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La Constitution européenne donne un cadre au social

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 17.05.2005 | Emmanuel Franck

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La Constitution européenne donne un cadre au social

Crédit photo Emmanuel Franck

La Constitution européenne ne donne qu'un cadre aux politiques sociales dans l'UE. Elles dépendront de la volonté du Parlement et des gouvernements, ainsi que de l'engagement des citoyens et des corps intermédiaires.

E & C : Le débat public, en France, sur le projet de Constitution européenne se focalise sur la question de savoir si le texte contient une dimension sociale ou s'il n'est que libéral. Que pensez-vous de ce débat ?

Jacques Brouillet : Depuis le traité de Rome, en 1957, nous avons clairement opté pour le système libéral et rejeté le système collectiviste. La question qui doit maintenant être formulée est : quel type de système libéral souhaitons-nous défendre ? Un système ultra libéral de type anglo-saxon, ou un système libéral mâtiné de social, plutôt à la française ? A mon avis, l'enjeu de demain est de réconcilier l'économique et le social. De ce point de vue, le projet de constitution a le mérite d'opter clairement pour l'«économie sociale de marché», d'affirmer l'importance d'une politique sociale, et de refuser le «tout-économique». Avec ce texte, nous dépassons le simple «marché commun» de 1957. Ce projet de constitution ne définit cependant qu'un cadre qui ne présage en rien de son contenu. Il n'y aura de politiques sociales dans l'Union européenne que si le Parlement et les gouvernements en ont la volonté, et si les citoyens et les corps intermédiaires s'engagent davantage.

E & C : Par rapport aux précédents traités, dans quels domaines du social le texte proposé au référendum innove-t-il ?

J. B. : Sa vraie avancée est dans sa partie II, qui introduit la Charte des droits fondamentaux. Celle-ci affirme une série de droits sociaux que ne prenaient en compte ni la Convention européenne des droits de l'homme, ni les chartes précédentes, comme la protection contre les licenciements injustifiés, le droit d'accès aux services de placement, le droit à l'information et à la consultation des travailleurs au sein de l'entreprise. D'un point de vue juridique, l'introduction de cette charte présente deux avancées. D'une part, la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) pourra désormais y faire référence. D'autre part, dans l'hypothèse où la Constitution est adoptée, la charte devient un instrument du droit français. Ce qui signifie que chaque citoyen pourra l'invoquer directement devant le conseil des prud'hommes, en plus de son droit à soulever la question préjudicielle. Dans ce dernier cas, la juridiction française saisira ensuite la CJCE.

E & C : Quelles sont les innovations, en matière sociale, de la partie III du projet de constitution consacrée aux politiques de l'Union européenne ?

J. B. : La partie III est essentiellement un recueil des différentes avancées issues des précédents traités, que le projet remet en ordre en affichant des priorités. Le dialogue social en sort renforcé. Le sommet social tripartite entre gouvernements, commission et partenaires sociaux, qui devra se tenir chaque fois que les chefs d'Etat se réunissent pour un sommet, est institutionnalisé. De plus, la répartition des pouvoirs entre chaque institution est précisée. Enfin, les pétitions et les demandes de référendum sont prévues, en plus des accords collectifs et des accords-cadres émanant des partenaires sociaux. Ainsi, le processus démocratique est renforcé, et le dialogue social devient source de droit européen.

E & C : Dans le projet de constitution, quels sont les domaines du social relevant de la compétence des Etats, et de celle de l'Union européenne ?

J. B. : Tout ce qui a trait au social relève des compétences partagées entre l'Union et les Etats. Cela signifie que l'Union ne peut décider seule.

E & C : Quelles sont les politiques sociales décidées à la majorité qualifiée, et à l'unanimité ?

J. B. : Toutes les politiques sociales sont décidées à la majorité qualifiée, sauf quatre : la réglementation de la protection sociale ; les règles concernant le licenciement ; la représentation du personnel et le droit de grève, ainsi que les conditions d'emploi des ressortissants des pays tiers en séjour régulier sur le territoire de l'Union. Ces politiques sont décidées à l'unanimité.

E & C : Quel rôle jouera la CJCE dans la production du droit social européen ?

J. B. : La CJCE est renforcée par la Constitution. Elle est amenée à jouer un rôle déterminant dans l'évolution du droit social européen, ne serait-ce que par la participation de magistrats représentant les dix nouveaux Etats membres. On constate déjà que la CJCE, qui a fait la preuve de son impartialité et de son efficacité, est plus productrice de droit social que les directives et les règlements de la commission. Elle a ainsi inventé des concepts nouveaux qui imprègnent maintenant le droit français, et dont s'inspire la Cour de cassation. Comme, par exemple, le concept d'«intérêt légitime de l'entreprise», qui s'est traduit par la nullité de la clause de non-concurrence ou de la clause de mobilité dans certains contrats de travail français, ou celui d'«effet utile», ou encore celui d'«interprétation téléologique» des textes, c'est-à-dire en fonction de leur finalité. La CJCE s'est notamment prononcée contre la discrimination à l'égard des femmes à de multiples reprises, arguant du fait qu'il ne peut y avoir de différence de traitement entre les hommes et les femmes qui ne soit justifiée par des différences physiologiques.

Traité établissant une Constitution pour l'Europe.

Une Constitution européenne, Robert Badinter, Fayard, 2002.

La montée de l'insignifiance, Cornelius Castoriadis, Seuil, 1996.

parcours

Avocat en droit social et en droit communautaire, Jacques Brouillet est directeur associé au cabinet Fidal, et, également, président de l'IES (Institut européen des juristes en droit social), qu'il a créé, en 1989, afin de favoriser les échanges, au niveau européen, avec ses confrères et tous les professionnels spécialistes du droit social.

Il est l'auteur de Du droit d'ingérence au devoir de tolérance (éd. de l'Aube, 1999). Il a également participé à de nombreux ouvrages collectifs, dont Tous DRH, sous la direction de J.-M. Peretti (éd. d'Organisation, 1997) ; et dirigé Quel devenir du travail en Europe ? (éd. Lamy, 1999).

Auteur

  • Emmanuel Franck