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La génération Internet au coeur des futurs conflits

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 30.08.2005 | parViolette Queuniet

Marqués par la crise économique depuis leur naissance, les 20-30 ans sont réalistes et pragmatiques. Avec la reprise économique, cette génération opportuniste pourrait se liguer pour mener des actions collectives.

E & C : Votre dernier ouvrage est consacré aux «générations mutantes». Quelles sont leurs caractéristiques ?

Bernard Préel : Ce qui caractérise ces générations, c'est un contre-pied entre la période de leur formation et celle de leurs responsabilités. Cela peut jouer dans deux sens différents : soit on commence dans le bonheur et on finit tragiquement - c'est le cas de la génération Belle Epoque, élevée dans la foi du progrès, et qui connaîtra les tranchées de Verdun -, soit les débuts sont plutôt tragiques et la fin heureuse, comme pour la «génération krach», qui, après avoir connu le grand marasme de l'entre-deux-guerres, vivra le miracle des Trente Glorieuses. La génération 68, en rupture avec ses parents, a manifesté pour un monde meilleur qui valoriserait le bonheur, le plaisir de vivre, l'amour. Tout cela s'est très vite terni dans l'implosion du socialisme réel, dans la crise économique, et elle a donc été confrontée à un défi qui ne lui permettait pas de vivre correctement ses idéaux.

Au centre de ma réflexion, il y a la tentative de comprendre comment l'histoire que l'on a vécue va marquer les comportements et comment, ensuite, au travers des épisodes de sa vie, on va réagir d'une manière ou d'une autre.

E & C : Les enfants de la génération 68, nés entre 1975 et 1984, forme la génération Internet que vous qualifiez également de «mutante». Quelle est sa spécificité et à quelles mutations doit-elle s'attendre ?

B. P. : D'abord, elle va devoir agir en réaction à la génération de ses parents, qui lui a mis beaucoup de responsabilités sur le dos : la culture de l'autonomie et de la différence lui a imposé de trouver sa voie toute seule, sans transmission de savoir-faire, de métier, de tour de main, de valeurs. La génération Internet marque sa différence sur deux points : l'autorité (elle a été élevée dans une grande liberté, mais sans contenu) et la fidélité, fidélité conjugale, notamment, car c'est la génération des enfants du divorce.

Ensuite, une deuxième réaction va se faire par rapport au contexte. J'avais pris le pari, peut-être insensé, de dire que cette génération, qui a fait les frais, ces trois dernières décennies, d'une conjoncture difficile, allait connaître une révolution technologique nouvelle, une nouvelle économie mondialisée, et qu'elle en verrait les aspects positifs, d'où le nom de «génération Internet». Le fait est que, depuis dix ans, l'Europe connaît une certaine panne, fait du stop and go. C'est très inconfortable, pour une génération, de voir tout à coup ses espérances naître et se flétrir dans des délais aussi brefs. Or, ce que l'on connaît au début de sa vie professionnelle va avoir des impacts sur le reste de sa carrière. La situation est encore plus difficile en France, qui traite le problème du chômage en coupant aux deux bouts : en prolongeant la durée des études initiales et en poussant prématurément les plus âgés à la retraite. Ce qui laisse donc les jeunes plutôt perplexes quant à leurs propres perspectives de carrière.

E & C : Cette mise à l'écart conduit-elle cette génération à préserver la sphère privée ?

B.P. : Il est frappant de découvrir dans beaucoup d'enquêtes que, aujourd'hui, les garçons prennent en considération le double emploi du temps, comme les femmes l'ont toujours fait. C'est compréhensible : quand on n'a pas de maîtrise de sa vie professionnelle, qu'on est chahuté d'un emploi à un autre, on se concentre sur ce qu'on maîtrise, c'est-à-dire sa vie personnelle. Il y a maintenant une pensée globale des jeunes générations qui est de ne pas sacrifier sa vie personnelle sur l'autel de sa vie professionnelle. Le défi qu'ils se donnent est celui de la réussite de leur vie amicale, amoureuse, familiale, de l'investissement dans les associations caritatives. Ils reconstruisent leur vie là où ils ont des leviers pour la rendre agréable et utile. Ils aspirent aussi à plus de spiritualité, comme l'a montré le succès des JMJ.

E & C : Qu'est-ce que peut apporter cette génération à l'entreprise et comment les DRH doivent-ils la gérer ?

B.P. : Cette génération ne manifeste pas nécessairement un détachement absolu vis-à-vis de l'entreprise, mais elle est opportuniste. C'est une génération complètement vaccinée contre les idéologies, les utopies, elle ne croit plus au bla-bla, elle veut du concret. Les jeunes de cette génération ont la volonté d'agir très concrètement, là où ils sont, en fonction des opportunités. Cet opportunisme est peut-être une façon négative de leur manière de s'adapter. Dans une entreprise, ils ont besoin de projets, d'avoir des perspectives. Les mettre dans un système de stress, c'est courir le risque assez fort d'un certain désengagement de la vie professionnelle, qui est une attitude de repli sur la vie privée.

On peut s'étonner de voir cette génération aussi tranquille s'écraser devant la charge qu'elle subit. Mais je prends le pari que, lorsque la reprise économique arrivera, on verra alors les conflits apparaître et des règlements de compte s'opérer : en période de crise, c'est le système D qui prévaut, mais lorsque la conjoncture devient positive, les individus considèrent que leurs perspectives sont moins bonnes que celles des autres et ont intérêt, alors, à se liguer pour mener des actions collectives.

Ethique, Edgar Morin, Seuil, 2004.

Le monde d'hier, Stefan Zweig, Belfond, 1999.

La transition culturelle dans les sociétés industrielles avancées, Ronald Inglehart, Economica, 1993.

parcours

Bernard Préel, directeur adjoint du Bureau d'information et de prévisions économiques (Bipe), est, notamment, l'auteur de La société des enfants gâtés (La Découverte, 1989), de La ville à venir (Descartes & Cie, 1994) et du Choc des générations (La Découverte, 2000).

Il vient de publier Les générations mutantes - Belle Epoque, Krach, Mai 68, Internet : quatre générations dans l'histoire (La Découverte).

Auteur

  • parViolette Queuniet