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La logique de branche ne règle pas tout

Dossier | publié le : 07.06.2005 | L. G.

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La logique de branche ne règle pas tout

Crédit photo L. G.

La réforme de la formation a fait monter en puissance les logiques de branches professionnelles. Mais, vu la mobilité vécue par nombre de salariés, les logiques interprofessionnelles et trans-branches ne sauraient être plus longtemps ignorées, estime une étude menée par le cabinet Circé Consultants.

En 2004, quelque 130 accords de branche ont été signés en application de la loi du 4 mai 2004 et de l'ANI du 5 décembre 2003, auxquels s'ajoutent les deux accords interprofessionnels «à défaut» négociés par le Medef, d'un côté, et par la CGPME, de l'autre.

L'étude de Circé Consultants a analysé un échantillon de 45 accords (1), signés entre juin et décembre 2004, représentant un taux de couverture de 60 % des salariés du privé. Elle s'intéresse plus particulièrement à la valeur ajoutée de la négociation de branche en matière d'accès à la formation, comparée à la négociation interprofessionnelle et à la loi. Cette étude, intitulée La négociation de branche sur la formation en 2004 : éléments d'analyse, a été réalisée pour le compte de la Direction des relations du travail (DRT), et remise en avril dernier.

Portée normative de la branche

Constat fondamental : la branche est devenue le niveau privilégié de définition et de mise en oeuvre d'actions de formation. Elle pourrait devenir le lieu privilégié de définition et de mise en oeuvre des politiques de formation. Surtout, sa portée normative s'est affirmée. Les accords de branche ont fixé des règles de droit (lire l'encadré p.18) en désignant les publics prioritaires et les actions et qualifications accessibles dans le cadre des différents dispositifs (DIF, contrats et périodes de professionnalisation, voire, éventuellement, le plan de formation). Ces priorités s'imposent aux Opca dans la mesure où elles sont suffisamment précises ; elles s'imposent aussi aux employeurs.

Toutefois, bien que la plupart des négociateurs des accords de branche aient affirmé, sans équivoque, leur intention d'exclure toute dérogation aux normes définies, la portée de ce principe peut apparaître atténuée, à l'analyse du contenu des clauses de certains accords. Quelques grands groupes se sont emparés de cette ouverture en concluant des accords sur la formation (Véolia, AXA, La Poste, Peugeot, la SNCF).

De nombreux aspects non négociés

Par ailleurs, bien qu'abondantes, les négociations de branche ont laissé de côté des points importants : la reconnaissance des qualifications suite à des actions de formation ou de VAE ; les moyens en faveur du dialogue social donnés aux délégués syndicaux et aux membres des comités d'entreprise ; les actions de formation en faveur des plus bas niveaux de qualification ; l'adaptation de l'offre de formation aux nouveaux dispositifs ; l'information en direction des salariés par les Opca ; le lien entre les branches et les territoires (régions, bassins d'emploi...) ; la recherche de réponses adaptées aux PME ; la définition des trois catégories du plan de formation (adaptation au poste de travail, évolution de l'emploi et maintien dans l'emploi, et développement des compétences).

Cloisonnement du marché du travail

Jean-Marie Luttringer, directeur de Circé, voit dans ces limites la marque même de la logique de branche : « Au niveau de la branche, le coeur, c'est le métier. C'est une limite, par construction, de la négociation de branche. Cela signifie qu'il y a 150 espaces de négociation correspondant à 150 contextes différents et que les enjeux sont liés à des marchés du travail précis. »

Une analyse renforcée par le commentaire de Vincent Merle, ex-directeur de cabinet de Nicole Péry, secrétaire d'Etat à la formation professionnelle du gouvernement Jospin : « Le jeu de la négociation au niveau des branches conduit à cloisonner un marché du travail qui apparaît pourtant de moins en moins structuré selon une logique sectorielle. Un bon nombre d'entreprises de grande taille relèvent de plusieurs branches, la mobilité de la main-d'oeuvre est tout autant trans-branche qu'intra-branche. Indépendamment de la taille de l'entreprise, de nombreux emplois se définissent plus par rapport à un type d'organisation ou de technologie que par rapport à une logique sectorielle. »

