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ce qui va changer

Enquête | publié le : 21.06.2005 | Anne Bariet

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ce qui va changer

Crédit photo Anne Bariet

La nouvelle législation du 18 janvier 2005 sur les licenciements économiques adopte un modèle préventif en mettant l'accent sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences et sur le reclassement des salariés. Mais, si les règles changent, les comportements des entreprises suivront-ils ?

Pas de miracle pour les salariés de Découpage et emboutissage des Pyrénées (DEP), à Lourdes. Après une période d'observation dans le cadre d'une procédure de redressement judiciaire, la société a finalement été liquidée, le 2 mai, par le tribunal de commerce. Les 24 salariés croisaient les doigts depuis l'été dernier. Mais les difficultés s'amoncelaient : chèques impayés, obsolescence des installations... Ils sont loin d'être seuls dans leur malheur. A Descartes, près de Tours, SMC, une société spécialisée dans le montage de charpentes, vient d'annoncer qu'elle allait procéder à 9 licenciements. « Ils s'ajoutent aux 18 qui ont eu lieu dernièrement. Au total, les effectifs auront diminué de moitié depuis décembre », déplorent les syndicats. Quant aux salariés de STMicroelectronics, ils sont en sursis ; 1 000 suppressions de poste ont été annoncées en France et en Italie (3 000 dans le monde). La direction refuse, pour l'heure, d'évoquer la ventilation des suppressions d'emploi, mais, déjà, de fortes craintes pèsent sur les sites de Rousset (13) et de Tours (37). Sans parler des salariés d'IBM, de Schneider Electric et de Mitsubishi Electric Telecom Europe, la branche de fabrication de téléphones portables du consortium japonais, située à Etrelles, en Ille-et-Vilaine.

Sinistres industriels

Alors que Dominique de Villepin se mobilise pour gagner «la bataille de l'emploi», les sinistres industriels se multiplient. En mars dernier, 24 000 personnes se sont inscrites à l'ANPE à la suite d'un licenciement économique (+ 0,6 % par rapport à février). Bon nombre de suppressions d'emploi prennent également la forme de départs volontaires, mais, surtout, de fins de contrat temporaire et de licenciements divers. Rien que sur le mois d'avril dernier, le nombre d'inscriptions à l'ANPE liées à un licenciement autre qu'économique a progressé de 4,9 % par rapport au mois précédent, celles liées à une fin de CDD progressent de 1,7 % et celles liées à une fin de mission d'intérim augmentent de 1,5 %.

Nouvelles dispositions

La loi du 18 janvier dernier apportera-t-elle plus de sécurité aux salariés ? Quelles nouvelles dispositions doivent mettre en oeuvre les entreprises ? En théorie, la législation de janvier 2005 ouvre de nouvelles perspectives : le texte comporte, en fait, quatre spécificités. Il encourage, tout d'abord, la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences avec, à la clé, un rendez-vous triennal pour sortir d'une gestion «à chaud» des restructurations. Il permet, ensuite, un traitement négocié des licenciements économiques à travers la conclusion d'accords de méthode, initiés à titre expérimental dans la précédente législation.

Bouée de sauvetage

Par ailleurs, le texte prévoit un dispositif de reclassement personnalisé pour des entreprises de moins de 1 000 personnes, véritable bouée de sauvetage pour des salariés jusqu'ici sans filet de protection. Enfin, il oblige les entreprises de plus de 1 000 salariés à contribuer à la revitalisation du bassin d'emploi en cas de «déséquilibre du territoire», et non plus uniquement en cas de fermeture d'un site.

Le projet empêche-t-il de saisir le juge ? Non, le rôle du juge reste inchangé. Seuls les délais de recours sont réduits (15 jours en référé, un an sur le fond). Le texte contraint-il les salariés à accepter une modification de leur contrat de travail ? Non, mais la loi remet en cause la jurisprudence Framatome/Majorette. « Jusqu'ici, un salarié acceptait ou refusait la modification du contrat de travail, explique Evelyn Bledniak, avocate associée au cabinet Atlantes. Mais il pouvait choisir entre un nouveau contrat ou les mesures du PSE. Or, aujourd'hui, le PSE ne s'impose que si dix salariés ou plus estiment que les propositions de la direction ne sont pas adaptées et les refusent. L'élément déclencheur pour l'existence d'un PSE est donc le refus de la modification et non plus la proposition. Pour éviter de mettre en place un PSE et le seuil fatidique de dix, on peut craindre, notamment, des risques de pressions individuelles pour pousser les salariés à accepter ou à partir dans d'autres conditions... entre autres transactionnelles. »

Côté entreprises, les avis sont plutôt positifs. « La loi donne plus de place au dialogue social », indique Patrice Barconnière, directeur des ressources humaines et du développement social du groupe Le Bélier (sous-traitance automobile), qui prévoit de supprimer 86 postes à Vérac (33). « Mais, en même temps, elle nous oblige à révéler plus d'informations. » La direction souhaite s'orienter vers un accord de méthode, mais il lui reste, toutefois, à convaincre un syndicat réticent au principe : car, comment prêter main forte à un plan social sans craindre que les futurs licenciés lui reprochent leur éviction ?

