«Quel est mon rôle dans les délocalisations d'activités ? » C'est l'une des questions que peuvent se poser les acheteurs des grandes marques. C'est l'une de celles, parmi beaucoup d'autres, que Salomon, société d'Annecy appartenant pour quelques mois encore au groupe allemand Adidas-Salomon*, n'a pas voulu laisser sans réponse.

L'entreprise a élaboré une charte d'éthique, très concrète, pour ses 35 acheteurs. « Nous voulions donner du sens aux pratiques d'achat, explique ainsi Pierre Jarniat, responsable des achats de Salomon. Les acheteurs sont de plus en plus confrontés à une difficulté de positionnement, par exemple lorsqu'ils incitent des fournisseurs à s'installer à l'étranger. Nous voulions les aider à se sentir bien avec eux-mêmes et avec ce que l'entreprise leur demande de faire. » Laquelle n'a pas à rougir de ses pratiques, Salomon mettant l'accent sur des relations de partenariat, plutôt que de se contenter d'une pression sur les coûts. L'entreprise s'interdit, par exemple, la pratique des enchères inversées. Pour autant, son activité industrielle est réalisée à 91 % en externe (sous-traitants et fournisseurs), dans des réseaux essentiellement installés à l'étranger. Il s'agit surtout de localisations d'activités nouvelles dans des pays à bas coûts salariaux, pour lesquelles Salomon s'engage à partager des risques (visibilité à trois ans, compensation en cas d'arrêt du marché...). Certains de ceux que Salomon a accompagnés en Roumanie, à partir de 2000, ont par exemple trouvé des marchés auprès de Legrand, Thomson ou Dacia.

« Nous avons d'abord réalisé un travail de définition, pour rapprocher la notion d'éthique des pratiques professionnelles quotidiennes, explique Jean-Jacques Nillès, maître de conférence à l'université de Savoie, à l'origine de la société Socratès, qui a conseillé l'entreprise. Nous nous sommes appuyés sur l'idée des vertus, en déclinant des comportements clés qui les expriment dans des situations concrètes de travail. » Les 41 articles qui composent aujourd'hui ce code ont été élaborés à partir d'un questionnaire anonyme dérou-lant des scénarios précis. Plusieurs comportements étaient suggérés à chaque fois aux acheteurs, qui les évaluaient en termes d'éthique, et indiquaient quelle aurait été leur décision. Les différences entre la valeur perçue de tel comportement et la décision prise ont permis de pointer les situations les plus susceptibles de générer un malaise.

Le code, diffusé depuis janvier dernier, a pris sa place spécifique dans les pratiques de Salomon, entre la politique d'achats et la charte RSE du groupe Adidas-Salomon. Jean-Luc Laudet, un des acheteurs de la société, explique ainsi s'y être référé récemment, lors d'une rupture avec un fournisseur : « Un article du code concerne cette situation, alors que la politique d'achats n'y fait pas référence. Il précise, notamment, que la rupture doit être compréhensible, honnête, argumentée. » Ce qui est écrit dans le code devient donc une des règles du jeu. Mais, à l'inverse, ce code est né d'une politique spécifique des achats et d'une interprétation de la relation avec les fournisseurs.

Prochaines étapes de ce document, cohérent avec la culture de l'entreprise : une transmission à la DRH, d'une part, qui souhaite travailler sur la notion de management éthique, et à des fournisseurs clés, d'autre part, qui seraient amenés à évaluer le comportement des acheteurs de Salomon. Auparavant, le groupe aura pesé les implications juridiques d'une telle ouverture.

Mais, déjà, en l'état, le code d'éthique des achats de Salomon se présente comme une démarche innovante de prise en compte stratégique de l'impact de l'activité de l'entreprise sur sa chaîne de sous-traitance. Une dimension que des outils de RSE (chartes, reporting et audits) ont généralement été impropres à encadrer, sinon sous l'angle exclusif des conditions de travail.

* Salomon rejoindra le groupe finlandais Amer Sports à la fin de cette année.

1 L'équipementier du sport Salomon a élaboré avec ses acheteurs un code d'éthique des achats très concret.

2 Le document permet aux acheteurs de mieux se positionner vis-à-vis des fournisseurs.

3 Ce code d'éthique a été construit à partir de scénarios précis, pour constituer un outil de travail au quotidien. Il encadre certains aspects stratégiques de la relation avec les fournisseurs, que les chartes RSE ne savent généralement pas prendre en compte.