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Les Pratiques

Des outils pour déjouer les préjugés

Les Pratiques | Point fort | publié le : 07.06.2005 | Marie-Pierre Vega

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Des outils pour déjouer les préjugés

Crédit photo Marie-Pierre Vega

Lors de l'embauche, les a priori sur l'origine raciale ou sociologique, le sexe ou l'âge ont la vie dure. Autodiagnostic, CV anonymes, outils informatiques ou recrutement par simulation sont autant de méthodes qui permettent de lutter contre la discrimination.

Un homme blanc de 33 ans, un homme légèrement handicapé, un homme de 50 ans, un Antillais, un homme obèse et une femme maghrébine : lequel de ces six candidats aura le plus de difficultés à décrocher un entretien de recrutement ? Les médias se sont largement fait l'écho du «testing» mené par l'entreprise d'intérim Adia et Jean-François Amadieu, directeur de l'Observatoire des discriminations (lire Entreprise & Carrières n° 760). Le candidat de 50 ans n'obtient que 6 % de réponses positives à son CV. Juste derrière, la candidate maghrébine résidant en banlieue n'en recueille que 9 %. Pour elle, la donne se renverse au cours de l'entretien : elle est embauchée à 66 %.

Il n'en faut pas plus pour mettre en vedette le CV anonyme, proposé dans un rapport par Claude Bébéar, ancien Pdg d'AXA. L'assureur le teste d'ailleurs sur son site de recrutement depuis le début de l'année. Les informations relatives à l'identité, l'adresse et l'état civil sont masquées lors de l'étude de la candidature. Les éditeurs de solutions de gestion du recrutement et de la mobilité interne sont de plus en plus nombreux à proposer cette fonctionnalité, comme Taleo, installé à Paris depuis 2002.

Les trois grands clients de cet éditeur américain : Suez, Faurecia et Areva, ne l'utilisent pas encore mais y réfléchissent. Selon Stéphane Amiot, directeur de Taléo France, « le souci de se prémunir contre les risques de discrimination figure noir sur blanc dans les appels d'offres lancés cette année par sept entreprises du CAC 40 ».

Automatisation

Les solutions logicielles présentent, par ailleurs, l'avantage d'automatiser le processus de sélection des CV. Le principe : le candidat s'inscrit sous un nom d'utilisateur et un mot de passe. Puis, guidé par des questions ciblées par rapport au poste proposé, déclare ses compétences. « C'est le système qui met en rapport candidats et postes, et alerte le recruteur, écartant ainsi au maximum tout regard subjectif », indique Stéphane Amiot. L'accès au portail peut être ouvert aux sociétés de travail temporaire et aux cabinets de recrutement avec lesquels travaille la société, comme le fait Suez. Le groupe industriel et de services s'apprête également à partager ce module avec l'Afij (Association pour faciliter l'insertion professionnelle des jeunes diplômés), qui sera en mesure de saisir directement des candidatures anonymes de jeunes diplômés victimes de discriminations.

Employeur de choix

Egalement éditeur de solutions de gestion des ressources humaines, Jobpartners a d'abord développé le CV anonyme « pour répondre aux attentes de confidentialité dans les mobilités internes », explique le fondateur Patrick Barbedette. En matière de recrutement externe, « le CV anonyme permet de passer une première barrière, mais c'est aussi un outil de marketing et de communication, lâche-t-il. En proposant l'anonymat, l'entreprise montre qu'elle est un employeur de choix, engagée dans la lutte contre les discriminations. Bientôt, elle va aussi l'utiliser comme un outil de communication vis-à-vis du client. »

« C'est de la démagogie », juge un DRH. Un avis partagé chez GE Money Bank, qui emploie, en France, 950 Français et 50 personnes de 28 nationalités différentes. Odile Bordier, DRH de cette filiale de crédit aux particuliers du groupe General Electric, estime qu'il suffit d'interdire aux recruteurs de regarder le haut du CV : « C'est un principe de base du recrutement : regarder les compétences, et seulement les compétences. » Les responsables d'animation d'équipe et les collaborateurs experts susceptibles de recruter suivent obligatoirement trois demi-journées de formation. « Nous leur expliquons pourquoi et comment nous luttons contre les stéréotypes. Il leur est interdit de poser des questions en s'appuyant sur le haut du CV. Si le candidat évoque ces éléments, le recruteur doit l'arrêter et lui expliquer pourquoi cela ne l'intéresse pas », explique la DRH. Les recruteurs simulent aussi des entretiens d'embauche, filmés et décortiqués, avec de vrais étudiants.

