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N'oubliez pas les salaries !

Enquête | publié le : 20.09.2005 | Jean-François Rio

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N'oubliez pas les salaries !

Crédit photo Jean-François Rio

Moral en berne, absentéisme, chute de la productivité, épidémie de démissions... Un déménagement bâclé peut coûter très cher aux entreprises. Lesquelles doivent respecter quelques principes managériaux pour que ces changements de locaux ne se résument pas à de simples opérations financières et transferts de mètres carrés.

Transférer un effectif de plus de 3 000 personnes des beaux quartiers de la capitale à Saint-Denis (93), le tout sans mouvement social et sans déperdition de personnel. C'est la prouesse réalisée, l'an passé, par le groupe d'assurance Generali, dont les bâtiments sont installés à quelques encablures du Stade de France. Il faut dire que la direction de cette entreprise a mis tous les moyens de son côté pour placer ses collaborateurs dans les meilleures conditions.

Tel un fantassin, la DRH a été en première ligne tout au long du processus menant à l'emménagement. Entre janvier et juin 2003, elle a tenu plus d'une centaine de réunions de consultation des instances représentatives du personnel. Un marathon qui s'est concrétisé, le 2 juin 2003, par la signature d'un accord portant «sur les mesures d'accompagnement relatives au projet de regroupement des activités professionnelles».

Volonté de dialogue

« Nous avons tenté de répondre à l'ensemble des problématiques posées. A la fois par des dispositions collectives et des mesures de niche, de manière à n'oublier personne. Notre ligne de conduite a reposé sur une volonté de dialoguer en toute transparence avec les partenaires sociaux, et sur la recherche permanente du compromis », affirme Michel Estimbre, directeur des relations sociales de Generali France, qui fut, à un moment de sa carrière, inspecteur du travail.

Aides aux frais de transport (surcoût de la carte orange pris en charge à 100 % ; obligation légale de l'employeur portée à 60 %), à l'achat d'un véhicule (prêt de 12 500 euros avec un taux fixé à 4 %), à la garde des enfants, mesures concernant le temps de travail et l'aménagement des horaires hebdomadaires (possibilité de travailler quatre jours sur la base d'un temps complet), prêt immobilier, prise en charge des frais de déménagement des collaborateurs, aides substantielles à l'installation dans un nouveau logement (3 000 euros pour un célibataire, 4 500 euros pour un couple avec une majoration de 1 000 euros par enfant à charge), prime collective de 1 000 euros : le texte, paraphé par les syndicats CFDT, CFE-CGC, CFTC et CGT, décline une série de dispositions particulièrement généreuses.

« A ce jour, Generali a consacré environ 6,5 millions d'euros au regroupement des activités professionnelles en application de l'accord sur les mesures d'accompagnement. Environ 3 500 salariés ont bénéficié d'une prime de regroupement », précise Michel Estimbre.

Accompagnement social

« Cette opération a été très bien orchestrée avec les organisations syndicales, à l'exception de FO, qui a refusé cette concertation. La DRH a vraiment mis l'accent sur l'accompagnement social. Résultat : un an après, des salariés viennent encore me voir pour m'exprimer leur satisfaction », souligne, de son côté, Jean-Luc Pernot, délégué syndical central CFTC de Generali. Seul regret : certaines mesures sont sous-exploitées. « Avoir un aussi bon accord sans que les salariés en profitent pleinement, c'est du gâchis », grogne le syndicaliste.

Directrice du département conseil d'AOS (Amadeus Occupier Solutions) et spécialiste des déménagements d'entreprise, Han Paemen confirme : « Generali avait un triple objectif : rassembler ses effectifs, façonner une identité commune, et trouver un site assez grand pour un niveau de loyer raisonnable. Ce groupe a réussi son pari, car il a tenu compte des besoins de son personnel. »

Source de profits

Mais cette bonne pratique reste un cas assez exceptionnel. Le volet «humain» d'un déménagement apparaît comme le parent pauvre de ces opérations, généralement pilotées par les directions financières. « Traditionnellement, un déménagement était lié à la production. Les entreprises se rapprochaient des bassins d'emploi, rappelle Robert Guignier, consultant en communication. Puis, nous avons assisté à un double phénomène, la montée en puissance des services et l'explosion du prix des mètres carrés. Du coup, le poste immobilier est devenu une source de profits. Vendre un bien peut restaurer un bilan. Dès lors, l'homme n'est plus au centre du projet. Le facteur humain est perçu comme une contrainte que l'on contourne et que l'on affronte. Dans le meilleur des cas, on négocie. »

