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Il faut remettre de la démocratie dans l'entreprise

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 08.03.2005 | Violette Queuniet

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Il faut remettre de la démocratie dans l'entreprise

Crédit photo Violette Queuniet

Les ressources humaines deviennent «inhumaines» à cause du fonctionnement autocratique de leurs dirigeants, motivés par la guerre économique. Pourtant, les entreprises pourraient être plus performantes en encourageant l'expression des salariés.

E & C : Les grandes entreprises se développent dans des pays démocratiques, et pourtant, à vous lire, c'est plutôt un fonctionnement totalitaire qui les caractérise. Pourquoi ?

Jean-Luc Foucher : Les groupes constitués à la suite de fusions-acquisitions arrivent à avoir des tailles aujourd'hui tout à fait comparables à celles d'Etats. Il faut savoir que les 800 entreprises les plus importantes du monde se partagent la même richesse, chaque année, que le milliard d'habitants des pays les plus pauvres. On s'habituera certainement un jour, par le jeu des fusions, à des groupes de 500 000 personnes ! De telles échelles poseront des problèmes considérables de fonctionnement interne, en particulier lorsque le management autocrate est la règle. Cela peut être le cas dans des grandes unités quand la notion humaine s'estompe. Justifiée par la guerre économique, cette forme de management est beaucoup plus courante qu'on ne le croit : je l'ai constaté en menant l'enquête dans plusieurs types de milieux professionnels et en étudiant les conséquences individuelles. D'ailleurs, je pense que le management autocrate s'est développé à l'abri du concept de harcèlement moral. Celui-ci est extrême et, d'ailleurs, assez rarement reconnu par les tribunaux. Le management autocrate, c'est le harcèlement moral banal. Il n'est pas nécessairement porté par une personne, il peut l'être par tout le système. C'est, alors : « Circulez, il n'y a rien à voir, et exécutez », au sens propre comme au sens figuré !

E & C : Quels sont les risques d'un tel management ?

J.-L. F. : Des risques sur la performance de l'entreprise, d'abord. Il faut se rappeler les études d'économistes comme Elton Mayo sur la productivité : l'écoute des salariés et des équipes est un facteur clé pour arriver à la réussite économique. Ce qui fait l'efficacité d'un certain nombre d'entreprises qui font «autrement», c'est que les opérateurs comprennent, sont écoutés, sont des acteurs directs et s'approprient les résultats effectués. C'est la redécouverte d'une évidence, la motivation, qu'on a un peu oublié depuis les années 1980. Une autre notion est à remettre au goût du jour, débarrassée de ses connotations partisanes des années 1970 : la démocratie d'entreprise. Dans les organisations de très grande taille, en particulier, la prise de distance du salarié vis-à-vis du management est devenue problématique. En 2002, l'indice de non-confiance visà-vis des chefs d'entreprise a franchi la barre des 50 % alors qu'il était de 25 % en 1985. On n'ira pas jusqu'à 90 % : il faudra redresser la barre avant. Et je pense qu'il y a des moyens de faire autrement, que des chefs d'entreprise font déjà autrement, qu'ils soient à la tête de petites, moyennes ou grandes entreprises, et qu'ils offrent en cela une première vision de l'entreprise du XXIe siècle.

E & C : Cette entreprise du XXIe siècle, comment la voyez-vous ?

J.-L. F. : C'est une entreprise qui permet une large expression des salariés - ce qui est une forme de démocratie d'entreprise. Cela peut se faire soit structurellement, dans l'organisation même de l'entreprise, soit à travers toutes les techniques permettant de mesurer le climat social. Par ailleurs, l'entreprise ne pourra plus vivre en circuit fermé. Sa responsabilité sociale n'est pas qu'un produit de communication : c'est un mouvement mondial, qu'on tarde à bien percevoir en France, et c'est un mouvement d'avenir. L'entreprise a un rôle vis-à-vis de son environnement et de ses parties prenantes : ses fournisseurs, ses clients, les villes, les agglomérations, voire les pays dans lesquels elle est installée et, bien entendu, les salariés qui sont partie prenante de son devenir.

E & C : Quel rôle le DRH pourra-t-il jouer ?

J.-L. F. : S'il y a un expert de l'écoute des salariés, c'est bien le DRH. Mais il doit avoir une position importante - membre du comité exécutif, du comité de direction - pour avoir une influence. Cela est indicatif de l'importance accordée au facteur humain. Certaines entreprises se dotent même de DRH à double compétence opérationnelle et fonctionnelle. J'ai ainsi rencontré un DRH qui est à la fois directeur général adjoint et responsable de l'organisation. Il est ainsi partie prenante de la vie de l'entreprise, peut agir sur son fonctionnement même et sur les tâches attribuées aux salariés. Mais, c'est aussi dans l'accompagnement des moments difficiles de l'entreprise que son rôle sera déterminant. Le DRH a pour mission de faire des plans sociaux : c'est parfois nécessaire, car une entreprise vit, elle peut même mourir et repartir. Mais une fois que la décision de licencier est prise, comment fait-on ? Car la décision est d'abord théorique et, ensuite, devient humaine. Tout est dans ce «comment», et tout l'art du DRH est de savoir le faire. Un licenciement sans accompagnement marque les gens à jamais.

L'autre mondialisation, Dominique Wolton, Flammarion, 2003.

Corporate renaissance, Rolf Österberg, Paraview, 2003 (New York).

Livre vert : promouvoir un cadre européen pour la responsabilité sociale des entreprises, Communauté européenne, Direction générale de l'emploi et des affaires sociales, 2001.

parcours

Diplômé d'HEC, Jean-Luc Foucher a travaillé au sein de grands groupes internationaux : Unilever, LVMH, L'Oréal, Disney, Hachette, dans des fonctions marketing, commerciales, stratégiques et de management international, en comités de direction.

Il est, aujourd'hui, conseiller de dirigeants qu'il accompagne sur les problématiques de responsabilité sociale. Il a écrit Ressources inhumaines, qui paraît le 17 mars 2005, chez Bourin Editeur.

Auteur

  • Violette Queuniet