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Enquête

De la cession à la fermeture

Enquête | publié le : 14.02.2006 | Guillaume Le Nagard

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De la cession à la fermeture

Crédit photo Guillaume Le Nagard

Les cessions d'usine à des géants de la sous-traitance électronique, comme Flextronics, Sanmina ou Celestica, se sont soldées par des restructurations en cascade et des fermetures de site, avant délocalisation. S'agissait-il d'externalisations de plan social chez des partenaires moins connus ? Ou de réelles tentatives de faire survivre l'activité hors du groupe ? Sans doute un peu des deux...

Reculer pour mieux fermer ? L'emploi industriel ne semble guère profiter des cessions de sites au bénéfice des multinationales de la sous-traitance. Après la vague d'externalisation, il y a quelques années, place à l'épidémie de restructurations et de fermetures, opérées par les nouveaux propriétaires : fermeture de l'usine de GSM de Flextronics (ex-Alcatel), à Laval, voici quelques semaines ; fermeture de l'unité de production de PC de Sanmina (ex-Hewlett Packard) à l'Isle-d'Abeau, en juillet dernier ; plan social drastique pour Celestica Saumur (cartes à puce, ex-Avaya) et mise en vente de l'unité de Guérande (ex-Océ). Dans l'usine brestoise de téléphonie d'Alcatel, vendue à Jabil, et restée très dépendante des commandes du groupe français, les représentants des salariés se disent préoccupés. Difficile, manifestement, de survivre à une cession. D'où l'inquiétude des salariés du site Pfizer (pharmacie) de Val-de-Rueil, qui défilaient dans Louviers il y a quelques semaines. Leur usine, et celle d'Angers, en vente depuis un an, sont sur le point d'être reprises par le façonnier Fareva, qui deviendrait, du coup, le premier sous-traitant pharmaceutique français.

Volume de commandes garanti

L'avalanche de licenciements était-elle prévisible ? En tout cas, tous ont procédé de la même logique et suivi précisément les mêmes étapes, jusqu'à une fermeture coïncidant souvent avec la délocalisation de l'activité : soit, au départ, une gamme, c'est-à-dire une usine, dont un grand de l'électronique ou de l'informatique veut se débarrasser. Deux solutions se présentent : un vaste plan social, qui fera peser des menaces de conflit et qui écornera l'image du groupe; ou bien la vente à l'un des géants de la sous-traitance mondiale en lui garantissant un volume de commandes pour au moins trois ans - avec la clause classique de «réserve de compétitivité», cet engagement reste raisonnable. Il revient au repreneur la responsabilité de diversifier l'activité du site pour en assurer la pérennité. La plupart du temps, c'est la deuxième solution qui a été choisie.

Parents pauvres

En France comme ailleurs, Flextronics, Solectron, Celestica, Jabil, Sanmina, multinationales à capitaux américains ou canadiens, ont ainsi récupéré les sites mis en vente. « A l'époque de la cession, nous nous sommes bien sûr demandé quelles étaient les chances du site, explique André Pavageau, alors délégué CFDT d'Alcatel, à Laval, usine vendue à Flextronics en 2001. Mais, déjà, au sein du groupe, nous nous sentions parents pauvres. On nous disait que notre activité de téléphonie grand public n'était pas dans le coeur de métier. La vente a été présentée comme une chance pour nous, l'opportunité de rejoindre un groupe travaillant sur les produits grand public. Flextronics nous assurait des possibilités de développement, à Laval, de sa force d'achat de composants. »

Trois ans après le changement de propriétaire, avec la fin de l'engagement de commandes d'Alcatel, la décision de fermeture était prise. Alcatel Laval comptait 830 salariés au moment de la vente. Le site était-il viable ? Alcatel, à la poursuite de son projet d'entreprise sans usines, a-t-il sous-traité un plan social ? Ce n'est pas l'avis des représentants des salariés, qui en veulent plutôt à Flextronics, jugeant les efforts de diversification trop faibles (lire p. 17).

