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« La parité hommes-femmes de demain se forge aujourd'hui »

SANS | publié le : 07.09.2004 |

De génération en génération, les inégalités entre femmes et hommes se sont réduites. A tel point que, si la tendance se poursuit, la parité socioprofessionnelle se produirait en 2020. Mais la dynamique générationnelle n'est pas linéaire et le monde du travail ne connaîtra pas l'égalité sans changement dans la sélection et la promotion des élites.

E & C : On constate que le remplacement des générations produit une réduction des inégalités hommes-femmes en matière éducative, sociale et salariale. Cette tendance est-elle irréversible ?

Louis Chauvel : L'égalisation fonctionne bien pour ce qui concerne l'éducation. Alors que la génération née en 1927 ne comptait que 9,7 % de bachelières (contre 15,4 % de diplômés hommes), celle née en 1977 comptait 70,1 % de bachelières, contre 60,8 % de bacheliers. Les filles ont également dépassé les hommes pour les diplômes supérieurs : 26 % de celles qui sont nées en 1977 - donc les jeunes femmes qui entrent dans le monde du travail aujourd'hui - sont titulaires d'une licence, contre 23,2 % pour les garçons.

Mais il faut bien comprendre que les anciennes générations, socialisées dans un contexte d'inégalités majeures, laissent la place à de plus récentes, marquées par plus d'égalité. Or, on constate que, dans les filières de sélection des élites, l'inégalité est encore très présente. Cela signifie que si l'on se contente d'un scénario "au fil de l'eau", les écarts entre hommes et femmes ne pourront pas se résorber par le seul remplacement des générations. Si, au sein des générations nées vers 1945, il n'y avait qu'un peu moins de 20 % de femmes énarques, si, aujourd'hui, elles sont 33 %, cela veut dire que les générations de femmes nées autour de 1975 ont bénéficié d'un système d'enseignement plus égalitaire que celles de la génération précédente. Comme il faut vingt-cinq à trente ans pour passer de l'ENA aux plus hauts postes de la fonction publique et des grandes entreprises, il faudra encore attendre des décennies pour que les changements qui ont eu lieu à l'ENA ces dernières années aient un impact.

Ce que l'on fait aujourd'hui au niveau des jeunes générations met en jeu les élites politiques, économiques, culturelles et autres des années 2020-2030. En l'absence de volontarisme, on risque de prolonger les inégalités entre hommes et femmes, ce qui représente un gâchis humain.

E & C : Comment accélérer ce processus vers l'égalité ?

L. C. : Dans l'état actuel du fonctionnement de la société française, on prépositionne les carrières d'individus qui seront les élites dirigeantes dans une vingtaine d'années, dès l'âge de 25-30 ans. Favoriser la promotion interne, assurer une véritable formation continue diplômante est plus favorable aux femmes. A l'ENA, le taux de femmes est de 5 % à 7 % plus élevé parmi les admis au concours interne que parmi ceux du concours externe.

Un autre levier de changement serait la réorganisation des études d'ingénieur. La France présente un système où la masculinité est vraiment organisée : il faut passer obligatoirement par les deux ou trois années de prépa en maths, qui sont, du point de vue du genre, un goulot d'étranglement. Aux Etats-Unis, où les études d'ingénieurs s'ouvrent à un plus grand nombre de disciplines (physique, sciences de la terre, etc.), les femmes sont plus nombreuses. Les "computer sciences", par exemple, accueillent beaucoup plus de femmes que les écoles d'informatique françaises, qui nécessitent d'avoir fait math sup. et maths spé.

E & C : Les écarts socioprofessionnels et salariaux entre hommes et femmes résultent-ils de cette faible représentation des femmes dans les formations d'élite ?

L. C. : Pas uniquement, car il y a une dévalorisation spécifique des diplômes des femmes. Dès le début de carrière, il existe un différentiel de salaire entre les hommes et les femmes, qui s'amplifie vers 30 ans et au-delà. Les employeurs ont tendance à anticiper le fait que les femmes ont besoin de plus de temps pour leurs enfants entre 25 et 40 ans. Bref, ils préfèrent les hommes. Ensuite, passé 45 ans, les femmes tendent à rattraper légèrement ce retard, même si on est loin du retour à l'égalité.

Après une période (1970-1989) où l'écart de salaire s'est fortement réduit, on assiste, ces douze dernières années (1990 à 2002), à un ralentissement de ce comblement. A ce rythme, la convergence des salaires se ferait à la fin du XXIe siècle au mieux.

E & C : Pourquoi l'écart de salaire se resserre-t-il moins aujourd'hui qu'il y a trente ans ?

L. C. : Les années 1960-1970 sont marquées par l'émergence de classes moyennes salariées dans des secteurs très régulés socialement : les gens étaient recrutés selon leurs diplômes et leurs salaires croissaient à l'ancienneté, avec le principe de "à poste égal, salaire égal", de nature à réduire les écarts hommes/femmes. Aujourd'hui, se développent des postes de type ingénieur technico-commercial, dans des entreprises de taille plus réduite, qui réclament une forte implication, avec système de primes à l'appui et de mobilité rétribuée. Cette moindre régulation par le statut accroît les inégalités, surtout pour les femmes qui ne peuvent pas assumer des horaires à rallonge.

SES LECTURES

Hommes, femmes, quelle égalité ? Ecole, travail, couple, espace public, Alain Bihr et Roland Pfefferkorn, éditions de l'Atelier, 2002.

- Travail et emploi des femmes, Margaret Maruani, éditions La Découverte, 2003.

- Le retour des classes sociales : inégalités, dominations, conflits, éditions La Dispute, 2004.

PARCOURS

Statisticien-économiste et sociologue, Louis Chauvel est chercheur associé à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), maître de conférences des universités à l'Institut d'études politiques de Paris et membre de l'Institut universitaire de France. Ses recherches portent sur les notions de classe, de génération et sur les inégalités.

Il est l'auteur du Destin des générations, structure sociale et cohortes en France au XXe siècle, PUF, 2002.