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Pause cigarette et mondialisation

SANS | publié le : 09.03.2004 |

Il s'énerve tout seul. « Nous passons des heures à peaufiner nos process de travail et l'essentiel de ce que nous gagnons en productivité se reperd dans des palabres infinis autour du distributeur de café. Enervant, vraiment énervant ! »

Aïe, cette fois, c'est du sérieux ! Mon interlocuteur subit des pressions considérables pour augmenter en permanence les scores du site industriel dont il a la charge. Les clients ne plaisantent plus. Le siège du groupe, encore moins. Le patron du site, pas du tout ! Encore 7 % à gagner cette année, sinon, il le voit bien, on ira produire dans les ex-pays de l'Est, ou plus loin encore, pourquoi pas. Après tout, la technologie de ce métier est maintenant accessible à tous, ou à peu près. Et les appétits des pays émergents sont voraces !

La menace est réelle. On en débat. « Je comprends bien que tout le monde veuille maintenir un climat de convivialité et d'échanges, sûrement propice, d'ailleurs, aux performances. Ici, les gens bossent ; pas longtemps, certes, mais beaucoup. Alors, c'est normal qu'ils fassent les pauses qu'ils ont négociées. De toute façon, on ne peut pas rester sur les postes pendant des heures sans lever la tête. Indispensables, les blablas autour de la machine à café, et la pause cigarette toutes les deux heures. Mais voilà, on est au bout du raisonnement. On me demande des scores encore plus élevés ! A la fin, la question finira par se résumer à "échange cigarette contre maintien d'un emploi." Je suis terrorisé d'en arriver là. Mais c'est devenu quasi inéluctable. Pause cigarette contre emploi. Vous vous rendez compte ? C'est ça la mondialisation ! »

Vérifions d'abord. Est-on sûr d'avoir exploré toutes les voies d'optimisation des scores journaliers de production ? Oui, on est sûr. Automatisation au maximum ? Oui, c'est impossible d'aller plus loin. Procédures qualité à tous les niveaux ? C'est déjà fait. Sous-traitance des composants chaque fois que possible ? Bien sûr, qu'est-ce qu'on croit, il y a longtemps que les sous-ensembles à moindre valeur sont expatriés ! Non, ce n'est plus un problème industriel. On est bien dans le social. Ou dans le politique. On est au pied du mur, en réalité. Le mur de l'avenir, en quelque sorte.

Réfléchissons encore. La protection de l'emploi, en plus, dans le contexte évoqué, est-ce encore la responsabilité de mon interlocuteur ? Sûrement plus. De son entreprise ? A voir. Il y a un stade où cela mérite débat. Des salariés eux-mêmes et de leurs représentants ? Je ne crois pas. Du groupe industriel qui l'a rachetée ? Probablement un peu. De l'environnement social et politique de ce pays ? Beaucoup. De la mondialisation ? On le dit. Mais je n'y crois guère. Ce n'est qu'un contexte, et il nous laisse des marges de manoeuvre et plein d'opportunités. De qui, alors ?

Je tente une réponse : « De nous tous. De nos égoïsmes collectifs. Nous vivons arc-boutés sur la défense de nos petits droits, aussi superficiels soient-ils. Nous oublions tous les autres : ceux qui nous ont précédés, qui ont travaillé si dur, et qui ricaneraient de nos conditions actuelles. Ceux qui sont ailleurs, qui font 20 kilomètres à pied pour un peu d'eau, et qui viendraient à la nage pour occuper nos emplois et nourrir leur famille.

Et surtout ceux qui nous suivront, nos fils et les fils de nos fils : nous naufrageons délibérément notre outil industriel et leur en laisserons la dette. A eux de se débrouiller. Après nous, le déluge... »

Je m'arrête. De quoi je me mêle ?