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« Ouvrir de nouvelles voies de reconnaissance aux salariés »

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 21.06.2005 | Violette Queuniet

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« Ouvrir de nouvelles voies de reconnaissance aux salariés »

Crédit photo Violette Queuniet

Les salariés ont un fort désir de réalisation de soi à travers le travail. Mais, celui-ci s'accompagne de la plainte récurrente de ne pas être reconnus. Tout l'enjeu est, aujourd'hui, d'inventer d'autres modes de reconnaissance.

E & C : Vous constatez un souci d'engagement professionnel des salariés que vous caractérisez par «un désir de métier». Cette notion de métier, qui renvoie à une conception traditionnelle du travail, est-elle compatible avec le monde de l'entreprise du XXIe siècle ?

Florence Osty : Le désir de réalisation de soi par le travail, qui s'exprime massivement, renvoie à la notion de métier. Le plus surprenant, c'est de voir des salariés se revendiquer d'un métier là où leur statut d'emploi ne montre pas les attributs classiques de celui-ci. Qu'exprime cette revendication ? On pourrait penser qu'il s'agit d'une réaction défensive : là où on a un métier, on a un emploi qui est moins menacé ou davantage protégé par des règles professionnelles. Mais l'hypothèse qui me paraît la plus féconde, c'est qu'en se réclamant d'un métier, les individus se réclament, finalement, de l'exercice d'un art, pas uniquement de l'application de consignes et de procédures relevant de leur définition de poste.

Ils affirment, alors, une part irréductible d'autonomie dans leur activité de travail. Le paradoxe, c'est que ce désir de métier resurgit dans un contexte de rationalisation extrêmement forte. Les organisations se caractérisent, en effet, par un développement intense de règles et de procédures, notamment grâce aux outils de gestion et aux NTIC qui permettent, à présent, d'assurer une traçabilité des gestes de travail sans commune mesure. Le renforcement des moyens de contrôle se conjugue, ainsi, avec une autonomie revendiquée par les salariés.

E & C : Les entreprises demandent pourtant de plus en plus à leurs salariés de faire preuve d'autonomie...

F. O. : En effet, car l'entreprise requiert de ses salariés un engagement au travail qui se traduit par une forme d'injonction paradoxale : pour faire face à des situations où l'aléa devient monnaie courante, les salariés sont sommés de faire preuve d'autonomie... tout en respectant les procédures de travail ! Cette double face de l'autonomie est tout entière contenue dans la notion de responsabilité, qui inclut l'initiative, mais aussi la sanction en cas de transgression des règles établies. Or, l'autonomie recherchée par l'individu, c'est l'engagement qui lui permet de mobiliser l'ensemble de ses capacités dans une visée d'efficacité. Cette forme d'autonomie renvoie à la possibilité de «subjectivation», c'est-à-dire de se construire une identité par l'activité au travail. Lorsque cet espace d'autonomie n'existe pas, l'accès à une forme d'identité au travail est fortement réduit. On assiste à une déconnexion entre l'engagement subjectif, qui n'est plus réservé, désormais, à une élite sociale comme au temps des Trente Glorieuses, et les formes de reconnaissance, qui sont aujourd'hui en panne. Si le travail devient davantage un vecteur d'identité, l'entreprise ne répond qu'imparfaitement à cette quête de reconnaissance et de sens au travail.

E & C : Pourquoi cette reconnaissance est-elle en panne ?

F. O. : D'abord, parce qu'il y a une méconnaissance et un déni des dynamiques sociales de métier, dans la mesure où elles débordent largement la logique des qualifications. Or, pour reconnaître, il faut déjà connaître. Les dynamiques sociales s'ancrent dans l'expérience concrète du travail et sont diluées dans l'approche gestionnaire des classifications et filières professionnelles. L'entreprise reconnaît le professionnalisme et les compétences de ses salariés à travers le déploiement d'une gestion plus individualisée de la compétence. Toutefois, la compétence rétribuée par ce nouveau mode de gestion, c'est-à-dire les valeurs d'usage des qualités requises par l'entreprise, ne peut être confondue avec la compétence réellement mobilisée au travail, c'est-à-dire le savoir pratique, qui échappe en partie à toute mesure et, donc, rétribution. Le contentieux induit par la promesse tacite d'une superposition parfaite entre ces deux versants de compétence alimente une plainte lancinante d'un manque de reconnaissance.

E & C : Quel rôle peut jouer le responsable RH pour améliorer la reconnaissance du métier ?

F. O. : Il est au coeur de l'enjeu qui me paraît essentiel pour les entreprises : travailler sur les formes de reconnaissance des salariés. Le DRH peut favoriser des espaces d'échange sur les critères légitimes de la reconnaissance institutionnelle. Mais la reconnaissance par les outils de gestion - promotion, rétribution - n'est qu'un des niveaux de la reconnaissance du métier.

La reconnaissance se joue aussi à un niveau symbolique, sur la capacité du management à apprécier la manière dont les individus développent des savoirs pratiques efficaces. L'élargissement des outils et vecteurs de reconnaissance (entreprise, hiérarchie, collectif de travail) représente une voie prometteuse pour répondre au désir de métier, pour sortir de la plainte et du malaise et pour trouver les modalités d'un nouveau compromis social.

ses lectures

Le déclin de l'institution, François Dubet, Le Seuil, 2002.

L'identité au travail, Renaud Sainsaulieu, Presses FNSP, 1977.

La crise des identités, Claude Dubar, PUF, 2000.

parcours

Florence Osty est docteur en sociologie, chercheuse au Lise-CNRS (Laboratoire interdisciplinaire de sociologie économique) et directrice pédagogique à Sciences po Formation. Elle intervient également comme consultante dans des entreprises.

Elle a publié, avec I. Francfort, R. Sainsaulieu et M. Uhalde, Les mondes sociaux de l'entreprise (Desclée de Brouwer, 1995), et est l'auteur de Le désir de métier, engagement, identité et reconnaissance au travail (Presses universitaires de Rennes, 2003).

Auteur

  • Violette Queuniet