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L'audiovisuel dans la mire de l'inspection du travail

SANS | publié le : 12.07.2004 |

Le gouvernement entend renforcer sa lutte contre le travail illégal dans les chaînes de télévision et les sociétés de production audiovisuelle. Dans sa ligne de mire : le recours abusif aux intermittents du spectacle, qui représentent plus de la moitié des effectifs de ces sociétés.

Des intermittents employés en continu sur des postes qui pourraient être pourvus en CDI. De fausses déclarations pour faire payer les salaires par les Assedic. Des heures non déclarées, le non-paiement des cotisations ou la fausse délocalisation. Ces formes de travail illégal sont courantes dans le secteur de l'audiovisuel. Le ministre de l'Emploi, Jean-Louis Borloo, et son ministre délégué aux relations du travail, Gérard Larcher, ont décidé d'engager la bataille contre ce phénomène. Leur arme : un plan national de lutte (1). Leurs munitions : trois séries de mesures. D'abord les troupes : les deux ministres promettent un "renforcement significatif" des moyens de l'inspection du travail consacrés à cette mission, et un plan de formation "adaptant les méthodes d'investigation à la complexité croissante des fraudes". Les inspecteurs du travail pourront compter sur leurs alliés naturels : la direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes, l'ANPE et l'Unedic, grâce à une "extension de la coopération". Enfin, le gouvernement promet qu'il ne fera pas de quartier : les aides publiques à l'emploi seront supprimées pour les entreprises en infraction.

En fait, ce plan est, en grande partie, une redite de mesures déjà promises, il y a plus d'un an, par les ministres d'alors, François Fillon, aux Affaires sociales, et Jean-Jacques Aillagon, à la Culture. La grogne montait contre la réforme du régime d'assurance chômage des intermittents (lire encadré page 23). Ceux-ci n'entendaient pas supporter seuls la responsabilité du déficit d'un système dont les employeurs profitent largement. Pour preuve : TF1, France 2, France 3, Canal + et M6 ont déjà été condamnés au moins une fois pour infraction à la législation sur les CDD. Les sociétés de Mireille Dumas, Jean-Luc Delarue, Christophe Dechavanne ou Nagui également.

Des contrôles plus nombreux

Selon le bilan dressé par les deux ministres, les inspecteurs du travail, l'Urssaf et l'administration fiscale auraient intensifié les contrôles sur ces douze derniers mois. Piloté par la Dilti (Délégation interministérielle à la lutte contre le travail illégal), un plan de travail, courant jusqu'à fin 2004, a déjà permis de passer au crible 140 chaînes de télévision, sociétés de production et prestataires techniques ; 35 procès-verbaux ont été dressés, 35 autres seraient en cours de rédaction. Une goutte d'eau dans l'océan des infractions ? « Il faut aussi tenir compte des enquêtes en cours, ainsi que des régularisations survenues suite à l'intervention de l'inspecteur et des redressements fiscaux et sociaux qui n'ont pas donné lieu à l'établissement d'un PV », indique Eric Priesley, secrétaire général de la Dilti. Il poursuit : « Les agents sont confrontés à une extrême atomisation juridique du secteur. Les entreprises qu'ils contrôlent sont de véritables nébuleuses constituées de dizaines de sociétés, parfois plus de 100, dispersées entre plusieurs sections d'inspection du travail, entre lesquelles navigue le personnel. Les agents de contrôle ont, donc, le plus grand mal à rassembler les registres et à reconstituer l'entreprise au sens du Code du travail. » L'insaisissabilité des employeurs est renforcée par la fausse délocalisation dans un pays étranger, qui permet à l'entreprise d'échapper à ses obligations fiscales et sociales.

Moyens d'investigation modestes

Les inspecteurs du travail, le fisc et l'Urssaf déplorent la modestie de leurs moyens d'investigation. Le guide d'intervention mis au point par la Dilti semble dérisoire. « Il compile toutes les connaissances juridiques de base et des exemples de bonnes pratiques en matière de contrôle, explique Eric Priesley. Une première version a été diffusée par courrier électronique. Une deuxième, plus complète, sortira bientôt sous un format papier. »

La Dilti met aussi beaucoup d'espoir dans la formation des agents. Mais ceux-ci devront s'armer de patience. A la demande de François Fillon, en août 2003, le premier stage spécifique destiné aux inspecteurs du travail aura lieu... en octobre 2004. Elaboré par l'Intefp (Institut national du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle), il durera quatre jours et accueillera un maximum de 15 stagiaires. « Un stage similaire pourrait être organisé à Bordeaux, Lille, Lyon et Marseille, à la demande des directions régionales du travail, indique Jean Bessière, directeur de l'Intefp. Il est difficile de dire si cela sera suffisant. Il faudra peut-être mettre le produit à la hauteur des nouvelles ambitions affichées par le gouvernement. » « L'Urssaf met aussi en place un stage similaire », précise la Dilti.

