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Enquête

Une arme qu'il convient de manier avec beaucoup de prudence

Enquête | publié le : 03.05.2005 | Marie-Pierre Vega

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Une arme qu'il convient de manier avec beaucoup de prudence

Crédit photo Marie-Pierre Vega

Depuis un an, les organisations syndicales apprennent, souvent à leurs dépens, à manier le droit d'opposition généralisé par la loi Fillon. A plusieurs reprises, il a eu pour effet de radicaliser les positions syndicales, de bloquer le dialogue et de pousser les directions à faire le forcing.

Il y a les droits d'opposition passés inaperçus : dans la coiffure, l'optique-lunetterie de détail, la jardinerie-graineterie,... Et ceux qui ont défrayé la chronique : les industries électriques et gazières (IEG), la banque, et, surtout, Nestlé Waters France.

La filiale eau du groupe agroalimentaire suisse a été la première à faire les gros titres. Le feuilleton rythme l'été 2004, la CGT en est la vedette. Avec la loi Fillon, le syndicat, majoritaire, est en position de force pour s'opposer à un accord de gestion prévisionnelle de l'emploi conclu avec la CFDT et la CFE-CGC, accord qui entérine la suppression de 1 047 postes. Mais la CGT se retrouve dos au mur quand la direction menace de vendre le site de Vergèze, qui produit la marque Perrier. C'est l'impasse. La CGT cède.

« En persistant, nous serions allés contre les intérêts des salariés, reconnaissait à l'époque Jean-Paul Franc, délégué CGT de Nestlé Waters France. Nous avons préféré faire marche arrière ». Mais la machine est en route : la direction décide de filialiser ses établissements, affaiblissant de facto le syndicat.

Une logique de chantage

En décembre dernier, à la Banque de France, le SNA (autonome), la CGT, la CFDT et le SIC se retrouvent dans la même impasse lorsqu'ils s'opposent à l'accord salarial 2004, minoritaire. Dès la signature, le gouverneur Christian Noyer avait prévenu qu'il n'y aurait aucune mesure en cas d'opposition. « C'était le plus mauvais accord salarial jamais vu depuis des années, s'indigne Michel Felce, secrétaire général du SNA. La direction a imposé une logique de chantage à la signature. Soit on signait et on cautionnait une régression, soit on ne signait pas et on n'obtenait rien, soit on s'opposait ».

Obligation de se positionner clairement

Alors qu'ils ne pouvaient que s'élever contre un accord minoritaire, les syndicats majoritaires peuvent désormais s'y opposer. Sans y être contraints... « Les fédérations syndicales sont obligées de se positionner clairement sur l'objet même de la négociation, ce qui est très bien. Mais, en même temps, la loi Fillon les conduit à se positionner en fonction de l'attitude des autres fédérations, ce qui n'est pas normal », note pourtant un responsable patronal des IEG. « C'est un jeu perdant à tous les coups, et dévastateur sur le plan social », renchérit un directeur des relations sociales.

Droit d'opposition conservatoire

Les 150 000 salariés et autant d'inactifs des IEG en ont fait les frais. Suite au droit d'opposition exercé par FO, la CFDT et la CGT, contre un accord portant notamment sur le régime complémentaire d'assurance maladie, le gouvernement a décidé de passer en force en publiant deux décrets. Résultat : une forte hausse des cotisations pour les salariés (+33,5%) et les retraités (+157%). « Nous avions mesuré les conséquences du droit d'opposition, commente Hervé Béquet, responsable de la branche IEG à la FNME-CGT. Nous avions pris la précaution de déposer un droit d'opposition conservatoire pour nous donner le temps de consulter, à bulletins secrets, nos syndiqués et le personnel. » 90 % ont dit «oui» au droit d'opposition. « Nous avons pris nos responsabilités, poursuit le syndicaliste. On ne peut pas en dire autant des employeurs qui refusent de rouvrir les négociations ». La branche patronale tempère : elle n'est « pas prête à ouvrir une nouvelle négociation pour un sujet difficile sur lequel il a été impossible de parvenir à un accord après plusieurs semaines de négociations, indique l'un des responsables. Mais on ne peut pas non plus dire que le sujet est définitivement clos et qu'il ne sera plus négocié ».

Interprétation judiciaire de la loi Fillon

L'exercice d'un droit d'opposition peut aussi conduire devant le tribunal. L'AFB demande ainsi une clarification de la loi au TGI de Paris. Elle conteste la légitimité de la CGT et de la CFTC à exercer un droit d'opposition, en septembre 2004, à propos de la rediscussion de la convention collective en Guyane et en Martinique. « Ces deux organisations ne sont pas représentatives dans le champ de l'accord, qui porte sur la banque en Martinique et en Guyane, où ni l'une ni l'autre ne sont présentes », explique Olivier Robert de Massy, directeur général adjoint de l'AFB.

Liens de représentation

La CGT, qui dit avoir des liens de représentation avec l'Union des travailleurs guyanais et le SMBEF martiniquais, rappelle avoir été invitée par l'AFB à la table des négociations. « Le Code du travail oblige à convoquer les syndicats représentatifs, répond Olivier Robert de Massy. Mais il n'y a pas de symétrie entre la notion de représentativité pour conclure un accord et la représentativité pour le détruire. Il suffit de lire la loi Fillon. » En attendant la décision du TGI, le 10 mai, les salariés guyanais et martiniquais passent sous le régime de la convention collective de l'Hexagone, moins avantageuse.

Rapport de force pour l'avenir

En dépit de ses effets pervers, les syndicats ne regrettent pas d'avoir recouru au droit d'opposition. A la Banque de France, il a permis de poser un rapport de forces pour l'avenir. « Ne pas poser le droit d'opposition, c'était accepter de nouvelles règles de négociation que la direction pourrait être tentée d'appliquer aux discussions à venir sur les accords sociaux », explique Michel Felce. Ni le SNA ni la CGT n'ont d'ailleurs été sanctionnés par les salariés lors des élections professionnelles de janvier. De même, dans les banques, le SNB a conservé son électorat et sa première place. « Nous sommes même devenus premiers au Crédit Lyonnais et nous connaissons à BNP-Paribas un regain d'adhésion jamais vu », assure Gérard Labrune, président du SNB-CGC.

Consultation de la base

Chez Nestlé Waters, la CGT continue à brandir la menace du droit d'opposition si la procédure de filialisation du groupe, provisoirement suspendue par la justice, conduit à revoir à la baisse les garanties dont les salariés bénéficiaient. Jean-Paul Franc reconnaît cependant qu'il procéderait avec davantage de prudence : « Au préalable, nous consulterions les salariés afin qu'ils décident de leur avenir. ». « Le droit d'opposition est une arme de dissuasion, conclut Gérard Labrune. Mieux vaut la garder pour les grandes occasions et ne pas la brandir à tout bout de champ. »

afb

> Effectifs : 240 000 salariés.

> Entreprises adhérentes : 284.

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  • Marie-Pierre Vega