Années de sursis

La reprise du site a donc représenté quelques années de sursis pour les salariés. Une étape supplémentaire avant la délocalisation de l'activité. Scénario proche à l'Isle-d'Abeau, où le canadien Sanmina a repris une unité de montage de PC de HP en 2002, avant de la fermer l'été dernier. Entre-temps, un site de montage de PC a été créé en Hongrie par Sanmina.

Ces géants de la sous-traitance sont-ils devenus des fossoyeurs de l'emploi industriel, rôle que n'ont pas voulu assumer les grandes sociétés de la téléphonie et de l'informatique ? Celles-ci sont-elles coresponsables de ces restructurations à retardement ? La réponse ne va pas de soi.

Abandon d'activité

« Les restructurations stratégiques, consistant notamment à se recentrer vers des fonctions de R & D, de marketing, de finance, sont devenues plus fréquentes que les restructurations de crise, rappelle Rachel Beaujolin-Bellet, professeure à Sup de co Reims, qui a beaucoup travaillé sur la décision de restructuration*. Mais, aujourd'hui, la structuration des entreprises en groupe, avec des filiales, autorise un abandon d'activité, sous forme de faillite, ce qui reporte la responsabilité du reclassement sur la collectivité. Les groupes ayant un management plus éthique s'imposent de ne jamais déposer le bilan. » De fait, un PSE ou une reprise dans le cadre de l'article 122-12, qui maintient les principaux éléments du contrat de travail, dont la rémunération et l'ancienneté, sont déjà un meilleur sort pour les salariés, tout simplement privés de plan social en cas de dépôt de bilan. Cette dernière stratégie a été celle de Glencore pour Metaleurop. « Des engagements de maintien de volume au moment de la reprise ne sont pas fréquents en Europe, ajoute Claude-Emmanuel Triomphe, de l'Université européenne du travail. Souvent, la décision de reprise par un sous-traitant fait déjà l'objet d'une discussion ou d'un accord avec les partenaires sociaux pour éviter la fermeture pure et simple. »

Capter un marché

Claudie Ménard, de la fédération CGT de la métallurgie, voit les choses autrement : « Pour les repreneurs, qui ont déjà fait des investissements importants en Asie, ou en Europe de l'Est, récupérer un site français, c'est surtout capter un marché et de la charge, éventuellement un savoir-faire, quitte à se réorganiser par la suite, en avançant l'argument du coût de la main-d'oeuvre. Or, sur un PC, par exemple, je rappelle qu'elle ne représente que 12 % en moyenne. Ce n'est pas une fortune. » En tout cas, la disparition de l'activité se fait plus discrètement sous la tutelle de ces multinationales de l'ombre, dont les lieux de décision sont lointains. Souvent, dans le cadre de plans sociaux comparables à ceux qu'auraient consentis les propriétaires précédents.

TVA sociale

Salariés et élus locaux n'ont guère de prise sur les choix opérés, bien moins, à coup sûr, que pour des entrepreneurs du CAC 40. « La financiarisation a fini par jouer contre l'économie. La seule initiative laissée aux élus dans ces cas de fermeture se résume à de la gesticulation, constate, à Laval, Jean Arthuis, président du conseil général de Mayenne, sénateur auteur d'un rapport sur les délocalisations. Les décideurs ne sont pas accessibles. » Et de plaider, mais sur le terrain macroéconomique des coûts du travail, pour la mise en place de la TVA sociale, qui réduirait la différence de compétitivité entre la France et les pays émergents.

* Les vertiges de l'emploi, l'entreprise face aux réductions d'effectifs, Grasset 1999.

L'essentiel

1 Entre 1999 et 2002, de nombreux groupes d'électronique et d'informatique ont cédé des sites à de grands sous-traitants internationaux.

2 Dans un délai de trois ans, une majorité de ces usines ont été conduites à la fermeture par leur nouveau propriétaire, prenant en charge le volet social.

3 Est-ce une sous-traitance de plans sociaux? Mais une cession n'est-elle pas préférable à une faillite de filiale? Les réponses sont nuancées.

4 Pour les salariés «cédés», qui estiment avoir été trompés par leur ancien employeur, les voies de recours sont étroites. Certains l'ont assigné avec succès devant les tribunaux.