Simulation inversée

A Grenoble, la simulation inversée a servi de déclencheur : au recruteur de se mettre dans la peau du candidat discriminé. C'est l'un des deux volets de Profil, une formation élaborée en 2000 par le CJD (Centre des jeunes dirigeants) local et l'Observatoire des discriminations et territoires interculturels (ODTI) de la ville. A ce jour, une centaine de dirigeants et 250 jeunes ont participé à ces rencontres en Rhône-Alpes. Elles permettent aussi au chef d'entreprise d'expliquer ses méthodes de recrutement. « Depuis, mon regard a changé, estime Jean-Luc Gaidon, dirigeant de Nef, une petite société de formation. Je regarde avec plus d'attention les CV qui portent des traces de discrimination potentielles. Je recrute peu, mais je propose systématiquement à la personne un entretien d'entraînement, en la prévenant que je n'ai pas de poste. » Depuis le début de l'année, Jean-Luc Gaidon et ses 15 salariés se soumettent aussi à un diagnostic éthique.

Sur la base du travail réalisé à Grenoble, le CJD a lancé une expérimentation nationale auprès de ses 2 000 membres. « Un kit pour aider les sections locales à organiser des plénières sur ce thème et un questionnaire d'autodiagnostic d'une centaine d'items viennent d'être distribués », explique Eric Perret, dirigeant du cabinet de conseil RH marseillais Renaissance et membre du comité de pilotage de l'expérimentation. Pour lui, deux conditions permettent de se prémunir contre le risque de discrimination à l'embauche : « La conscience personnelle du chef d'entreprise et des méthodes de type simulation, assessment center ou des habiletés, qui permettent tout simplement de recruter la bonne personne, en toute objectivité. »

Ikea France, par exemple, souhaite développer le recours à l'assessment center, qui permet d'apprécier l'adéquation entre les comportements d'une personne et les exigences de ses futures missions. Il peut aussi être utilisé pour évaluer la capacité du manager à embaucher. C'est le cas chez Eau de Paris. « Chaque salarié susceptible d'être promu à un poste comportant une mission de recrutement est mis en situation d'embaucher. Un cas lui est soumis, il doit présenter une solution à un jury. Cette épreuve, dite de management éthique, compte pour un quart de la note attribuée », explique le DRH Pascal Bernard.

Méthode des habiletés

La méthode des habiletés, qui privilégie la mise en situation, est également de plus en plus courante. Depuis 2002, Casino l'utilise presque systématiquement pour l'ouverture de ses magasins. Dans l'usine marseillaise du groupe Saint-Louis Sucre, le DRH Benoit Dehaye ne jure que par la mise en situation. « L'entretien individuel, basé sur la lecture du CV et l'énoncé des compétences, est conjugué à la résolution d'un cas concret dans le cadre d'une convocation en groupe. Les candidats sont évalués par un jury de quatre personnes au minimum, pour éviter le jugement de valeur d'une seule. Et toute la procédure de recrutement est réalisée en interne, par moi-même et mon assistante. »

Face aux demandes discriminatoires

Défiance vis-à-vis des intermédiaires du recrutement ? Ceux-ci ne sont pas forcément à la traîne. En 2000, Adecco a été contrainte de réagir après la découverte d'un fichier recensant les intérimaires d'origine étrangère. Après avoir rappelé la loi à ses salariés et à ses clients et organisé des conférences de sensibilisation auprès de 5 000 entreprises, la société forme, aujourd'hui, son personnel pour l'aider à faire face aux demandes discriminantes des clients et objectiver le recrutement. Adia a aussi entamé une sensibilisation de ses agents. A terme, la démarche pourrait s'étendre aux autres sociétés d'intérim à travers le Sett (Syndicat des entreprises de travail temporaire), qui, engagé dans un accord-cadre avec l'Etat, prépare des modules de formation pour toute la profession.