Rétention d'informations laissant planer rumeurs et fantasmes, consultations bâclées qui pourrissent le climat social, non-prise en compte des répercussions d'un transfert sur la vie quotidienne des salariés, espaces de travail inadaptés aux métiers sont les dysfonctionnements les plus fréquemment rencontrés. L'enjeu est pourtant de taille. « Le déménagement est la quatrième cause de déprime après le deuil, le divorce et la faillite », observe le psychiatre Michel Triantafyllou, pour qui l'information délivrée aux salariés ne suffit pas. Ils doivent être des acteurs du projet.

Départ de collaborateurs

Aux risques pesant sur la santé mentale des salariés, sur l'absentéisme, s'ajoute, pour l'entreprise, celui des départs des meilleurs collaborateurs. « Grosso modo, entre 10 % et 20 % du personnel ne suit pas un déménagement. L'entreprise a donc tout intérêt à anticiper au maximum si elle ne veut pas perdre ses compétences », note Pierre-André d'Ornano, directeur associé du cabinet Mobilis.

De fait, le processus d'un déménagement doit respecter quelques règles d'or. « Au départ d'un projet, il y a, bien entendu, une confidentialité. Ce qui n'empêche pas les membres du comité de pilotage de déjà commencer à réfléchir à ses conséquences », indique Olivier Bourdais, Pdg de EasyBuro, une société de conseil en transferts d'entreprises. Dans le meilleur des cas, le déménagement correspond aussi à une stratégie nouvelle (harmonisation, culture d'entreprise, règles de travail, processus collaboratifs).

Objectif managérial

« Un siège social reste un outil au service d'un objectif managérial », soutient Gilbert Lippmann, directeur du cabinet ProConseil. Si le choix du site relève du domaine régalien du chef d'entreprise - à l'exception notable de Nouvelles Frontières, où ce sont les salariés qui ont choisi, par référendum, la commune de Montreuil (93) -, l'ensemble des données supposées affecter les salariés, tels que les temps de transport, doivent nourrir la réflexion de la direction générale.

Commence, alors, ce que Sébastien Darrigrand, consultant et sociologue, nomme la phase de diagnostic, destinée à appréhender très en amont les problématiques posées : « Prévenir plutôt que guérir est une formule qui prend ici tout son sens. Durant cette période, il s'agit de créer des situations d'écoute. Les entreprises peuvent, par exemple, constituer, parallèlement à la consultation des partenaires sociaux et du CHSCT, un comité de projet, des groupes de travail représentatifs de la population. » L'implication de la DRH doit, en outre, se doubler d'un fort investissement du middle management, capable de relayer correctement les informations et de remonter les desiderata des salariés. C'est la méthode qu'a privilégiée le groupe de presse Emap France (lire ci-contre), qui a migré à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine).

Implication des chefs de service

« Des road shows ont été mis sur pied pour expliquer les changements. Nous avons tout d'abord convaincu les membres du comité de direction, puis les leaders d'opinion, qui se sont ensuite tournés vers les salariés. En outre, pendant la phase de space planning, nous avons totalement impliqué les chefs de service », affirme Laurent Boissel, directeur financier d'Emap France, qui a piloté de A à Z le regroupement des sites (1 500 personnes concernées).

Autre étape cruciale : la communication. « Elle doit être la plus large possible et étagée sur toute la durée du projet », observe Olivier Bourdais. Lettres internes, news quotidiennes sur un espace dédié sur l'intranet sont les canaux d'information les plus courants. Les visites de site et des futurs espaces de travail sont également vivement conseillées. Avant de partir à Rueil-Malmaison (92), le laboratoire pharmaceutique Bristol-Myers-Squibb a organisé, sur son intranet, une chasse au trésor en 3D afin que chaque salarié puisse repérer, de manière ludique, les locaux et le quartier. « Le travail d'information est capital. Rythmé par un calendrier, il correspond à chaque étape de la vie du projet. La plus grande transparence doit être de mise », recommande Sébastien Darrigrand.

