetant l'accord à 54 %. Une semaine plus tard, un troisième référendum a conduit à la case départ : craignant une délocalisation, les salariés plébiscitent à nouveau l'accord à 82 %. Le 15 septembre, la CFDT, la CGT et l'Unsa obtiennent l'annulation de ce troisième référendum, dont les modalités préalables n'ont pas été respectées. La direction n'en applique pas moins son programme : de 14 jours de RTT par an en 2004, les salariés sont passés à 7 en 2005 et à 5 en 2006, avant leur suppression pure et simple en 2007.

Avenant à l'accord de 1999

D'autres entreprises, enfin, s'y essayent. Chez Eurodisney, la direction compte également aboutir à un avenant à l'accord 35 heures signé en 1999. Le texte d'origine, concernant 11 000 salariés, dont 1 600 cadres, prévoit 23 jours de RTT pour les cadres, et la semaine des 35 heures pour les autres catégories de personnel.

A l'ouverture des négociations, en octobre dernier, la direction a été très claire : pour mieux coller aux pics d'activité lors, notamment, des vacances scolaires et des jours fériés, il faut parvenir à une modulation-annualisation du temps de travail. « La volonté de la direction est de disposer de plus de souplesse et de réactivité pour, in fine, aboutir à une flexibilité des temps de travail », présente la CFE-CGC. Par ailleurs, la direction compte supprimer 10 jours de RTT, constatant que 20 % de ces jours ne sont pas pris.

Les négociations, ouvertes jusqu'en mars prochain, battent leur plein. La pierre d'achoppement ? Entre autres, la différenciation des cadres entre les «autonomes» et les «intégrés» selon leur coefficient. « Un cadre qui devient intégré perd son autonomie. Et avec les cadres autonomes, c'est la porte ouverte à des journées de 13 heures. Nous préférons qu'il n'y ait pas de distinction, signale la CFE-CGC. Pour autant, nous sommes conscients qu'au vu des résultats de l'entreprise il faille réadapter certains postes. Notre proposition : on garde 20 JRTT au lieu de 23. »

Résistance

Chausson Outillage, à Reims (51), avait bien essayé, début 2005, de lier suppressions d'emploi, 80 en l'occurrence, et réforme du temps de travail. En jeu : 22 jours RTT. Mais c'était sans compter sur la résistance des institutions représentatives du personnel qui assignèrent la direction en référé au motif que les 35h restaient la durée légale. « Nous avons, ensuite, organisé un référendum au comité d'entreprise (CE) en février 2005, une idée à l'origine de la direction, explique Patrick Thumy, secrétaire du CE. Le verdict a été sans appel. 80 % des votants se sont prononcés contre une remise en cause des 35 heures, dont 50 % de cadres. » Depuis, rien n'a bougé.

Heures supplémentaires

Dernièrement, c'est la branche métallurgie qui a fait parler d'elle en proposant à la signature un avenant modifiant l'accord du 28 juillet 1998 sur l'organisation du travail et les 35 heures. Ce texte, concernant 1,7 million de salariés, approuvé par la CFTC, FO et la CFE-CGC, prévoit notamment un contingent d'heures supplémentaires de 220 heures contre 180 précédemment, et de 175 heures en cas d'annualisation-modulation contre 150. Sur ce volet des heures supplémentaires, l'avenant prévoit également la possibilité de prendre des heures supplémentaires «choisies» au-delà du contingent. Egalement au programme : l'élargissement du forfait jours aux non-cadres, dès lors qu'ils ne dépendent pas d'un horaire collectif.

Peu de risques de généralisation

Ces exemples seraient-ils le début d'une longue série ? Les observateurs ne le pensent pas, à l'instar de Damien Doré, directeur d'études à Entreprise & Personnel (lire interview p. 19).

