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Le travail nomade, une révolution sans les DRH

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 07.02.2006 | Jean-François Rio

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Le travail nomade, une révolution sans les DRH

Crédit photo Jean-François Rio

Dans le cadre d'une recherche pilotée par la chaire HEC-Toshiba «Mobilité et organisation», Charles-Henri Besseyre des Horts et Henri Isaac décryptent la façon dont les entreprises déploient les technologies mobiles et appréhendent le phénomène du nomadisme.

E & C : Dans votre étude (1), vous affirmez que la révolution mobile n'est pas si tranquille pour les entreprises. Pourquoi ?

Charles-Henri Besseyre des Horts : Tout simplement parce que les technologies mobiles ébranlent les modes de fonctionnement des entreprises. Bien entendu, il faut différencier les entreprises qui ont accompagné ces mutations de celles qui ont eu une démarche purement technophile. De même, les deux populations nomades qui coexistent dans l'entreprise, les managers et les opérationnels, développent des ressentis différents vis-à-vis de ces outils. Reste que ces technologies chahutent les organisations traditionnelles, façonnant un nouveau fonctionnement de type «anywhere, anytime». Du coup, de nouvelles préoccupations se font jour : éclatement de la frontière vie privée/vie professionnelle, avènement d'un culte de l'urgence, développement de nouvelles compétences, apparition de nouveaux outils de contrôle des salariés nomades...

Henri Isaac : Ces problématiques sont d'autant plus prégnantes que, curieusement, la mobilité fait rarement l'objet d'une réflexion stratégique. Par exemple, nous nous sommes aperçus que les entreprises investissaient dans ces technologies principalement par mimétisme, pour faire comme le concurrent, ou alors pour une question d'image. Autre illustration : rares sont les entreprises à avoir réfléchi à une politique de dotation des outils adaptée aux besoins des métiers. L'outil est octroyé en fonction du statut. Ce qui amène d'ailleurs des salariés à utiliser leurs matériels personnels. Dans certaines sociétés de conseil, les consultants juniors n'ont même pas droit au téléphone portable ! Aux Etats-Unis, cette situation est impensable. Là-bas, on demande : quels sont les outils dont vous avez besoin pour être efficace ?

E & C : Les DRH semblent en retrait sur le sujet du nomadisme. Comment l'expliquez-vous ?

C.-H. BdH : L'étude n'apporte pas d'explication, elle livre des constats. Je dois dire que l'absence des DRH dans les politiques de développement de la mobilité ne m'a guère étonné. Tant que cette fonction ne sera pas considérée comme un business partner, elle ne sera jamais associée à ces grands chantiers. Pourtant, le nomadisme est un sujet qui devrait, ô combien, intéresser les DRH tant les conditions et la nature de nombreux emplois sont susceptibles d'être profondément transformées.

H. I. : De leur côté, les DSI, souvent sponsors des projets de mobilité, ne perçoivent pas toujours les enjeux RH qui en découlent, notamment en matière de temps de travail.

E & C : Comment les salariés vivent-ils ce phénomène ?

C.-H. BdH : Pour eux, l'optimisation, la flexibilité dans l'organisation du travail et les gains de temps sont les avantages indéniables des technologies mobiles. Certaines personnes que nous avons interrogées nous ont dit que ces outils réduisaient leur niveau de stress. Les collaborateurs estiment aussi que leurs compétences ont été renforcées. Ils se sentent valorisés. Il est intéressant de noter que les salariés nomades sont très impliqués dans l'entreprise. Contrairement aux idées reçues, ils communiquent beaucoup et restent en contact avec l'entreprise. Parmi les inconvénients, les salariés mettent en avant des conditions de travail parfois difficiles, notamment en raison du poids du matériel, de l'ergonomie peu satisfaisante des outils...

H. I. : Pour les managers, la perte de contrôle apparaît au départ comme une perte de pouvoir. En réalité, après une courte période de tâtonnements, ils s'adaptent rapidement à cette nouvelle donne. Les outils de mobilité agissent comme une loupe. Autrement dit, un manager autocrate le sera encore davantage.

E & C : Au bout du compte, vous affirmez que les grands perdants du nomadisme sont les syndicats. Pourquoi ?

C.-H. BdH : A l'exception de quelques sections syndicales d'entreprises, les syndicats sont passés complètement à côté de la révolution numérique. Le vieillissement des militants n'y est pas étranger. En outre, les organisations syndicales voient d'un mauvais oeil le développement du nomadisme car ils n'ont plus les salariés sous la main et peinent à exercer leur fonction.

H. I. : Dans les entreprises que nous avons sondées, nous n'avons trouvé nulle trace d'avis de CE ou de CHSCT relatif au déploiement de ces technologies.

E & C : Pouvez-vous dresser le palmarès des outils de mobilité ?

H. I. : Il y a les smartphones, qui combinent les fonctionnalités du téléphone mobile et celles du PDA. Et puis, il y a le phénomène Blackberry, l'outil star du top management, qui entraîne, chez certains utilisateurs, des comportements addictifs. Pour un salarié nomade, l'équipement traditionnel, c'est le PC et le téléphone portables.

C.-H. BdH : Sans oublier l'indispensable clé USB, extraordinaire outil de mobilité qui n'est pas sans poser des problèmes de sécurité pour les données de l'entreprise.

(1) Recherche menée en juin 2005 auprès de 12 entreprises : Alcatel, AXA, Carrefour, Deloitte, Gaz de France, hôpital européen Georges-Pompidou, L'Oréal, PSA, PricewaterhouseCoopers, Renault, Total, Veolia.

C.-H. Besseyre des Horts

Changement, je me marre, Gabs/Jissey, Eyrolles, 2005.

The Future of Work, Thomas Malone, Harvard Business School Press, 2004.

Rendez-vous avec l'islam, Alexandre Adler, Grasset, 2005.

H. Isaac

Labyrinthes : sortirez-vous des 26 lettres de l'alphabet ?, Anouk Journo, Philippe Mignon, Fernand Nathan, 2005.

Tempête sur le tweed, Glen Baxter, Hoebeke, 2003.

Petite histoire du grand Texas, Otto T, Grégory Jarry, FLBLB, 2005.

parcours

Professeur à HEC au département «management et ressources humaines», Charles-Henri Besseyre des Horts est aussi titulaire de la chaire de recherche HEC-Toshiba «Mobilité et organisation». Conférencier, auteur de nombreux ouvrages et articles, il est un des experts français du management stratégique des RH.

Henri Isaac est maître de conférence en sciences de gestion à l'université Paris-Dauphine, membre du Crepa. Spécialiste des nouvelles technologies et des systèmes d'information, il a contribué à de nombreuses rcherches sur l'utilisation des TIC dans l'entreprise. Il coordonne les travaux de l'Observatoire Paris-Dauphine/Cegos sur le e-management.

Auteur

  • Jean-François Rio