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« Les adultes apprennent surtout en dehors des stages »

SANS | publié le : 18.11.2003 |

Loin de la formation classique, inspirée du modèle scolaire, l'apprentissage professionnel informel paraît beaucoup plus fréquent chez les adultes. A condition que les entreprises mettent en place un management orienté vers le développement des compétences.

E & C : Vous avez piloté une recherche (1) sur l'apprentissage professionnel informel. Pourquoi s'intéresser à cette dimension de l'apprentissage et que recouvre- t-elle ?

Philippe Carré : L'apprentissage professionnel informel (API) consiste en l'apprentissage par un individu en dehors de tous les moments organisés par d'autres pour qu'il se forme ou apprenne. La définition que nous en donnons est « tout phénomène d'acquisition ou de modification durable de savoirs produit en dehors des périodes explicitement consacrées par les sujets aux actions de formation instituées et susceptible d'être investi dans l'activité professionnelle ».

Il peut s'agir d'une conversation avec un collègue, qui pourra être utile dans le travail, d'un incident survenu sur une ligne de production, des effets d'une réunion particulièrement intéressante, etc. Notre hypothèse - et c'est celle de ceux qui travaillent, aujourd'hui, sur l'autoformation -, est que l'apprentissage professionnel informel est la dominante de l'apprentissage des adultes.

Une enquête canadienne de la fin des années 1970 indiquait déjà que 80 % des apprentissages adultes se font en dehors des systèmes formels. Dès lors, on peut considérer qu'une organisation, en même temps qu'elle a vocation à produire, peut développer et favoriser les compétences. C'était le sens de cette recherche.

E & C : Quel est l'intérêt, pour les entreprises, de prendre en compte l'apprentissage informel ?

P. C. : Elles ont plusieurs raisons de s'y intéresser. D'abord, parce qu'on constate un décalage toujours plus grand entre les besoins de compétences et le budget de formation en stagnation. Ensuite, parce qu'on sait très bien qu'un stage ne tombe jamais au moment où on a un besoin de compétences précis. Enfin, beaucoup d'entreprises se posent la question de la performance de la formation. La majorité des actions de formation ne sont pas évaluées. Face à la montée des critiques sur les modalités de formation classique, l'apprentissage informel ouvre une autre voie : on est dans un contexte où l'individu juge et pilote lui-même ses apprentissages. Cela peut être également très intéressant pour les PME, où les possibilités de formation sont réduites faute de temps à y consacrer.

E & C : L'apprentissage informel est-il avantageux pour tous les salariés ?

P. C. : La plupart des gens apprennent beaucoup plus par et dans l'activité professionnelle tout au long de leur carrière que dans des stages. Cependant, comme nous l'avons constaté dans notre recherche, les salariés mobiles et/ou en évolution professionnelle déclarent apprendre beaucoup plus que les salariés qui sont routinisés sur un poste. Trois facteurs déclenchent particulièrement l'apprentissage : l'entrée en fonction, les situations de projet, l'aléa (ou dysfonctionnement).

E & C : Comment les entreprises peuvent-elles optimiser cet apprentissage ?

P. C. : Nous avons mis à jour une dizaine de modalités d'interventions managériales nécessaires : faire confiance aux gens plutôt que les contrôler, servir de ressources aux personnes, fixer des caps clairs, veiller à l'harmonie entre les messages de la direction de l'entreprise et les relais au niveau du management, laisser sortir les gens de leur poste habituel pour qu'ils s'ouvrent sur l'extérieur, favoriser la polycompétence et le travail collectif, reconnaître un certain droit à l'erreur, etc. C'est là un management humaniste, tourné vers la valeur apprentissage. Plus largement, il s'agit de développer une culture de l'apprenance, plutôt que de la formation, en considérant que, du haut en bas de l'entreprise, le travail peut être formateur.

E & C : L'apprentissage professionnel informel peut-il être utile dans une démarche de validation des acquis de l'expérience (VAE) ?

P. C. : La liaison est évidente. Mais pour vérifier qu'il y a eu acquisition de savoirs lors de l'apprentissage informel, il est indispensable, d'abord, qu'il y ait eu un retour réflexif sur son expérience, ensuite d'être en mesure de faire reconnaître l'acquisition d'une compétence. C'est le double enjeu de la VAE : savoir observer, détecter les apprentissages non formalisés de façon à en rendre compte sous forme d'un système de preuve.

E & C : Que deviennent les formateurs dans une entreprise qui n'aurait recours qu'à l'API ?

P. C. : Si l'on a, demain, moins besoin d'instructeurs ou d'enseignants classiques, il y aura toujours besoin de facilitateurs d'apprentissage. Par exemple, on peut imaginer que le formateur aide les salariés à construire leur portfolio de compétences... dans le cadre d'une session de formation !

(1) Recherche pluridisciplinaire menée par Interface recherche et le Centre de recherche éducation-formation de l'université Paris-10, pendant deux ans, auprès de six entreprises et organismes (L'Oréal, Soprocos, BNP Paribas, RATP, CETE Nord-Picardie, Promofaf), qui l'ont financée (coût : près de 153 000 euros). Méthodologie : phase d'observation par des ethnologues ; entretiens avec 90 managers ; questionnaires adressés à 760 salariés.

SES LECTURES

- Auto-efficacité, le sentiment d'efficacité personnelle, Albert Bandura, De Boeck, 2003.

- L'autoformation reliée au travail, Roland Foucher, Montréal Editions nouvelles, 2000.

- Frankenstein pédagogue, Philippe Meirieu, ESF, 1996.

PARCOURS

Professeur en sciences de l'éducation à l'université Paris-10 Nanterre, Philippe Carré a commencé sa carrière au Centre d'éducation permanente de Paris-10. Il a été directeur d'un organisme de formation, puis consultant et chargé de la recherche à Interface, cabinet de conseil en formation RH.

Il a dirigé plusieurs ouvrages, dont L'autoformation (avec A. Moisan et D. Poisson), PUF, 1997 et le Traité des sciences et des techniques de la formation (avec P. Caspar), Dunod, 1999. Son dernier livre, Les apprentissages professionnels informels, écrit avec Olivier Charbonnier (L'Harmattan), paraîtra fin novembre.

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