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Enquête

Faut-il réformer le statut des stagiaires ?

Enquête | publié le : 07.02.2006 | Anne Bariet

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Faut-il réformer le statut des stagiaires ?

Crédit photo Anne Bariet

Génération précaire, un collectif d'étudiants en colère, milite pour un vrai statut des stagiaires. Les milieux patronaux et le ministère du Travail s'orientent vers une charte de bonnes pratiques pour les entreprises.

Réglementation floue, injustices criantes, emplois camouflés... Les stagiaires sont en colère. Ils ont créé un collectif, Génération précaire, composé d'une centaine d'adhérents, le plus souvent diplômés de grandes écoles ou d'universités, de niveau bac + 5, pour dénoncer les abus. Le 2 novembre, ils sont descendus dans la rue, visage masqué. La liste des griefs est longue : une main-d'oeuvre flexible, bon marché, sans couverture sociale et occupant parfois de véritables emplois. Leur revendication ? Un statut comme il en existe un pour les apprentis. Pour l'heure, la législation est très mince. En 1978, une loi fixe le statut et la rémunération des stages. Les rémunérations inférieures au Smic sont alors exonérées d'impôts. En 1986, le texte est révisé : le plafond est abaissé au tiers du Smic. Autant dire qu'un grand nombre de stagiaires, voire une majorité, sont aujourd'hui payés entre 0 et 365 euros, quel que soit leur niveau d'études. Quel employeur ne profite pas de cette aubaine ? Si aucun secteur ne semble épargné, plusieurs sont connus pour leurs pratiques peu scrupuleuses. Il en va ainsi des milieux de la mode, de la communication, de l'édition, de la culture...

Main-d'oeuvre flexible

D'après une récente étude du Conseil économique et social, près d'un étudiant sur deux - 800 000 personnes - effectue au moins un stage au cours de sa scolarité. Mais, reconnaît le Medef, 10 000 stages seraient des emplois camouflés. « Le marché du travail ne fait pas assez de place aux jeunes, indique Jean-Marie Chevalier, professeur d'économie à Paris-Dauphine, parmi les premiers enseignants à soutenir la lutte. Ils sont repoussés des entreprises et ils conçoivent ce rejet comme un échec personnel. Je suis préoccupé par le détournement qui permet de se procurer une main-d'oeuvre quasi gratuite, bien formée et très flexible pour occuper de véritables emplois. » Un avis partagé par Gwenolé Guiomard, rédacteur en chef chez Hobsons, spécialiste des jeunes diplômés : « Avec la persistance du chômage de masse, il existe une frustration énorme des jeunes gens très bien formés, premières victimes d'un monde du travail dans lequel il est de plus en plus difficile d'entrer. Cette frustration peut développer, à terme, des rapports sociaux extrêmement dangereux. »

Politique d'intégration

Les entreprises interrogées, quant à elles, se défendent mordicus d'exploiter les étudiants. La plupart ont mis en place des politiques d'intégration de stagiaires. Bouygues Construction, par exemple, affirme que les stages restent sa première filière de recrutement, avec, à leur issue, 60 % de stagiaires embauchés.

Livret d'accueil

Sodexho, groupe de restauration collective, a mis en place, l'an dernier, un training de fin d'études afin de les aider à préparer leur soutenance de stage devant un jury de professionnels, sorte d'entraînement avant le jour J à l'école ; 40 % des embauches se font à l'issue de ces stages.

AXA, qui accueille près de 660 jeunes par an, a mis au point un livret d'accueil à leur égard et prévoit, en amont, un entretien avec le responsable RH et un opérationnel. Sur 200 recrutés par an (en CDD et en CDI), près de 66 sont d'anciens stagiaires.

Michelin n'intègre que des stagiaires en cours de cursus. Les rémunérations proposées oscillent entre 700 euros et 1 300 euros. Petite particularité : à la Sodexho, une prime d'objectifs est versée à tous les stagiaires cadres, après que leur mission a été défini en détail.

Ces entreprises sont-elles des exceptions ? Le stage n'est pas le sésame de l'insertion professionnelle. En effet, selon l'enquête sur l'insertion professionnelle réalisée par l'Apec, en 2004, seuls 8 % des stagiaires ont été recrutés à la suite d'un stage (contre 48 % par approche directe et 30 % par l'intermédiaire d'une offre). Pourtant, le nombre de stages effectués n'est pas sans influence sur le taux d'emploi. En effet, ceux qui ont effectué trois stages ou plus sont plus souvent en emploi que ceux qui n'en ont suivi qu'un ou deux (47 %).

Affiner son projet

Reste que le stage est bien souvent, pour l'étudiant, la meilleure façon d'y voir plus clair et d'affiner son projet. « Un jeune doit définir ce qu'il a envie de faire, assure Antoine Imbault, directeur du partenariat avec les écoles à la Sodexho. Du marketing ? Du commercial ? Le stage permet d'avoir une formation concrète, de découvrir l'entreprise. Sans stage, il aura peu de chances d'être recruté. »

Variable d'ajustement des entreprises

Les initiateurs du mouvement Génération précaire rétorquent, de leur côté, qu'ils constituent la première variable d'ajustement des entreprises, avant l'intérimaire et le salarié : « Stages gratuits ou à 300 euros maximum par mois pour les bac + 7, périodes renouvelées, succession de stagiaires sur un même poste : les entreprises ne se privent pas d'exploiter un réservoir de 800 000 jeunes très motivés. » Si l'effectif déployé est encore modeste, la vague de grogne ne cesse de grossir. Le collectif essaime en province, des structures viennent d'être créées à Lyon, à Toulouse, à Angers et à Lille. Des contacts vont également être pris avec des Allemands et des Italiens.

Etudiants précarisés

Pour François Gaudu, professeur de droit à l'université Paris-1 Panthéon-Sorbonne, « on assiste à une explosion des étudiants précarisés. Ce sont des jeunes gens peu militants, la plupart apolitiques, qui vont vers la marginalité ».

Pour calmer la grogne, les représentants des stagiaires militent pour l'inscription de leur statut dans le Code du travail et insistent pour qu'une rémunération minimale soit fixée. Les milieux patronaux et le ministère du Travail s'orientent, eux, vers une charte de bonnes pratiques des entreprises. Dominique de Villepin a affirmé, de son côté, que tous les stages au-delà de trois mois doivent être rémunérés. Mais le remède sera-t-il suffisant pour endiguer le malaise ?

L'essentiel

1 Les stagiaires, en colère, ont créé un collectif, Génération précaire, composé d'une centaine d'adhérents, pour dénoncer les abus les concernant. Le 2 novembre 2005, ils sont descendus dans la rue.

2 Pour l'heure, la législation est très mince. En 1978, une loi fixe le statut et la rémunération des stages. En 1986, le texte est révisé : le plafond des exonérations de cotisations sociales est abaissé au tiers du Smic. Autant dire qu'un grand nombre de stages sont aujourd'hui payés entre 0 et 365 euros.

3 Pour calmer le jeu, les milieux patronaux et le ministère du Travail s'orientent vers une charte de bonnes pratiques des entreprises. Les représentants des stagiaires militent pour l'inscription de leur statut dans le Code du travail.

Auteur

  • Anne Bariet