Même avis de Daniel Croquette, délégué général de l'ANDCP : « L'accord de l'UIMM va peut-être lever certains verrous. Mais à la condition que les entreprises aient des besoins particuliers. Autrement, il n'y aura pas, à mon sens, une généralisation de l'augmentation du temps de travail à coût constant. »

Gérard Cornilleau, économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques, reste, pour sa part, prudent : « Il est difficile, aujourd'hui, de faire des prévisions sur les évolutions du temps de travail car elles dépendent d'arbitrages micro-économiques. Toutefois, on ne note pas, jusqu'à présent, de réelles évolutions statistiques. Les 35 heures ont introduit de la souplesse dans les organisations du travail. Au-delà des questions idéologiques, il n'y a donc pas économiquement de raisons de revenir dessus, sauf si l'entreprise s'oriente vers une stratégie de diminution du coût du travail. »

Temps choisi

Ce qui est plus envisageable, en revanche, c'est un allongement du temps de travail individuel, « dans l'esprit du temps choisi », explique Daniel Croquette. Selon lui, la priorité des entreprises demeure la souplesse. « Les ajustements s'effectueront au cas par cas, sous la forme d'un accord tacite avec les salariés, et au regard des contraintes de l'entreprise, plutôt qu'une homogénéisation du temps de travail de l'ensemble du personnel. Les entreprises veulent éviter tout risque de révolution sociale. »

L'essentiel

1 Depuis 2003, de nombreux textes législatifs tentent de réformer petit à petit les 35 heures.

2 Bosch, Saint-Laurent Beauté, Doux, Fenwick sont quelques-unes des entreprises à avoir sauté le pas : elles ont renégocié leur accord 35 heures pour un allongement du temps de travail.

3 Selon les observateurs, la remise en cause des 35 heures ne devrait concerner que peu d'entreprises. Seul changement prévisible : un aménagement individuel plutôt que collectif du temps de travail.

Hewlett Packard : échange emplois contre jours de RTT

Le constructeur informatique a accepté de revoir son plan social à la baisse en échange de la suppression de jours de RTT pour les cadres au forfait jours.

940 : c'est finalement le nombre de suppressions de poste prévues dans les deux principales sociétés Hewlett Packard France, HPF (HP France) et HPCCF (HP centre de compétences France), et ses filiales Triaton et CFS. C'est moins que les 1 240 suppressions annoncées en septembre dernier. Des réactions au plus haut niveau de la classe politique, une forte mobilisation syndicale et, surtout, la renégociation imposée de l'accord RTT de 1999 ont permis ce recul. « Les 35 heures constituent pour nous un handicap car un salarié d'HP travaille 206 jours par an quand nos concurrents, qui s'en tiennent aux conventions collectives de la métallurgie et de Syntec, travaillent 218 jours », explique Patrick Starck, Pdg d'HP France. « Quand je réponds à un appel d'offres, mon taux journalier est plus élevé et je perds des marchés. Donc, en dénonçant l'accord de réduction du temps de travail, je recommencerai à gagner des appels d'offres, à accroître le chiffre d'affaires et, in fine, à créer des emplois. »

Le 2 décembre dernier, quatre syndicats : CFDT, CFTC, CFE-CGC et FO signaient un protocole d'ouverture de négociation sur le temps de travail, dénoncé comme un «marchandage» par la CGT. Les discussions ont avancé. « Le projet d'accord prévoit pour une partie du personnel, précisément les non-cadres, les cadres P1 et P2, le maintien de leur temps de travail sous la forme de 35 heures par semaine mais annualisées, soit 22 jours de RTT sur l'année. Pour les cadres au forfait jours, le texte de la direction ramène à 216 au lieu de 206 le nombre de jours travaillés annuellement, desquels sont soustraits deux jours de fractionnement », détaille Didier Pasquini, secrétaire général de la fédération CFE-CGC métallurgie de l'Isère. Dans un premier temps, la direction souhaitait supprimer 12 jours.

Pour autant, ce projet d'accord est suspendu à la procédure d'élections des membres du CE en cours jusqu'en mars prochain. Membres du CE à qui devra être soumis le texte pour avis avant d'être paraphé par les organisations syndicales.