En réalité, conclut l'étude de Circé, la formation professionnelle, pour être efficace, ne peut être qu'une «compétence partagée» entre l'Etat, garant du droit à l'éducation et à la formation pour tous, les partenaires sociaux, en charge du droit à l'emploi et à la qualification par la négociation collective, et les conseils régionaux, en charge du développement économique et social. « La négociation de branche, pour décisive que soit sa contribution, ne saurait porter à elle seule le projet sociétal de «formation tout au long de la vie». »

Obligation triennale de négociation

Les entreprises et les salariés doivent s'approprier l'actuelle réforme. Dans les années à venir, d'autres acteurs (les citoyens, les territoires, l'Europe) pourraient lui apporter de nouveaux changements techniques et juridiques. D'autant plus que la formation professionnelle continue a, désormais, une obligation triennale de négociation au niveau des branches.

(1) Dans les branches agriculture, commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire, services de l'automobile, parfumerie esthétique, travail temporaire, cabinets d'avocats, BTP, métallurgie, transport aérien, textile (industrie), chaussure, télécommunications, pharmacie (industries), animation, ameublement, horlogerie, imprimerie et industries graphiques, assurance, notariat, commerce de gros, boucherie, propreté, négoce des matériaux de construction, transport fluvial, cabinets dentaires, cuirs et peaux, avocat salarié, chimie (industries), confiserie, chocolaterie et biscuiterie, couture, cabinets médicaux, tourisme social et familial, plasturgie, transports routiers, équipements thermiques, banques, publicité, pétrole, pin maritime, aide à domicile, hôtellerie-restauration, restauration rapide, hospitalisation privée, syntec, sanitaire et social.

A quand la transférabilité du DIF ?

Le DIF, objet phare de la réforme, a été également un des sujets majeurs de la négociation de branche, puisque 93 % de celles étudiées le transposent, alors que la mise en oeuvre au niveau de l'entreprise était possible sans son intervention, note l'étude de Circé.

Au-delà des dispositions concernant la date d'acquisition des droits au DIF, qui ont beaucoup occupé les négociateurs (71 %), les discussions ont essentiellement porté sur l'augmentation des crédits d'heures DIF (36 % des branches l'organisent) ; sa transférabilité (38 % des branches l'envisagent) ; les actions prioritaires (64 % des branches les précisent) ; les conditions de mise en oeuvre (78 % des branches les précisent, en définissant notamment les règles procédurales).

Innovation

La transférabilité du DIF a donné à la négociation de branche l'occasion d'innover, alors que la loi et l'ANI ne lui avaient pas renvoyé ce thème, qui n'était abordé que dans les cas de licenciement ou de démission sous la forme de «liquidation» des droits à DIF. « C'est une question importante, car c'est la transférabilité qui donne au salarié, acteur de sa propre formation, les moyens de maîtriser son parcours de formation, quels que soient les heurts de son parcours professionnel », commente Circé Consultants.

Mais rares sont les accords de branche à avoir envisagé une transférabilité du DIF (agriculture, BTP...). En fait, cette interrogation est importante dans la mesure où 70 % des salariés sont dans des PME, pour lesquelles les logiques de branche ne sont que partiellement structurantes. Cela pose la question des relations interbranches et interprofessionnelles et celles de savoir si ces logiques ne seront que les «voitures-balais» de la formation ou, au contraire, son avenir.

