logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Enquête

Trois ans de sursis pour les ex-Alcatel

Enquête | publié le : 14.02.2006 | G. L. N.

Image

Trois ans de sursis pour les ex-Alcatel

Crédit photo G. L. N.

Vendue par Alcatel en juillet 2001, l'usine de téléphonie de Laval est aujourd'hui fermée par Flextronics. La direction du groupe américano-singapourien n'a pas poursuivi les tentatives de diversification d'activité au-delà de la période d'engagement du cédant sur les commandes.

Un long bâtiment blanc, parfaitement anonyme dans la campagne lavaloise, à quelques minutes du centre-ville. Il a longtemps appartenu à Alcatel, plus brièvement à Flextronics, et a compté 830 salariés au moment de sa cession à la multinationale de la sous-traitance électronique, en 2001. Aujourd'hui débadgée, cette usine de téléphones est quasi vide, à l'exception de quelques lignes, reprises par la société Cofidur, avec 93 salariés, pour la partie d'activité avionique de Flextronics.

Promesses

« Il n'y aura aucune conséquence sur l'emploi », affirmait Serge Tchuruk, patron d'Alcatel, le 26 avril 2001, en annonçant sa décision de sous-traiter la totalité de la production des téléphones portables. Danone était alors chahuté pour sa décision de fermeture-délocalisation. La cession d'activité paraissait une meilleure solution.

« Dès 2001, on doutait des possibilités de survie avec Flextronics, constate pourtant André Pavageau, délégué CFDT. La baisse d'activité était prévisible, il aurait fallu réussir la diversification. »

Les 323 salariés épargnés par les plans sociaux précédents ont reçu leur lettre de licenciement en décembre 2005. Le cabinet de consultants Altedia a pris en main le volet reclassement du plan de fermeture.

Difficile reconversion

Au rez-de-chaussée de l'usine de 30 000 m2 demeurent les permanences syndicales. Dans le local CFDT, quelques anciens d'Alcatel, qui ont vu l'activité péricliter, les effectifs maigrir, et qui savent combien la reconversion sera difficile sur un bassin d'emploi déjà éprouvé. « En 2000, nous avions ici une des plus belles usines d'Europe pour les GSM, regrette Alain, 53 ans. Aujourd'hui, une partie des outils est déménagée vers les sites allemand et mexicain de Flextronics, et à Châteaudun, où le groupe a repris un site de Nortel. »

Un « groupe sans usines »

Cas d'école de la restructuration du secteur, l'usine de Laval a été cédée par Alcatel, que Serge Tchuruk voulait « groupe sans usines », le 1er juillet 2001. Dans le cadre de l'article L 122-12 du Code du travail, les salariés passaient alors sous le pavillon exotique de Flextronics, numéro un mondial de la sous-traitance électronique, dont le siège se trouve à Singapour et la gestion opérationnelle en Californie. Alcatel s'était engagé à assurer un volume de commandes à son ancienne division de téléphones grand public pendant trois ans. La stabilité des effectifs ne durera pas plus longtemps.

« Un premier PSE à l'été 2004 : des départs volontaires avec primes, énumère André Pavageau. Il a surtout intéressé des jeunes avec une première expérience ; le marché était moins sinistré qu'aujourd'hui. Deuxième plan fin 2004-début 2005 : 250 personnes dans les fonctions supports. » Le troisième plan, annoncé au coeur de l'été dernier, et concernant l'ensemble du personnel, a donc signé la fermeture du site.

Diversification insuffisante

Scénario cousu de fil blanc ? La direction locale assure aux représentants des salariés qu'elle a fait son possible pour diversifier la production, seule solution pour pérenniser l'activité. Thalès, Blaupunkt, Airbus, notamment, commencent, en effet, à figurer dans le carnet de commandes. « Il reste que l'entreprise n'a pas tenu ses engagements, affirme Claudette Lefebvre, dans le local CGT, dont les fenêtres ouvrent sur un parking aux trois quarts vide. Il n'y a eu qu'une équipe de commerciaux pour l'ensemble des sites français. » Diversification trop faible, avec des marges insuffisantes, tranche la direction corporate fin 2004, alors qu'Alcatel se désengage. Il n'y aura pas de retour en arrière.