Tout doit fonctionner

En outre, les entreprises, particulièrement celles qui déménagent en Ile-de-France, devront compenser, par accord d'entreprise ou non, les impacts d'un transfert. « Lorsqu'une entreprise quitte le coeur de Paris pour la banlieue, elle a intérêt à bichonner ses salariés, en leur offrant de nouveaux services », remarque Alain Béchade, président d'Atisreal Auguste-Thouard. Pour amortir le choc de l'allongement des temps de transport et faciliter la vie des collaborateurs, l'entreprise peut mettre en place une conciergerie dans l'entreprise (voyages, pressing, livraison...), ou autoriser ses salariés à partir plus tôt, en décomptant l'allongement des temps de transport sur la durée du travail.

Etre en mesure de retrouver «ses petits»

Les experts sont également unanimes sur un point : l'entreprise doit absolument être opérationnelle le jour «J». Le livret d'accueil et le bon mot du Pdg ne suffisent pas : l'informatique et le téléphone doivent fonctionner, et chaque salarié doit être en mesure de retrouver ses «petits». « Une fois sur place, les dysfonctionnements doivent être réglés immédiatement », avertit Han Paemen, du cabinet AOS. Si l'appréhension des salariés diminue une fois le déménagement accompli, il faut compter entre trois et six mois pour qu'ils s'approprient pleinement le nouvel environnement. Et ce, même si l'entreprise a été irréprochable tout au long de sa politique d'accompagnement du changement.

L'essentiel

1 Parti de Paris pour la Seine-Saint-Denis, le groupe d'assurance Generali a fait bouger sans encombre plus de 3 000 personnes. Sa recette ? Une DRH totalement immergée dans le processus et un accord d'entreprise particulièrement avantageux.

2 Pour sortir indemne d'un déménagement, une entreprise doit respecter quelques principes : prendre en compte, en amont, les besoins des salariés, informer dans la plus totale transparence, compenser les impacts du transfert sur la vie quotidienne des personnels.

3 Un déménagement mal accompagné peut avoir des conséquences désastreuses sur la motivation des collaborateurs et la productivité de l'entreprise.

La bataille de l'espace

La configuration des espaces de travail reste l'un des principaux points de crispation entre les entreprises et les salariés lors d'un déménagement. Toujours très en vogue, les open spaces permettent aux premières de réduire la facture immobilière en diminuant sensiblement le nombre de mètres carrés. Dans le secteur des services, l'immobilier reste le deuxième poste de dépenses derrière les salaires. Les espaces partagés ont aussi l'avantage de la souplesse. Intéressant quand on sait que, sur une année, près d'un salarié sur deux est appelé à bouger en interne. « L'important n'est pas de céder aux modes mais d'adapter les espaces aux besoins fonctionnels des salariés et aux métiers pratiqués. Il est aberrant, par exemple, de mettre tout le service RH dans un open space », note Olivier Bourdais, Pdg de la société de conseil EasyBuro. « Des aménagements mal fichus vont altérer les conditions de travail et peser fortement sur la compétitivité de l'entreprise. Attention aux coûts indirects ! », prévient Jean-Claude Delgenes, du cabinet Technologia.

Préserver des espaces d'intimité

Après les vastes bureaux paysagers, la tendance est aujourd'hui aux open spaces plus réduits, à proximité desquels se greffent des salles de services réservées aux réunions, aux moments de détente ou aux conversations confidentielles. « L'entreprise doit absolument préserver des espaces d'intimité », insiste le psychiatre Michel Triantafyllou. De son côté, l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS) conseille d'installer dix personnes au maximum dans un open space.

Quant à la surface proprement dite, il n'existe aucune obligation légale ! La surface minimale recommandée par l'Afnor est de 10 m2 par personne, que le bureau soit individuel ou collectif. « Si l'activité principale des occupants d'un bureau collectif est fondée sur des communications verbales, il est nécessaire, ajoute l'association française de normalisation, de prévoir au moins 15 m2 par personne pour limiter les interférences entre les locuteurs, sauf s'il s'agit de communications entre les occupants eux-mêmes. » On pense, bien évidemment, ici, aux centres d'appels dont les conditions de travail ont été tant décriées. En réalité, la surface de travail se situerait, en moyenne, aux alentours de 8 m2 par personne, pour une superficie locative de 15 m2 par individu, résultat de la surface totale du bâtiment mentionnée dans le bail divisée par le nombre d'utilisateurs.

J.-F. R.