Concomitance des procédures

Egalement très appréciée, la concomitance des procédures livre IV et livre III, sur les volets économique et social. « La loi Borloo allège la procédure aberrante de la loi Guigou, analyse Christian Quintard, DRH de Mitsubishi Electric Telecom Europe, qui prépare une seconde restructuration. Avant, on ne pouvait pas annoncer les mesures de reclassement avant de finir le livre IV. Pendant six mois, nous ne savions pas à quelle sauce nous allions être mangés. Cette situation était très difficile à vivre en entreprise. »

Gestion prévisionnelle

Ce DRH apprécie également la part donnée à la GPEC : « C'est une forme de prébilan professionnel et de préapprentissage au changement. » De fait, l'entreprise avait déjà développé, depuis plusieurs années, une sorte de gestion prévisionnelle des emplois, via l'élaboration de référentiels de métiers. « Pour chaque profession, nous avions défini les tâches et les compétences à acquérir. » Résultat ? En 2002, 98 % des salariés licenciés (541 personnes) avaient retrouvé un emploi dans les douze mois. Christian Quintard espère réitérer cet exploit : 148 ingénieurs télécoms vont perdre leur travail cette année.

La GPEC semble également constituer le point fort de cette loi pour Xavier Tedeschi, directeur d'Homme et Redéploiement, un cabinet de conseil sur les restructurations : « La loi Borloo oblige l'entreprise à donner des perspectives dans un horizon à trois ans et responsabilise le personnel. Une façon, pour les DRH, de dessiner des parcours professionnels et personnels. » Mais joueront-ils le jeu ?

Points noirs

De fait, quelques points noirs subsistent. Pour Frédéric Bruggeman, responsable du pôle «restructurations licenciement» au cabinet Syndex, qui conseille les comités d'entreprise, le doute persiste : « Dès 1974, l'avenant de l'accord interprofessionnel de 1969 prévoyait une gestion anticipée des évolutions de l'emploi, couplée à un dispositif d'urgence (le plan social). Puis, en 1989, le principe est à nouveau affirmé dans la loi Soissons : GPEC à froid et plan social à chaud. Que fait-on en 2005 ? On nous dit encore de faire la même chose, mais par des accords de GPE (L320-2), et, par d'autres sur les licenciements (L320-3) ! C'est fantastique les variations que l'on peut faire sur un même thème sans poser la question de fond : pourquoi, depuis trente ans, la gestion anticipée n'est-elle pas mise en oeuvre ? On repeint. On change la cloison, mais il s'agit toujours du même immeuble ! »

Persistance des anciens comportements

Concrètement, la nouvelle législation tente d'adopter un modèle préventif en mettant l'accent sur la GPEC et le reclassement. Mais, si les règles changent, les anciens comportements persistent. Pourtant, plusieurs justifications sont avancées. La GPEC permet de ne pas exclure les salariés et de leur proposer des parcours professionnels tout au long de leur carrière. Une bonne analyse des compétences, complétée par des actions de formation, favorise leur employabilité.

Le volontarisme de la loi suffira-t-il à pallier les insuffisances de certaines entreprises ? Car, comment reclasser des salariés qui ont passé vingt ans à exercer la même tâche sur la même ligne de production, sans aucune formation ? « Tout dépend des intentions des acteurs. Ça passe ou ça casse ! », résume Frédéric Bruggeman. C'est tout l'enjeu de cette nouvelle loi. La balle est désormais dans le camp des entreprises.

L'essentiel

1 La loi du 18 janvier 2005 comporte plusieurs spécificités : la pérennisation des accords de méthode ; la mise en place d'un dispositif de reclassement personnalisé et une obligation de revitaliser le bassin d'emploi en cas de «déséquilibre du territoire».

2 Le point fort reste la gestion «à froid» des restructurations via des accords de GPEC, négociés tous les trois ans.

3 Sur le terrain, les avis sont plutôt positifs. Mais toutes les entreprises ne jouent pas le jeu de la gestion prévisionnelle.

La loi en cinq points

GPEC : les entreprises d'au moins 300 salariés et les branches doivent négocier tous les trois ans sur la gestion prévisionnelle de l'emploi.

Accords de méthode : ils sont pérennisés et peuvent anticiper le contenu des plans de sauvegarde de l'emploi. La nouvelle loi reprend pour l'essentiel le dispositif transitoire qu'avait instauré la loi Fillon, sauf que les accords ne nécessitent plus la signature des syndicats majoritaires.

Définition du licenciement : au moins dix salariés doivent avoir refusé une modification de leur contrat pour que soit enclenchée la procédure de licenciement collectif avec la mise en place d'un plan de sauvegarde de l'emploi.

Convention de reclassement personnalisé : négocié par les partenaires sociaux, le dispositif est applicable aux entreprises de moins de 1 000 salariés. Le salarié (justifiant d'au moins deux ans d'ancienneté) perçoit 80 % de son salaire brut antérieur pendant les trois premiers mois, puis 70 % pendant les cinq mois suivants. Il bénéficie d'un suivi individuel, de mesures d'accompagnement et, éventuellement, de formations.

Revitalisation : lors d'un licenciement collectif (et non plus uniquement en cas de fermeture de site), les entreprises de plus de 1 000 salariés ont l'obligation de contribuer à la revitalisation du bassin d'emploi (sauf redressement ou liquidation judiciaire).

Auteur

  • Anne Bariet