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« La médiation tient une place essentielle dans la formation »

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 03.05.2005 | Violette Queuniet

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« La médiation tient une place essentielle dans la formation »

Crédit photo Violette Queuniet

Dans une société où la formation tout au long de la vie devient importante, apprendre à apprendre représente un objectif essentiel. Le rôle du formateur sera davantage celui d'un médiateur que d'un transmetteur.

E & C : Quel regard portez-vous, en tant que spécialiste de l'apprentissage, sur les méthodes utilisées en formation des adultes ?

Britt-Mari Barth : Une méthode n'a pas de valeur en soi. Sa valeur dépend des principes qui la fondent et de la cohérence de son utilisation par rapport à l'objectif de l'apprentissage. La façon dont on apprend devient aussi importante que ce que l'on apprend, et apprendre à apprendre représente un objectif essentiel. Mais il faut avoir une idée claire de ce que l'on met derrière le mot «apprendre» et la façon dont l'apprentissage peut se manifester. C'est la condition pour évaluer la méthode.

E & C : Précisément, quelles questions doivent se poser les personnes en charge de l'ingénierie de formation ?

B.-M. B : Il convient de bien réfléchir à l'objet de la formation. Qu'est-ce qui est vraiment recherché ? Pour faire quoi ? Il faut toujours veiller à l'adéquation entre les finalités recherchées et les méthodes utilisées, par rapport à un public donné. L'accent doit être davantage mis sur la prise de conscience des formés, du sens de ce qu'ils ont appris et de la façon dont ils peuvent l'utiliser ultérieurement. Etre conscient, c'est pouvoir accéder à sa propre pensée et agir sur elle. Cela exige, bien entendu, avant la formation, de rendre transparents le but de l'apprentissage et les façons dont les formés peuvent faire la démonstration des compétences acquises. Cinq conditions favorisent ce processus. D'abord, pour rendre le savoir accessible : définir le savoir à enseigner en fonction du transfert visé ; exprimer le savoir dans des formes concrètes. Ensuite, pendant la situation d'apprentissage : engager l'apprenant dans un processus d'élaboration de sens ; guider le processus de «coconstruction» de sens ; préparer au transfert des connaissances et à la capacité d'abstraction par la métacognition (prise de conscience). Cette grille peut être utilisée pour analyser une formation existante ou pour en construire une nouvelle. Elle concrétise une approche pédagogique que j'appelle un modèle de «médiation sociocognitive de l'apprentissage».

E & C : Les entreprises qui envoient leurs salariés en stage se posent toujours la question de l'efficacité de la formation. Comment s'en assurer ? L'entreprise a-t-elle un rôle à jouer en mettant rapidement le salarié en position d'appliquer ce qu'il a appris ?

B.-M. B : La question de l'efficacité s'exprime d'abord en termes de transfert souhaité (ce que le formé doit pouvoir faire plus tard avec ses nouvelles connaissances ou compétences) et de choix de situations où il peut mettre en oeuvre ses nouvelles compétences pour s'assurer qu'elles sont bien acquises. Quand il faut apprendre un «geste» précis, il est sans doute important de pouvoir l'appliquer et de se rendre compte de ce qu'on peut désormais faire avec plus d'efficacité. D'autres apprentissages, plus complexes, sont plus difficiles à appliquer rapidement, il faut trouver des moyens différents pour constater le progrès. Mais quand l'adulte a conscience de voir une situation autrement, de pouvoir résoudre un problème avec des nouvelles «lunettes conceptuelles», il sait qu'il a avancé dans sa manière d'agir.

Dans notre société, la compétence la plus importante est sans doute celle de pouvoir former soi-même un bon jugement pour guider son action, dans un contexte donné. Là, nous entrons dans le domaine d'«outils intellectuels», et apprendre devient alors apprendre à utiliser ces outils. Cet apprentissage se passe cependant toujours dans un domaine de connaissances ; on ne peut pas porter un jugement critique sans connaissances. L'idéal serait de pouvoir se former à ces compétences de jugement, progressivement, domaine par domaine, en étant guidé par quelqu'un de plus expérimenté, qui sait concrétiser la manière dont cette capacité s'exprime. D'une façon générale, on pourrait dire que la raison essentielle du «pourquoi ça marche» tient au fait qu'on arrive, par l'implication affective, cognitive et sociale des personnes, à les faire adhérer à la tâche et à les faire participer à la réflexion nécessaire pour construire un savoir. L'engagement dans une tâche d'apprentissage dépend en grande partie de l'idée que les apprenants se font des enjeux personnels impliqués. C'est là que la médiation devient très importante, parce que le formateur-médiateur fait adhérer au projet dans un premier temps, et suscite et instrumente la pensée dans un second temps.

E & C : Les entreprises auront donc davantage besoin de formateurs-médiateurs ? Est-ce que le coach s'en rapproche ?

B.-M. B : C'est la médiation qui va déterminer la qualité de l'apprentissage et celle du développement de la personne qui s'ensuit. Le formateur-médiateur est donc au coeur même d'une conception renouvelée de l'apprentissage et du savoir. Le coach se rapproche, en effet, du médiateur par le fait qu'il prend en compte les enjeux personnels, sans quoi les personnes ne s'engagent pas. Mais il ne faudrait pas que ce soit au détriment des connaissances spécifiques nécessaires pour agir. Pourquoi ne pas former les seniors à être formateurs-médiateurs dans l'entreprise ?

L'éducation, entrée dans la culture, Jérôme Bruner, Retz, 1996.

Pensée et langage, Lev Vygotski, La dispute, 1997.

Les formes de l'intelligence, Howard Gardner, Odile Jacob, 1997.

parcours

Après des études en communication à l'université de Columbia, à New York, Britt-Mari Barth a travaillé à la télévision aux Etats-Unis et en Suède. Elle a commencé ses travaux en pédagogie, en France, dans les années 1970 et a soutenu une thèse en philosophie sur le sujet de l'apprentissage des concepts à la Sorbonne en 1985.

Elle est, aujourd'hui, professeure honoraire en sciences de l'éducation à l'Institut catholique de Paris et professeure invitée à l'université catholique d'Angers.

L'apprentissage de l'abstraction et Le savoir en construction (éd. Retz) sont considérés comme des ouvrages de référence dans le domaine de la pédagogie et sont régulièrement réédités.

Auteur

  • Violette Queuniet