Des syndicats tenus à l'écart

En face, les syndicats se plaignent d'être tenus à l'écart et affichent leur scepticisme. « Le ministère du Travail et la Dilti commencent à prendre la mesure de la dérégulation dans ce secteur, reconnaît Laurent Blois, délégué général du Syndicat national des techniciens et réalisateurs CGT. Mais nous doutons de leur volonté à contrôler et à faire respecter le Code du travail et le droit syndical, systématiquement bafoués dans les sociétés de production. Nous avons proposé notre aide à la Dilti. Nous n'avons toujours pas été sollicités. » « Cela fait un an que nous nous mettons à la disposition de la Dilti pour lui expliquer toutes les ficelles auxquelles les sociétés recourent, explique Jacques Ricau, responsable de la fédération audiovisuelle CFDT. Au mieux, avons-nous participé à une rencontre d'une journée avec des agents de contrôle d'Ile-de-France. La Dilti affirme avoir contrôlé 140 entreprises en un an, nous aimerions bien savoir lesquelles ! »

« La Dilti a diligenté un certain nombre de contrô- les, constaté de nombreu- ses fraudes et distribué des amendes, tempère Charly Kmiotek, secrétaire général du Syndicat national de la radio et de la télévision CGT. Mais nous sommes rarement tenus informés et la plupart des PV transmis à la justice n'ont pas de suite. » La Dilti confirme que les 35 PV dressés depuis octobre n'ont pas encore de suite au civil ou au pénal : « La procédure aboutira, au mieux, à la fin de l'année, plus vraisemblablement, dans les premiers mois de 2005. »

Des employeurs désormais sanctionnés

Point positif dans ce sombre tableau : désormais, la justice sanctionne les employeurs indélicats. « En dix ans, la Cour de cassation a rendu plus de 30 arrêts qui requalifient des CDD en CDI, note Oury Attia, du cabinet d'avocats Joyce Ktorza, qui a défendu de nombreux intermittents et précaires du secteur. La requalification s'accompagne d'indemnités, de rappels des droits à percevoir au titre de la convention collective applicable aux salariés permanents et de dommages et intérêts pour licenciement abusif. » Au total, les indemnités représentent des dizaines de mois de salaire et peuvent aller jusqu'à 150 000 ou 300 000 euros.

Les tribunaux commencent, aussi, à reconnaître de plus en plus "le préjudice d'une vie de précaire" en matière de retraite, prime d'ancienneté, 13e mois, participation, indemnités de maternité et de maladie, accès au comité d'entreprise. Autant de droits que les précaires n'ont pas.

(1) Présenté le 18 juin dernier devant la Commission nationale de lutte contre le travail illégal, le plan concerne aussi le spectacle vivant, l'agriculture, le BTP et les hôtels-cafés-restaurants. Lire Entreprise & Carrières n° 722.

L'essentiel

1 L'audiovisuel abuse du recours aux CDD de droit commun et aux intermittents. Selon les syndicats, les effectifs seraient composés de 50 % d'intermittents. Dans le public, l'intermittence représente 21% du total de l'offre de travail, selon un rapport de Bernard Gourinchas, directeur de l'Aespa (Association des employeurs du service public de l'audiovisuel).

2 Le ministre de l'Emploi annonce un renforcement des moyens de l'inspection du travail et un plan de formation adapté.

3 Les syndicats se plaignent d'être tenus à l'écart et affichent leur scepticisme.

Le régime des intermittents

Le secteur audiovisuel est autorisé à conclure des CDD d'usage avec les intermittents. Ils sont plus avantageux que le CDD de droit commun. Renouvelables indéfiniment sans avoir à respecter un délai de carence entre deux missions, ils ne donnent droit à aucune prime liée à la rupture du contrat. Entre deux contrats, les intermittents bénéficient d'un régime d'assurance chômage spécifique. Il a été réformé en juin 2003, les nouvelles dispositions sont entrées en vigueur au 1er janvier 2004.

Pour en bénéficier, l'intermittent doit avoir travaillé 507 heures sur une période de référence de onze mois en 2004 (contre douze mois auparavant), puis, à partir de 2005, dix mois pour les techniciens et ouvriers du spectacle, et 10,5 mois pour les artistes.

Les congés maladie et maternité continuent à être valorisés à hauteur de 5,5 heures de travail par jour, mais à condition d'être en cours de contrat de travail. Pour les autres, ils sont neutralisés dans la recherche des 507 heures de travail au moment de la réinscription.

Exemple : un congé maladie de trois mois reviendra à rechercher les 507 heures de travail, non pas sur onze mais sur quatorze mois. Le congé maternité hors contrat de travail peut également être valorisé à hauteur de 5 heures par jour si l'intermittente n'atteint pas 507 heures de travail sur la période de référence légale. A l'inverse, les heures de formation ne sont plus prises en compte.

Les taux de cotisation employeur-salarié du spectacle ont été légèrement augmentés en juin 2002, comme ceux du régime général, puis doublés. Ils atteignent, aujourd'hui, 10,80 % (7 % employeurs ; 3,80 % salariés).

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