Heures acquises

« La question de la transférabilité est abordée dans les avenants DIF de l'ANI CGPME (Agefos-PME) et de l'ANI Medef (Opcareg-Ipco) sous des formes différentes, analyse Jean-Marie Luttringer. L'accord «à défaut» dans le champ Medef-Opcareg-Ipco prévoit que «le salarié conserve chez son nouvel employeur les heures acquises au titre du DIF avant sa mutation, lorsque celle-ci s'effectue entre deux entreprises incluses dans le champ d'application d'un même accord collectif de groupe, ou, à défaut d'un tel accord, en cas de mutation d'un salarié dans une entreprise appartenant au même groupe, et, dans les deux cas, à la condition que celui-ci soit adhérent de l'Ipco ou de l'Opcareg». »

Accord écrit

« L'accord «à défaut», dans le champ CGPME-Agefos-PME, prévoit que «les droits acquis au titre du DIF et n'ayant pas été utilisés peuvent être versés à l'Agefos-PME par l'entreprise adhérente à cet Opca. Dans ce cadre, ces droits sont utilisables par le salarié pendant douze mois à compter du licenciement. Ce dispositif peut être utilisé également en cas de démission du salarié. Dans ce cas particulier, la mise en oeuvre du dispositif nécessite un accord écrit entre le salarié et l'employeur». »

Plus de 4 millions de salariés sont couverts par ces deux réseaux interprofessionnels dont les accords traitent de la transférabilité du DIF. Pour les autres, cette transférabilité inachevée appellera certainement de nouvelles négociations. L. G.

Les négociations de branche en chiffres

73 % des textes analysés sont des accords, et 27 % des avenants.

82 % des branches ont rendu leurs accords impératifs.

36 % des accords ont désigné des publics prioritaires et 91 % ont défini les orientations prioritaires de la branche.

60 % des branches ont voulu privilégier leur attractivité vis-à-vis des jeunes.

84 % des branches disposent d'un observatoire prospectif, mais dans 49 % des cas, il s'agit d'une création.

27 % des accords prévoient des dispositions en faveur des salariés en difficulté et 4 % en faveur des salariés en reclassement.

98 % des accords traitent de la période de professionnalisation, mais nombre d'entre eux ont calqué le contrat de professionnalisation sur l'ex-contrat de qualification.

93 % des branches étudiées transposent le DIF, alors que la mise en oeuvre au niveau de l'entreprise était possible sans intervention de la branche. Cependant, 97,5 % des branches renvoient au niveau de l'entreprise la définition du temps de formation dans le cadre du DIF.

28 % des accords privilégient la formation pendant le temps de travail.

58 % des accords prévoient des dispositions sur l'encadrement et considèrent qu'il joue un rôle moteur dans l'identification des besoins de formation.

Enfin, le taux de signature est important. La CFDT et la CFTC ont signé le plus grand nombre d'accords (89 % des accords), suivies de très près par la CFE-CGC (87 %). Force ouvrière a signé 78 % des accords, et la CGT près d'un accord sur deux (49 %).

Le temps de formation n'est pas un enjeu idéologique

Finalement, la question du temps de formation pendant ou en dehors du temps de travail n'est pas devenue, dans les négociations de branche, un enjeu idéologique, mais a été traitée selon les spécificités des processus de production de branche, estime l'étude de Circé. On pouvait penser que les négociateurs employeurs souhaiteraient externaliser systématiquement la formation hors du temps de travail, c'est loin d'avoir été le cas. Le coût de la formation hors temps de travail (50 % du salaire net) est, évidemment, un facteur d'explication.

Un accord (branche Notariat) fige, au niveau de la branche, la règle applicable en matière de temps de formation. Mais 97,5 % des branches renvoient au niveau de l'entreprise la définition du temps de formation dans le cadre du DIF, se contentant de donner un cadre permettant à l'entreprise d'en définir concrètement les modalités. Mieux, 28 % des accords privilégient la formation pendant le temps de travail et se placent, ainsi, « à front renversé par rapport à l'Accord national interprofessionnel ».

Enfin, la négociation de branche laisse une place importante à la seule relation entre le salarié et l'employeur (30 % des accords étudiés), et ce, par rapport à la garantie collective offerte par la négociation d'un accord d'entreprise (prévue dans 23 % des accords). Ainsi, pour déterminer le temps sur lequel se déroulera la formation dans le cadre du DIF, les accords de branche renvoient plus souvent à un accord bilatéral qu'à un accord d'entreprise, analyse Circé Consultants.

Auteur

  • L. G.