Cessions et Code du travail

L122-12 : cet article du Code du travail maintient le contrat de travail en cours chez le nouvel employeur, « transféré en l'état », sans qu'il y ait lieu de le notifier aux salariés. Ceux-ci ne peuvent s'y oppposer, notamment pour obtenir un licenciement. L'article porte sur les contrats indviduels, pas sur les accords collectifs.

L'article 132-8 : le transfert met en cause les accords collectifs en vigueur chez l'ancien employeur (RTT, mutuelle, primes...). La mise en cause vaut dénonciation des accords. Mais un délai de préavis d'un an commence à courir à dater du transfert. Il permet la renégociation des accords qui, modifiés, pourront s'appliquer après quinze mois. Si les accords de l'ancien employeur ne sont pas remplacés, les avantages individuels acquis qu'ils définissent sont maintenus.

La jurisprudence veut que l'article 122-12 ne puisse s'appliquer que dans le cadre d'une entité autonome. Le prestataire ou le sous-traitant doivent être indépendants du donneur d'ordres. L'arrêt Perrier-Vittel de 2000 a ainsi refusé le transfert des salariés fabriquant les palettes de stockage en bois chez Vittel et Perrier, au motif qu'il ne s'agissait pas d'une entité juridique autonome. Plus récemment, la cour d'appel d'Aix vient de demander la réintégration des salariés d'IBM cédés à AMCC : l'activité avait été cédée sans certaines fonctions supports indispensables et sans indépendance vis-à-vis du cédant.

Quels recours pour les salariés ?

Pour les salariés «cédés», puis licenciés, les recours sont faibles. A Angers, les anciens du site Bull, cédés à l'américain ACT Manufacturing, qui liquidait l'usine en décembre 2002, après plusieurs plans sociaux et des occupations du site, n'ont pu faire reconnaître la responsabilité du cédant devant la cour d'appel.

Scénario différent, pour le moment, en Provence, pour quelques dizaines d'anciens salariés d'IBM de La Gaude (06) et de Corbeil (91), devenus AMCC, qui ont obtenu de la cour d'appel d'Aix une réintégration chez le cédant (lire p. 19). Un collectif d'ex-salariés a aussi décidé d'attaquer leur cédant devant les prud'hommes de Vienne. Ces ex-HP de l'Isle-d'Abeau, dont Sanmina a fermé le site à l'été 2005, assignent leur ancien employeur au motif que le site n'aurait pas été viable (lire p. 21).

Dans d'autres cas, il s'agit de définir si l'activité cédée, compte tenu du poids de son principal donneur d'ordres - et ancien propriétaire - pouvait réellement fonctionner comme une «entité autonome». Sur cette base, les ex-Alcatel Réseaux d'entreprise (ARE), passés chez Marine, ont obtenu gain de cause en cours d'appel (abus de l'article 122-12 et dommages et intérêts, dont le montant reste à définir). Outre la jurisprudence, encore peu étoffée sur le sujet, la responsabilité sociale d'employeurs qui, souvent, ont eu longtemps des capitaux publics, est parfois mise à contribution. Dans l'affaire Cellatex, filature des Ardennes dont le patron autrichien avait mis la clé sous la porte en 2000, une médiation difficile, menée avec les pouvoirs publics et l'ancien patron de la CGT textile Christian Larose, avait fini par assurer aux salariés des conditions d'indemnisation et de reclassement raisonnables.

Rhône-Poulenc, qui s'était désengagé de Cellatex en... 1991, règle, en toute discrétion, une partie de la facture.

De son côté, Arcelor a voulu mettre toutes les chances du côté des salariés lorsqu'il a cédé, en 1999, sa filiale Unimétal Lorraine à... Mittal, le géant indien qui frappe aujourd'hui à la porte de ses actionnaires. Le groupe franco-luxembourgeois a endossé toute la responsabilité de l'employabilité de ses anciens salariés. Il a créé une filiale pour garantir l'activité de ceux que Mittal ne reprendrait pas (lire p. 22). Les sidérurgistes de l'époque sont devenus, notamment, des spécialistes du second oeuvre du bâtiment, et l'entreprise, qui avait vocation à quitter le giron d'Arcelor, est restée une filiale prospère.

Auteur

  • Guillaume Le Nagard