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Les Pratiques

Une prime au silence plutôt bruyante

Les Pratiques | Point fort | publié le : 20.09.2005 | Céline Lacourcelle

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Une prime au silence plutôt bruyante

Crédit photo Céline Lacourcelle

En août dernier, la presse révèle l'existence d'une transaction entre la direction de Barenthal et ses salariés licenciés, leur intimant de se taire face aux médias, en échange d'une prime de 11 000 euros.

L'affaire a fait grand bruit. Pourtant, la direction de l'Orfèvrerie de Barenthal, spécialisée dans les couverts, avait tenté de prendre les devants. En vain. Tout commence alors que l'entreprise mosellane décide de délocaliser sa production en Chine. Celle-ci, en redressement judiciaire en 2003, avait été rachetée par James Han, Américain d'origine chinoise, qui s'était engagé à préserver les emplois et l'activité.

Protocole d'accord

Un an et demi plus tard, une procédure de licenciement est en cours, touchant 23 salariés sur 35. C'est à eux que la direction a soumis, cet été, un protocole d'accord transactionnel. Son contenu ? La renonciation irrévocable, pour les signataires, « à se prévaloir de toute cause tirée de l'exécution du contrat comme de sa rupture ; [...] à participer ou s'associer [...] à une quelconque action, procédure ou mouvement contraire aux intérêts de la société ou de ses dirigeants (blocage, article de presse...) [...] ; à s'associer à toute action, diligentée par un tiers, notamment un syndicat ». En échange de leur signature, les salariés reçoivent une prime de 11 000 euros, versée en trois fois.

Un refus difficile

Dénoncé par la CGT - syndicat ayant intégré en mai l'entreprise qui, jusqu'à présent, était sans représentant syndical -, ce texte fera finalement la manchette des journaux. Et pour cause ! « Il peut paraître choquant d'un point de vue moral, selon Me Olivier Meyer, du cabinet D, M & D. Peut-on acheter le silence de personnes en situation précaire qui ne sont pas en position de refuser ? » En effet, rares sont ceux pouvant se payer le luxe de refuser 11 000 euros alors qu'« ils travaillent dans un bassin d'emploi avoisinant les 11 % de chômeurs et multipliant les fermetures de site, s'insurge Jacques Maréchal, de la CGT locale.

Clauses excessives

De plus, certaines clauses de l'accord ont un caractère apparemment illicite. « Dans le libellé, il est question de «mouvement», j'en déduis qu'il pourrait s'agir de grève. Or, le droit de grève relève du droit constitutionnel. Il est également fait référence à des articles de presse. Rappelons que le salarié jouit de la liberté d'expression, à laquelle il ne peut être apporté que des restrictions justifiées par la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché (article L.120-2 du Code du travail et arrêt Clavaux de 1988). En clair, le texte va trop loin, car il porte atteinte à deux libertés fondamentales, avance Me Agnès Cloarec-Mérendon, du cabinet Latham & Watkins. Ce qui m'amène à penser que, devant un juge, cet accord pourrait être valablement contesté. »

D'ores et déjà, la direction départementale du travail, saisie par la CGT, a relevé les excès de ce texte dans une note d'analyse, datée du 19 août, sans pour autant que celle-ci ait été suivie d'effets.

Un autre point interroge l'avocate : le fait que cette transaction se présente sous la forme d'une somme forfaitisée, identique pour tous. Alors qu'une transaction est d'ordre individuel, donc personnalisée.

Climat de tension

« Cela démontre une faiblesse dans la négociation, indique-t-elle. L'article 2053 du Code civil pourrait alors être évoqué. Il indique, en effet, qu'une transaction peut être annulée en cas de dol et de violence. » En la matière, l'absence de discussion et le climat général de tension peu propice à la sérénité pourraient s'apparenter à un dol.

Les transactions sont toutefois une pratique courante, lors de licenciements. « Elles interviennent pour régler de manière amiable les suites d'un licenciement. Un employeur exige alors que son salarié s'engage à ne pas dénigrer son entreprise et à ne pas la poursuivre en justice, ce qui est parfaitement licite », rappelle Me Meyer. « La transaction peut également subordonner le versement de dommages et intérêts suite au licenciement à la confidentialité de l'accord, ajoute Me Lionel Vuidard, de Latham & Watkins. Il s'agit là de protéger le contenu de l'accord comme le montant de la somme allouée. »

Début septembre, « 18 salariés ont signé, signale Bernadette Hilpert, secrétaire de l'Union départementale CGT. Les autres ont jusqu'au 22 octobre pour se décider, dernier jour de leur préavis ».

L'essentiel

1 Dans le cadre d'une procédure de licenciement, la société Barenthal soumet aux salariés concernés un protocole d'accord transactionnel leur intimant de ne pas accepter de participer à des articles de presse ni à un quelconque «mouvement» contraire aux intérêts de la société.

2 Largement utilisées dans de tels contextes, les transactions visent au règlement amiable des suites du licenciement. Elles ne sauraient porter atteinte aux libertés fondamentales des salariés, comme la liberté d'expression et le droit de grève.

Auteur

  • Céline Lacourcelle