logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Les Pratiques

Ces entreprises qui luttent contre le sida

Les Pratiques | Point fort | publié le : 21.02.2006 | Jean-François Rio

Inspirées par des expériences réussies à l'étranger, un nombre grandissant d'entreprises mènent des actions de sensibilisation et de prévention contre le VIH-sida, avec l'aide des associations dédiées.

Raphaël, 34 ans, avait une carrière toute tracée dans la restauration. Jusqu'au jour où il a déclaré sa séropositivité. « J'étais directeur adjoint d'une grande cafétéria dans le sud de la France. On m'avait promis une formation de directeur. Du jour au lendemain, on ne m'a plus adressé la parole et mon supérieur m'a fait comprendre que je pouvais oublier sa promesse. J'ai fini par démissionner. » Jacky, un Malouin d'une cinquantaine d'années, a, quant à lui, été mis à la porte de sa PME quand son patron a appris qu'il était séropositif. « Il a trouvé un prétexte bidon pour me licencier. » Ces témoignages recueillis lors du colloque «Pathologies chroniques évolutives et maintien dans l'emploi», organisé le 10 octobre dernier à Paris, traduisent la souffrance qu'endurent les personnes porteuses du VIH/sida. Discriminées sur leur lieu de travail (voir encadré p. 20), elles éprouvent, en outre, les pires difficultés à concilier leur activité professionnelle et la gestion de leur maladie, les trithérapies provoquant de lourds effets secondaires.

Chape de plomb

La perception du sida, encore assimilé à «la» maladie des toxicomanes et des homosexuels*, l'ignorance entourant cette pathologie, notamment sur ses modes de transmission, agissent comme une chape de plomb. Du coup, par peur des représailles, nombre de personnes n'osent déclarer leur séropositivité. Même les médecins du travail, pourtant tenus au secret professionnel, sont rarement informés. « Chez Aides, explique Sandie Sempé, nous recommandons à la personne de bien réfléchir aux conséquences de la déclaration. Il convient d'en parler à sa famille, à ses amis, à des collègues de confiance et aux associations. » « Le VIH est un handicap qui ne se voit pas. C'est toute la difficulté. C'est une maladie qui est tue, même parmi les collègues. Certains employeurs qui souhaiteraient s'investir dans la prévention nous le disent clairement : ils ne savent pas comment s'y prendre », illustre Bruno Moysoulier, en charge des relations avec les entreprises chez Arcat Sida.

Enjeu émergent de responsabilité sociale

Le débat actuel sur les discriminations, le retour d'expériences réussies d'entreprises implantées dans des pays ravagés par la pandémie et la montée en puissance des associations de lutte contre le sida sur le front de l'emploi sont autant d'aiguillons qui conduisent aujourd'hui les entreprises à se saisir de cette question de santé. « C'est un enjeu émergent de responsabilité sociale », lance François Fatou, délégué général de l'Observatoire sur la responsabilité sociétale des entreprises (Orse). « La problématique du maintien dans l'emploi des personnes séropositives, qui va de pair avec celle des discriminations, commence à interroger les DRH », confirme Luis Ramirez, chargé de mission emploi chez Sidaction.

Regroupées au sein de la Coalition mondiale des entreprises contre le VIH-sida ou au sein de Sida-Entreprises (voir p. 20), ce sont les entreprises françaises implantées à l'étranger qui ont donné le «la». Lafarge (90 000 salariés dont 10 000 en France) consacre ainsi, chaque année, 1 million de dollars à sa politique de lutte contre le sida. « Certains pays en voie de développement où nous sommes présents cumulent des taux de prévalence importants de la maladie avec un déficit de structures de santé. Dans une de nos usines, au Zimbabwe, plus de 20 % des salariés sont contaminés. Humainement, nous ne pouvons pas rester insensibles », explique Patrice Lucas, directeur des politiques sociales du groupe Lafarge. L'entreprise française propose à ses salariés des tests anonymes et gratuits de dépistage. Des préservatifs sont à la disposition des personnels. Sans compter l'information sur la maladie. Celle-ci est notamment distillée par des peers educators, des salariés bénévoles qui conseillent leurs collègues afin de les aider à se prémunir contre ce fléau. Du coup, dans certains de ses sites français, Lafarge a profité du 1er décembre, journée mondiale de lutte contre le sida, pour communiquer sur cette « réalité africaine ». « C'est un bon moyen d'aborder en interne la question du sida et cela contribue à lever les tabous », observe Patrice Lucas. Areva, qui a lancé une campagne de prévention contre le sida au Niger, pays où le spécialiste du nucléaire emploie 1 600 salariés (pour 20 000 ayants droit), envisage aussi de mener des actions en France. Des contacts viennent d'être noués avec des associations. « Pourquoi pas s'adresser aux enfants des salariés ? Ce serait une manière habile de toucher les personnels sans les heurter », souffle un responsable du groupe.