La Macif observe ses pratiques

Comment la Macif se comporte-t-elle vis-à-vis des jeunes d'origine étrangère ? Pour le savoir, la mutuelle s'est dotée, en début d'année, d'un observatoire des pratiques de recrutement, d'intégration et de promotion, en partenariat avec la Direction de la population et des migrations, le Fonds d'action et de soutien pour l'intégration et la lutte contre les discriminations et la direction interministérielle à la Ville.

Retenu sur appel d'offres, le cabinet Stratémis, basé à Arras, va auditer les responsables RH des onze directions régionales de l'entreprise, via des entretiens individuels et des questionnaires. Le comité de pilotage en dégagera des recommandations qui seront mises en oeuvre, à titre expérimental, dans trois régions.

Objectif : « Adopter des mesures et les essaimer dans les entreprises de l'économie sociale volontaires », précise Alain Philippe, président de la Fondation Macif, qui porte, par ailleurs, deux projets européens de lutte contre les discriminations à l'emploi.

L'essentiel

1 Le CV anonyme est en test dans certaines entreprises. Les éditeurs de solutions de gestion du recrutement et de la mobilité interne proposent de plus en plus cette fonctionnalité, couplée à une sélection automatisée des CV.

2 Pour sensibiliser les chargés de recrutement et objectiver leurs pratiques, des entreprises mettent sur pied des formations, des simulations d'entretien et des autodiagnostics.

3 Les entreprises recourent également à des méthodes de type assessment center ou habiletés et nouent des partenariats avec des associations oeuvrant pour l'intégration des jeunes défavorisés ou issus de l'immigration.

PSA fourbit ses armes contre la discrimination

En octobre 2004, la direction de PSA et toutes les organisations syndicales ont signé un accord sur la diversité et la cohésion sociale dans l'entreprise. Parmi ses objectifs : lutter contre toute forme de discrimination par des mesures pragmatiques. Dans le domaine du recrutement, plusieurs actions sont en préparation. « Nous sommes en train de formaliser un guide des procédures de recrutement destiné aux chargés de recrutement et aux opérationnels en situation de recruter, explique Yves Chevalier, responsable du recrutement des cadres pour le groupe, et des Etam pour les sites de la région parisienne. Nous élaborons des modules de formation, qui pourraient être d'une durée totale de trois jours. Les premiers déploiements se feront à la rentrée. » Autre mesure retenue : un audit des services de recrutement mené en interne, et un audit externe confié à Jean-François Amadieu, sur le modèle de celui réalisé avec Adia. Les deux audits devraient se dérouler avant les congés d'été.

Une attention particulière est également portée aux femmes et aux jeunes diplômés des zones sensibles. PSA s'est engagé à recruter des femmes à proportion de la part des candidatures féminines reçues. Le recours à la méthode des habiletés, depuis quatre ans, a déjà permis d'améliorer ce point. En 2004, les femmes représentaient 28,7 % des ouvriers recrutés, contre 7,3 % en 1999. Toutes catégories confondues, elles constituent 25,8 % des salariés embauchés l'année dernière, contre 11,5 % en 1999.

Enfin, le constructeur automobile renforce ses liens avec les associations oeuvrant pour l'intégration des jeunes défavorisés ou issus de l'immigration, comme l'Afij. Pour 2005, il s'est engagé à recruter 45 jeunes diplômés des zones urbaines sensibles ; 110 dossiers ont déjà été examinés et 11 candidats ont été embauchés.

Auteur

  • Marie-Pierre Vega