Tokheim Services : absorber un surcroît d'activité

Pour la deuxième année consécutive, Tokheim Services propose à ses salariés de travailler plus en gagnant plus, afin de faire face à une augmentation temporaire de la charge de travail.

En 2004, la société de production et de maintenance de pompes à essence est revenue sur son accord 35 heures pour deux raisons : « La rigidité du texte était peu compatible avec la notion de service au client, essentielle dans notre métier. De plus, nous allions devoir mettre nos stations-service en conformité avec une nouvelle norme, d'où un important surcroît d'activité que nous ne voulions pas absorber avec de la sous-traitance ou de l'intérim. »

Deux accords sont conclus à l'été 2004 avec FO, organisation majoritaire, qui, depuis, a encore progressé aux élections professionnelles. Le premier permet aux techniciens supérieurs itinérants d'accéder au statut de cadre autonome avec une gestion annuelle de leur temps de travail. L'entreprise leur rachète alors 13 jours de RTT en contrepartie d'une augmentation de salaire de 6 %. Le second accord, conclu pour une durée d'un an puis reconduit en octobre 2005 pour une période équivalente, permet aux non-cadres de renoncer à 11 ou 17 de leurs 23 jours de RTT, en échange d'une hausse de salaire mensuel de 7,1 % ou 10,7 %. Il instaure aussi un compte épargne-temps avec une sortie en temps ou en argent.

« En 2004, plus de 37 % du personnel a souscrit au rachat de jours de RTT, ils sont 38,5 % cette année. Ce résultat passe à 50 % si l'on tient compte des jours logés dans le CET. Ce qui a permis, en 2005, d'économiser 26 équivalents temps plein et d'enregistrer 30 % de chiffre d'affaires en plus », se félicite Pascal Delmas, DRH de Tokheim Services, qui a néanmoins dû faire appel à la sous-traitance, à hauteur de 20 équivalents temps plein.

« Le dialogue et la politique contractuelle fonctionnent bien dans l'entreprise, c'est pourquoi ce dossier a pu être ouvert, souligne Frédéric Souillot, délégué FO. C'est un bon accord, qui fait appel uniquement au volontariat, sans pression de la hiérarchie. Il a montré qu'il répondait bien à la demande de certains salariés. »

Bosch France : chantage à la compétitivité

La filiale française de l'équipementier allemand Bosch envisage le retour aux 40 heures comme l'une des pistes pour maintenir sa compétitivité.

En décembre dernier, la CGT et les patrons français de Bosch se sont mesurés par communiqués interposés. Selon le syndicat, le groupe a l'intention « de remettre en cause les 35 heures » pour les 10 700 salariés des 21 sites ». « Bosch France poursuit dans le registre de la provocation sociale en martelant que le retour aux 40 heures payées 35 est la seule solution à tous les problèmes rencontrés, affirme Mohamed Brahmi, délégué syndical CGT. Le groupe, qui se porte bien, avec un chiffre d'affaires global en progression de 4 % en 2005, veut dégager encore plus d'argent pour investir dans les pays émergents, là où s'installent les constructeurs automobiles » et où les salariés coûtent moins cher. « Chaque année, nos clients nous demandent de diminuer nos prix, explique-t-on à la direction de la communication de Bosch France. Nous devons donc développer une politique à long terme de prix de revient compétitifs, y compris en matière de coûts salariaux. Pour y parvenir, nous devons explorer toutes les pistes, dont celle de l'augmentation de la durée du travail. C'est encore à l'état de réflexion, aucun calendrier n'a été fixé. »

En 2004, les salariés du site de Vénissieux avaient dû accepter le passage aux 36 heures par la suppression de six jours de RTT, en contrepartie d'un investissement de 20 millions d'euros et du maintien de 180 emplois. « Aujourd'hui, on leur dit que ça ne suffit pas. Les salariés se sentent floués. Nous serons toujours plus chers qu'un salarié tchèque ou turc même si nous travaillons quatre heures de plus par semaine », estime Mohamed Brahmi.

Auteur

  • Céline Lacourcelle, avec Pascale Braun