La direction du site ne souhaite pas s'étendre sur les raisons de l'échec. « Les circonstances du marché n'ont pas été favorables, souffle le DRH. Mais c'était à nous d'atteindre un objectif de diversification. Nous ne l'avons pas fait. » Pour le reste, arguant de l'existence de clients et de relations d'affaires conservés par Flextronics en France, le management local reste discret.

Une enveloppe de 46 millions de dollars

« Les conditions de départ ne sont pas indignes, reconnaissent les délégués syndicaux, c'est un groupe qui a de l'argent. » Ils croient savoir que l'enveloppe consacrée à l'ensemble de la fermeture pèse 46 millions de dollars. Les salariés partent avec une prime forfaitaire d'environ 19 000 euros, plus une prime d'ancienneté, en complément des indemnités conventionnelles, « environ deux ans de salaires en tout pour une ancienneté moyenne », calcule un syndicaliste. Plus un congé de reclassement de neuf mois, avec 85 % du salaire brut. Sans compter quelques propositions de reclassement à Châteaudun et, pour l'anecdote, en Malaisie, en Chine, et à Singapour.

Ce site avait-il ou non un avenir quand il a été cédé ? Les salariés n'en seront sans doute jamais sûrs. Ils savent, en revanche, que l'avenir s'annonce sombre.

alcatel

> Effectifs : 58 000 salariés.

> Chiffre d'affaires : 15,9 milliards d'euros en 2005.

flextronics

> Effectifs : NC.

> Chiffre d'affaires : 13,1 milliards d'euros en 2005.

De cessions en cessations

Alcatel met en oeuvre le projet de Serge Tchuruk d'entreprise sans usines. Cession des usines de Laval à Flextronics en 2001 ; de Cherbourg à Sanmina en 2002 ; de Brest à Jabil la même année. Ces transferts engagent une mécanique de billard à trois bandes : Flextronics, qui avait une usine de téléphones à Lunéville, la ferme pour transférer son activité, en baisse, vers Laval. De son côté, Sanmina ferme son unité de Grenoble début 2003, proposant un transfert sur Cherbourg aux 220 salariés isérois.

Celestica, appartenant au groupe américain Onex, achète l'usine Avaya de Saumur à l'été 2001. Il reprend également l'ancienne unité Océ Graphics de Guérande. En 2005, il annonce un plan social concernant 188 emplois sur 208 postes pour Saumur, et la fermeture de Guérande. La production des deux sites est transférée en Tchéquie. En attendant la fermeture, la direction demande aux salariés d'augmenter leurs heures pour faire du stock. Une stratégie fréquente, selon les syndicats, pour fermer plus proprement : cette hausse de l'activité dope les derniers salaires, qui servent de référence pour les allocations Assedic. Il y a quelques semaines, un repreneur s'est fait connaître pour Guérande.

Solectron a annoncé, fin août 2005, un nouveau plan social de 250 personnes pour l'ex-unité IBM de Bordeaux. C'est le septième plan en quatre ans. Outre des pertes de marchés (Nortel et Intermec), les syndicats dénoncent des délocalisations vers la Hongrie, la Chine et la Roumanie.

Hewlett Packard a cédé son site de montage de PC de l'Isle- d'Abeau (38) à Sanmina, en 2001. Trois ans plus tard, la multinationale ferme le site, après avoir construit une usine équivalente en Hongrie. Un collectif de salariés attaque HP.

La division cartes à puce de Bull a été vendue à l'américain ACT Manufacturing en septembre 2000. Fin 2002, la maison mère aux Etats-Unis dépose son bilan. Dès l'été, les 660 salariés de l'usine d'Angers devaient être licenciés. Les syndicats obtiennent alors de Bull le rachat des bâtiments de l'usine, pour améliorer les indemnités des salariés. Avec la liquidation, en décembre 2002, ce plan ne pourra même pas être appliqué. La cour d'appel d'Angers n'a pas reconnu la responsabilité de Bull, assigné par ses ex-salariés, dans la fermeture de cette unité.

Auteur

  • G. L. N.