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La reforme Fillon patine

Enquête | publié le : 03.05.2005 | Sandrine Franchet

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La reforme Fillon patine

Crédit photo Sandrine Franchet

Un an après la promulgation de la loi Fillon portant réforme du dialogue social, l'application des nouvelles règles de négociation collective n'a pas encore bouleversé les pratiques des partenaires sociaux. Même si l'exercice du droit d'opposition se répand.

«Il est probable que cette loi va faire l'objet d'une digestion beaucoup plus lente que prévu », prédisait, voici un an, Jean-Denis Combrexelle, directeur des Relations du travail, en évoquant la loi Fillon du 4 mai 2004 (voir Entreprise & Carrières n° 715, du 4 au 10 mai 2004). Un diagnostic qu'il confirme aujourd'hui : « Au niveau des branches, il n'y a pas véritablement de conséquences de la loi Fillon. Au niveau des entreprises, les nouvelles règles de négociation collectives ne semblent pas avoir bouleversé les choses. Nous sommes encore dans une période intermédiaire, il faudra attendre au moins trois ou quatre ans pour que cela finisse par évoluer ».

De fait, depuis un an, une seule branche a décidé d'opter pour l'accord majoritaire d'adhésion (voir p. 14), tandis qu'une poignée d'autres s'est saisie des nouvelles possibilités de négociation dans les entreprises dépourvues de délégués syndicaux. Les seules nouveautés, à ce niveau de négociation, résident dans le droit d'opposition que peuvent exercer trois syndicats sur cinq, et dans la nécessité de préciser le caractère impératif d'un nouvel accord pour qu'il s'impose aux entreprises du secteur. Ce qui ne favorise pas forcément le dialogue social.

Une menace encore virtuelle

« Depuis un an, on observe, au contraire, beaucoup plus de réticences à la négociation, liées à la complexité des règles de validité des accords et du maniement du droit d'opposition, souligne Maryse Dumas, secrétaire nationale de la CGT. Par ailleurs, on voit bien la difficulté que fait peser l'obligation de préciser le caractère impératif de l'accord de branche sur la négociation des minima salariaux... ».

De leur côté, également, les entreprises sont confrontées à l'exercice (ou à la menace) du droit d'opposition. « Avec la loi Fillon, le droit d'opposition est largement ouvert, tant en matière de champ d'application (il ne se limite plus aux accords dérogatoires) qu'en matière de modalités de mise en oeuvre (il s'exprime en majorité des votants et non des inscrits) : attention au risque de blocage ! », avertit Stéphanie Stein, responsable du département droit social du cabinet Eversheds. Pour autant, la menace semble encore largement virtuelle.

La donne n'a pas changé

« Chez nous, les nouvelles règles de négociation n'ont pas changé la donne, explique Dominique Laurent, DRH de ElcoBrandt. Les mêmes syndicats que ceux d'hier ont continué à signer, les autres (essentiellement la CGT) ont continué à ne pas spécialement signer, mais au-delà, l'approche et les stratégies de négociation n'ont pas été modifiées ». « La plupart des grands groupes ne faisaient, de toutes façons, plus le pari de signer des accords minoritaires », assure Gérard Taponat, directeur des relations sociales de Kraft Foods France. Rien n'oblige, en outre, un DRH à aller jusqu'à mettre les potentiels non-signataires en situation d'exercer l'opposition.

Sortir du blocage

« En général, les directions se sortent du blocage en élargissant la négociation ou en abandonnant un sujet pour avancer sur un autre », note Sophie Brézin, responsable du département droit social du cabinet Herbert Smith.

La principale évolution concerne, en fait, les élections professionnelles : « La loi leur confère une acuité encore plus forte, témoigne Yves Desjacques, directeur général délégué en charge des RH pour le groupe Vedior France. Le premier tour est désormais déterminant, la préoccupation des syndicats n'étant plus seulement la répartition des sièges, mais aussi leur représentativité. J'observe cela très bien dans les communications de nos organisations syndicales, actuellement en campagne : elles n'hésitent pas à évoquer dans leurs tracts les enjeux de la loi Fillon ». La mesure de cette représentativité peut, par ailleurs, s'avérer parfois complexe, lorsque les résultats du premier tour n'ont pas été dépouillés (lorsqu'il n'y avait pas le quorum), lorsque des syndicats font liste commune, ou encore lorsqu'un délégué syndical change d'étiquette en cours de mandat... Or, des accords signés dans de telles conditions risquent fort de se retrouver devant le juge.

Atomisation des relations sociales

En effet, comme le regrette Jean-Luc Cazettes, président de la CFE-CGC, « le droit d'opposition n'a pas clarifié les relations syndicales : les alliances sont différentes selon les entreprises, et cela contribue à atomiser un peu plus les relations sociales ». Chez Dassault Systèmes (1 600 salariés, dont 90 % de cadres), en octobre dernier, la CGT et la CFDT (respectivement 37 % et 21 % des voix) se sont alliées pour s'opposer à la mise en place d'un Perco, signé par la CGC. « Au niveau intersyndical, les alliances se font désormais au coup par coup, relève Jean-François Foucard, délégué CFE-CGC. Alors que nous avions un partenariat tacite avec la CFDT, elle s'est rapprochée de la CGT ». Depuis trois mois, une section FO a, par ailleurs, été créée par un ex-délégué CGT. « L'objectif est de réduire l'audience de la CGT et de la CFDT aux prochaines élections », analyse Bernard Malzieu, élu CGT.

Opposition intersyndicale

A l'Institut français du pétrole (1 200 salariés), ce sont au contraire la CFDT et la CFE-CGC qui ont fait jouer leur droit d'opposition contre un accord salarial signé par une partie de la CGT (représentant les Oetam), qui «oubliait» les cadres. « Cette décision a déclenché une forte opposition entre les syndicats, d'autant plus que cela montait deux catégories de salariés l'une contre l'autre », souligne Laurent Carrié, délégué syndical CGC. Dans un tel contexte, un DRH qui négocie ne peut plus faire abstraction des possibles stratégies politiques de ses interlocuteurs. Un véritable « effet pervers de la loi Fillon » pour Yves Desjacques, de Vedior France, qui ne voit pas bien où se trouve l'équilibre du texte : « L'accord majoritaire est censé compenser une liberté de négociation conférée aux entreprises dans des domaines très larges. Mais quelle entreprise pourra véritablement s'écarter des dispositions de branche ? Je postule que cela restera largement théorique, une vue de l'esprit ! »

L'essentiel

1 Depuis un an, la loi Fillon de réforme sur le dialogue social a peu fait évoluer les pratiques des partenaires sociaux, tant au niveau des branches que des entreprises.

2 Seule une branche a adopté le principe de la majorité d'adhésion, pour les accords de branche et les accords d'entreprise.

3 Le droit d'opposition, en revanche, commence à être assez largement utilisé par les syndicats, ce qui peut compliquer les relations intersyndicales.

Auteur

  • Sandrine Franchet