Emap France s'organise en village

AIssy-les-Moulineaux (92), à deux pas du 15e arrondissement de Paris, la rue du Colonel-Pierre-Avia accueille, depuis avril dernier, le groupe de presse Emap France. Au total, 1 500 salariés répartis sur quatre sites, « accessibles en cinq minutes à pied », selon Laurent Boissel, le directeur financier de l'entreprise.

Ce projet de regroupement a été initié dès 2003. « L'entreprise disposait alors de 25 000 m2 sur sept sites dans quatre communes (Issy-les-Moulineaux, Suresnes, Boulogne-Billancourt, Paris). La plupart de nos baux arrivaient à échéance en 2004 et 2005, avec, à la clé, des augmentations de loyer de 30 % à 50 %. Parallèlement, l'entreprise a souhaité observer une pause dans sa croissance externe (le dernier rachat en date est celui d'Excelsior, NDLR). Cette période de consolidation était propice à la construction d'une identité commune. Dès lors, la solution du regroupement s'imposait. »

Toutefois, la direction d'Emap évacue rapidement l'idée d'un site unique, en décalage avec son univers. « Dans les médias et la communication, il faut préserver cet attachement au journal. Nous redoutions aussi l'aspect bureaucratique d'un bâtiment unique », explique Laurent Boissel. La solution mixte d'Emap Village est alors retenue.

Charte d'aménagement

Pour que les salariés se sentent dans la même entreprise, une charte d'aménagement intérieur commune se décline sur les quatre sites. Moquette rouge, cloisons vitrées «nuage», type de mobilier unique : du Pdg Arnaud de Puyfontaine à l'assistante de rédaction, tout le personnel est logé à la même enseigne. « L'accompagnement des salariés a été intégré dès le début dans le cahier des charges, indique Laurent Boissel. Pour un groupe de presse, avec des journalistes peu enclins à s'approprier ce type de sujet, j'estime que le bilan est très positif. »

Seuls bémols : « La direction a rogné sur les rangements. Des centaines de photos sont parties à la poubelle. Dans certains bureaux, faute de place, il y a encore des cartons qui ne sont pas ouverts », soulève Thierry Concord, le délégué syndical SNJ d'Emap France. J.-F. R.

Immobilier : le retour à Paris se confirme

Si les communes de l'ex-ceinture rouge parisienne (Montreuil, Nanterre, Saint-Denis, La Plaine-Saint-Denis, Pantin) ont toujours le vent en poupe, le retour des entreprises sur Paris se confirme en 2005. La raison : des prix qui se stabilisent, voire qui fléchissent dans certains quartiers de la capitale. « Paris offre de très belles opportunités pour des surfaces inférieures à 25 000 m2 », indique Alain Béchade, président d'Atisreal Auguste-Thouard et membre du conseil d'administration de l'Observatoire régional de l'immobilier d'entreprise. « Les salariés apprécient Paris, en raison de la configuration des transports en commun franciliens. Du coup, des entreprises font le choix de la capitale. Et il y a encore de bonnes affaires à réaliser », note, pour sa part, Pierre-André d'Ornano, directeur associé du cabinet Mobilis.

Autre phénomène : des secteurs d'activité ont quitté leurs quartiers historiques pour rallier la banlieue. C'est le cas, par exemple, de l'assurance. Generali et Aviva, installés dans le 9e arrondissement, ont fui vers Saint-Denis (93) et Bois-Colombes (92). « Ces départs sont actuellement comblés par des entreprises de presse (Le Figaro), remarque Alain Béchade. Il y a une sorte de grégarisme dans l'immobilier d'entreprise. Les sociétés vont là où sont leurs clients et leurs concurrents. »

Plus généralement, en Ile-de-France, le nombre de transactions reste à un niveau élevé. Depuis le début de l'année jusqu'à fin juin, près de 600 000 m2 ont été commercialisés. « Fin 2005, nous devrions être entre 1 700 000 et 1 900 000 m2, ce qui est conforme aux prévisions. Le gros du marché se concentre sur des surfaces inférieures à 5 000 m2. C'est donc un marché de PME », ajoute Alain Béchade. A l'ouest de Paris, dans le département des Hauts-de-Seine, La Défense tend à s'essouffler, de même que Boulogne-Billancourt, au profit d'Issy-les-Moulineaux ou encore de Levallois.

Auteur

  • Jean-François Rio