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L'aménagement du territoire peut concilier efficacité et équité

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 20.09.2005 | Violette Queuniet

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L'aménagement du territoire peut concilier efficacité et équité

Crédit photo Violette Queuniet

Pour compenser les inégalités entre les territoires, la politique d'aménagement à la française a longtemps consisté en une compensation sociale plutôt non territorialisée. Il serait plus efficace d'orienter les aides vers la demande, c'est-à-dire vers les ménages, souvent à l'origine de création d'activités.

E & C : L'exercice de prospective du groupe Perroux*, que vous avez dirigé, dessine la France économique de 2015. Quelle sera-t-elle ?

El Mouhoub Mouhoud : Dans un contexte international marqué par la libéralisation croissante des échanges et de la localisation des activités, des territoires gagnent, d'autres perdent, et certains sont amenés à développer des stratégies s'ils ne veulent pas disparaître.

Les gagnants sont les régions agglomérées, où l'on retrouve toutes sortes d'activités de haute technologie, de services aux entreprises et de recherche et développement, avec des infrastructures très développées, un vivier de ressources humaines, d'ingénieurs, de chercheurs, d'universitaires, etc. Ce sont l'Ile-de-France - la moitié des activités d'innovation s'y trouvent déjà -, Rhône-Alpes (10 %) et Midi-Pyrénées (4 %). Ces trois grandes régions agglomérées ont une position clé dans la compétition mondiale. Ces types de territoires sont amenés à se renforcer avec la mondialisation. C'est un phénomène naturel : à chaque fois que se produit une baisse des coûts de transaction (par exemple, suppression des droits de douane, amélioration des infrastructures de transport...), les agglomérations reprennent leur avantage.

E & C : Et les autres territoires ?

E. M. M. : Il y a les territoires dits «différenciés», des districts locaux. Leur force ne réside pas forcément dans la technologie mais dans l'innovation - organisationnelle, qualité et différenciation des produits -, qui leur permet d'échapper à la compétition mondiale par les prix. Enfin, les territoires de la catégorie «territoires génériques» accueillent des activités esseulées, des activités agricoles, ou ne vivent que du tourisme. Dans le cadre du rapport, une étude a été faite sur ces territoires qui a identifié 40 zones d'emploi (sur 341) qui sont en situation de vulnérabilité. Cela représente 7 % de l'emploi national. Parmi ces zones, 13 sont réellement menacées car doublement handicapées (emplois peu qualifiés concentrés dans les secteurs à risques).

E & C : Face à ces risques, comment l'Etat peut-il intervenir ?

E. M. M. : Trois stratégies sont possibles. La première, que nous qualifions de métropolaire, peut se décomposer en deux options différentes : la première est celle qui a toujours été menée jusqu'à présent : l'Etat renforce la polarisation en aidant les territoires agglomérés et tente de compenser ces inégalités territoriales par des politiques de redistribution non territorialisées. Une deuxième option est préférable : mener une politique très sélective d'aide aux grands pôles - et non un saupoudrage comme on le voit aujourd'hui avec les 67 pôles de compétitivité - tout en favorisant la mobilité des ménages par des politiques appropriées (marché du travail, infrastructures publiques...).

Une seconde stratégie, que nous qualifions de «Lisbonne +» en référence à l'objectif énoncé au sommet de Lisbonne, est de faire de l'économie européenne la plus compétitive du monde dans l'économie de la connaissance. L'idée est de créer des pôles européens par secteurs, financés par une véritable mutualisation des fonds nationaux et régionaux au niveau européen et aidés par une fiscalité propre. Une politique régionale européenne active et une politique de relance de la demande au niveau européen accompagne cette stratégie.

La troisième stratégie est celle de la «dynamique résidentielle productive». Elle consiste à créer de l'activité à partir de la demande, c'est-à-dire en orientant les aides non plus sur les entreprises mais sur les ménages (aide au logement, à la mobilité...). Cette stratégie n'est d'ailleurs pas opposable à la précédente, elle doit être menée en même temps.

E & C : Quel est l'avantage de cette dernière stratégie ?

E. M. M. : A court terme, les ménages suivent les entreprises. Mais, à long terme, on est en présence d'une inversion : des ménages peuvent développer des stratégies autonomes par rapport à la localisation des activités en se localisant dans des endroits qui n'ont rien à voir avec l'offre. Et ce sont les entreprises qui suivent ces ménages ; c'est un changement structurel, démographique et social qu'on voit apparaître dans toutes les grandes économies industrielles. On le voit sur la Côte d'Azur. Les inactifs s'y sont installés, qui consomment beaucoup de santé. Conséquence : Sophia-Antipolis, qui était un technopôle dans les technologies de l'information, s'est peu à peu reconverti dans la biotechnologie, la pharmacie et les services de santé. Ainsi, les territoires peuvent être régénérés par la demande, et pas seulement par l'offre. Partir de la demande montre qu'en matière d'aménagement du territoire, la distinction efficacité/équité est une fausse distinction.

* La localisation des activités économiques et les stratégies de l'Etat à l'horizon 2015, sur <www.plan.gouv.fr> (à paraître à La Documentation française fin 2005).

La mondialisation n'est pas coupable, Paul Krugmann, La Découverte, 1998.

L'économie du 20 e siècle, François Perroux, Presses universitaires de Grenoble, 1991.

La grande transformation, Karl Polanyi, Gallimard, 1983.

parcours

Agrégé et docteur en sciences économiques, El Mouhoub Mouhoud est professeur d'économie à Paris-13 et directeur du Centre d'économie de l'université Paris-Nord, associé au CNRS. Conseiller scientifique au Plan, il a dirigé les travaux du groupe Perroux.

Il est l'auteur de Connaissance et mondialisation (éd. Economica, 2000) et de La mondialisation des entreprises (à paraître à La Découverte). Il a dirigé l'ouvrage Les nouvelles migrations : un enjeu nord-sud de la mondialisation (Universalis, 2005).

Auteur

  • Violette Queuniet