« Un CV linéaire, une vie professionnelle qui se limite à deux ou trois entreprises ne nous intéressent pas ! », insiste Jacques Vallée. Pour ce capital investisseur expatrié en Californie depuis plus de vingt ans, « cette attitude montre que l'individu n'a pris aucun risque, ou tout juste des risques calculés ! Le progrès, l'innovation ne peuvent exister qu'avec des ratées ».

Pour les Américains, l'erreur n'est pas stigmatisante. Elle est la preuve d'une capacité d'action. De nombreuses sociétés américaines en ont fait leur philosophie. « Et ce n'est pas qu'un voeu pieux, comme en France ! », souligne Rémi Vespa, conseiller économique français dans la Silicon Valley. Un exemple ? « Après l'éclatement de la bulle Internet, en 2002, personne n'aurait eu l'idée de faire le moindre reproche à ceux qui s'étaient lancés dans une start-up », témoigne cet entrepreneur installé depuis huit ans à San Francisco. « Après avoir déposé le bilan, et connu le chômage, les cadres ont réintégré des sociétés... Dans les couloirs, les collègues les félicitaient avec la même ferveur que s'ils avaient réussi », se souvient-il, encore incrédule. « Ce que nous qualifions d'échec, les Américains l'appellent expérience... Aux yeux des recruteurs, cela vaut souvent mieux qu'un bon diplôme », confirme Jean-Bernard Guerrée, à la tête d'Avisé, une PME de San Francisco.

Pour Thierry Picq, responsable du département gestion des ressources humaines à l'EM Lyon, et spécialiste des pratiques RH dans la Silicon Valley, cet état d'esprit naît d'une culture d'expérimentation forte. « Les Américains n'attendent pas d'avoir la maîtrise totale d'une situation pour agir. Ils se lancent, quitte à rectifier le tir. » Une mentalité bien loin du «faire juste, bien et du premier coup», à la française !

« Ici, plus que sur vos résultats, on vous interroge sur votre mode d'apprentissage : comment avez-vous appris cette compétence ? Quelles erreurs avez-vous faites ? Comment savez-vous que vous ne les reproduirez pas ? », constate Alinh Hoang, vice-président de l'unité de business développement de Zodiac.

Chez EMC, entreprise spécialisée dans la sauvegarde des données informatiques, toute l'organisation a même été repensée afin d'encourager les salariés à entreprendre. « Un système multidisciplinaire interne se crée. Dans ce laboratoire transversal, l'innovation est développée. Et, en même temps, les débouchés commerciaux sont passés au crible, les applications technologiques envisagées, dit Lawrence A. Zulch, à la tête d'EMC Corporation. Et, en cas de fausse piste, je n'en voudrais pas au salarié d'avoir essayé. Il aura même des chances d'être promu ! »