AXA Atout Coeur

Chez AXA, c'est via l'association AXA Atout Coeur (3 700 adhérents) que des actions de sensibilisation sur le sida ont été menées. « En 1994, nous avons pour la première fois participé à la journée mondiale de lutte contre le sida. Dans les sites d'AXA France qui disposent d'un restaurant d'entreprise, nous distribuons gratuitement, le 1er décembre, des préservatifs, une plaquette sur la prévention, puis des salariés vendent des cookies au profit des associations. Sur l'intranet, des écrans d'information sensibilisent les salariés à cette manifestation », explique Dominique Fouchard, secrétaire général d'AXA Atout Coeur. Autre temps fort : la participation bénévole de salariés au Sidaction. L'an dernier, 900 personnes se sont relayées sur deux jours pour répondre au téléphone et recueillir les dons. Bilan : 3 750 heures de permanence téléphonique.

Convention d'objectifs chez PSA

Les associations de lutte contre le sida sont, elles, sollicitées par les entreprises. PSA Peugeot Citroën et Aides s'apprêtent à parapher une convention d'objectifs. Au menu : la réalisation d'une plaquette VIH-sida s'insérant dans une mallette «Bien conduire sa santé», kit élaboré par le service de santé au travail ; et la mise à disposition, dans des sites du constructeur, d'un site web «Rumeurs dans l'entreprise», accessible à partir de bornes interactives.

Peu de politiques ambitieuses

« Des entreprises mettent en place des opérations coups-de-poing, mais il y a peu de politiques ambitieuses », tempère Bruno Moysoulier, d'Arcat Sida. Les mentalités commencent toutefois à évoluer. Grâce à la persévérance de Comin-G, une association représentant la communauté homosexuelle du ministère de l'Economie et des Finances, celui-ci a autorisé l'organisation d'une opération information/prévention le 1er décembre. Une petite révolution à Bercy ! « Mais il a fallu se battre, admet Philippe Chauliaguet, président de Comin-G et porte-parole du collectif Homoboulot. Nous avons attendu plus d'un an et demi avant d'être reçus par le directeur du personnel. Ce qui est très encourageant, c'est l'enthousiasme des salariés pour notre action. »

* En 2005, 7 000 personnes ont été infectées par le VIH. 56 % des cas concernaient des contaminations par rapports hétérosexuels, et 22 % par rapports homosexuels, tandis que la contamination par usage de drogues ne représentait que 2 % des diagnostics. Au total, 150 000 personnes étaient porteuses du VIH l'an dernier.

L'essentiel

1 Lorsqu'ils déclarent leur pathologie, les porteurs du VIH-sida sont victimes de discrimination au travail. Ils peinent aussi à concilier leur activité et la gestion de leur maladie.

2 Ce n'est pas encore une lame de fond, mais de plus en plus d'entreprises mènent des actions de prévention et de sensibilisation sur le sida.

3 Elles sont généralement le fait de groupes internationaux qui ont déployé, à l'étranger, des démarches similaires. Les associations de lutte contre le sida sont, en outre, de plus en plus actives sur le terrain de l'emploi.

Discriminés et frappés par le chômage

A l'automne dernier, deux enquêtes, l'une issue du baromètre Sida Info Service sur les discriminations, l'autre émanant de l'Agence nationale de recherche sur le sida, sont venues confirmer ce que les associations de lutte contre le sida pressentaient depuis longtemps. Discriminées sur le lieu de travail, les personnes séropositives sont aussi plus touchées par le chômage que les autres salariés. Ainsi, 33,7 % des personnes porteuses du VIH affirment avoir subi des discriminations dans la sphère professionnelle et 29,3 % ont adopté des attitudes d'autoexclusion pour les éviter. Pour expliquer ces comportements discriminatoires, trois raisons sont avancées : la peur d'une contamination, les préjugés, et une moindre performance économique. « Les discriminations relèvent le plus souvent des collègues, ce qui rend le phénomène diffus et donc très difficile à combattre », souligne François Fatou, délégué général de l'Orse. Selon les résultats de l'enquête Vespa (VIH enquête sur les personnes atteintes) menée par l'Agence nationale de recherche sur le sida, 43,5 % des personnes séropositives étaient au chômage ou inactives en 2003. Parmi les personnes âgées de moins de 60 ans, diagnostiquées depuis 1996 et qui avaient une activité professionnelle, 27,5 % ont perdu leur emploi et ne travaillaient plus en 2003. Sur ce total, 19,9 % l'ont perdu après le diagnostic.

Auteur

  • Jean-François Rio